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La politique française perd ses repères et collectionne les erreurs au Liban comme ailleurs

(Paris, Rome, 12 février 2023). Quarante ans après sa débâcle au Liban, la France continue de collectionner les erreurs d’appréciation dans le Pays du Cèdre et de miser sur ceux qui l’y ont humiliée. Mais, comme le dit un élu français proche de la majorité présidentielle, « la politique étrangère française a perdu ses repères, non seulement au Levant, mais aussi en Afrique du Nord et partout ailleurs ».

D’anciens militaires français de la Force Multinationale de Sécurité à Beyrouth (FMSB), créée par les Nations Unies en 1982 pour sécuriser la capitale libanaise après l’invasion israélienne et dissoute en 1984 après avoir été pulvérisée par les terroristes qui composaient l’embryon du Hezbollah, se disent « amers ». Ils expliquent leur amertume par « la politique hasardeuse de la France qui multiplie les erreurs tant au niveau des appréciations que des actions. A l’exception de la politique étrangère de Jacques Chirac, équilibrée et juste, ses successeurs sont davantage des amateurs que des hommes d’Etat » disent-ils. Un rescapé de l’attentat du Drakkar à Beyrouth (58 parachutistes français tués le 23 octobre 1983) commente le documentaire diffusé la semaine dernière par France 5 sur le Hezbollah en regrettant que « la France oublie ses enfants sacrifiés et courtise leurs assassins ».

Ces commentaires virulents ont été recueillis après les fuites concernant la réunion internationale sur le Liban organisée lundi 6 février 2023 à Paris entre des représentants de la France, des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite, du Qatar et de l’Egypte. Déjà, le choix de la date a irrité plus d’un. Prévue initialement le 11 février, elle a été avancée au 6 du même mois pour éviter de coïncider avec l’anniversaire de la Révolution de Khomeiny en Iran (1979). Or, le choix du 6 février est encore pire. En ce même jour de 2006 fut en effet signé l’accord de Mar Mikhaël (Saint Michel) entre le général Michel Aoun et le Secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, accord qui a précipité le Liban en enfer. Michel Aoun avait vendu son âme au diable dans l’objectif d’être élu président. Nasrallah avait, quant à lui, exploité Aoun pour contrôler toutes les institutions, directement ou indirectement, violer la souveraineté nationale, ruiner l’économie, détruire la capitale, isoler le pays et le transformer en une colonie iranienne. Le résultat est visible aujourd’hui.

Ainsi, pour « commémorer » le 6 février, intentionnellement ou pas, Paris a hébergé une réunion internationale pour tenter d’aider le Liban à se relever. Le quotidien Al-Qods Al-Arabi du 11 février révèle que « lors de cette rencontre, la partie française a indirectement proposé l’élection de Sleiman Frangieh à la présidence de la République, et le maintien de Najib Mikati à la tête du gouvernement ». Le quotidien ajoute que « le représentant saoudien ne s’est pas opposé frontalement à cette proposition, mais il a tenu à souligner qu’il ne faudra pas compter sur l’Arabie pour renflouer le Liban, ni pour y investir, si ses futurs dirigeants représenteront le Hezbollah. La position saoudienne a été approuvée par le représentant américain ». Ces divergences expliquent l’absence d’un communiqué final. Les cinq pays vont poursuivre leurs concertations.

La proposition française demeure inexpliquée et inexplicable, à l’inverse du rejet saoudien. Comment les Français peuvent-ils soutenir Sleiman Frangieh, le candidat du Hezbollah, qui fut ministre de l’Intérieur en 2005 et qui avait, à ce titre, ordonné aux bulldozers d’intervenir pour dégager les débris et ouvrir la route quelques heures seulement après l’attentat du 14 février contre Rafic Hariri ? Depuis, Frangieh est considéré comme « complice du crime ». Comment soutenir sa candidature alors qu’il a toujours renouvelé son allégeance à Hassan Nasrallah ; qu’il a toujours affirmé être très proche de Bachar Al-Assad (« nous sommes des frères jumeaux » disait-il) ; et qu’il a toujours critiqué l’Arabie saoudite pour son intervention contre les milices pro-iraniennes au Yémen. En outre, Frangieh n’est pas représentatif. Son parti Marada n’a que trois députés. S’il parvient à se faire élire avec un minimum de 65 députés, il sera redevable au Hezbollah et deviendra son otage, comme le fut Michel Aoun. Les souverainistes, avec à leur tête (le principal pilier), le parti des Forces libanaises de Samir Geagea et le Parti Socialiste Progressiste (PSP) de Walid Joumblatt, rejettent cette perspective et pressent le Patriarche Bechara Raï à sortir de la zone grise et lui demandent de trancher. Il lui est reproché une « dangereuse mollesse ». Le dimanche, le chef de l’Eglise critique dans son homélie ceux qui bloquent l’élection présidentielle et qui entravent l’enquête sur l’explosion du port, et n’hésite pas à les recevoir et à les retenir à table en semaine ! « Il faut que le prélat se ressaisisse et qu’il reprenne le rôle de l’Eglise et de ses prédécesseurs, les fondateurs et les défenseurs du Liban contemporain ».

Tous ces éléments justifient le refus de l’Arabie de coopérer avec Frangieh mais rien n’explique et ne justifie le soutien français à sa candidature. Pour les uns, « la France cherche toujours à caresser le Hezbollah pour séduire l’Iran où elle vient de nommer un ambassadeur. Mais à part la libération de quelques otages français ou franco-iraniens, et de contribuer à diviser l’Occident face à l’Iran et à son empire qui va désormais de la Caspienne jusqu’à la Méditerranée et au-delà (Yémen, Gaza, Afrique de l’Ouest…), la France ne peut rien gagner ». Rien ne justifie non plus la proposition de reconduire Najib Mikati à la tête du gouvernement. Mikati, un ancien associé avec Assad (dans les télécommunications), un corrompu notoire, poursuivi, selon ses adversaires, dans plusieurs affaires au Liban comme en France et à Monaco, n’est qu’une façade sunnite du Hezbollah chiite. Faut-il rappeler qu’en janvier 2011, le Hezbollah avait imposé Mikati par la force à la tête d’un gouvernement entièrement composé de l’Alliance du 8 mars pour avoir la liberté d’envoyer hommes, armes, carburants, farines et médicaments au régime syrien en toute impunité, et violer les sanctions internationales qui frappaient alors le dictateur Assad ? C’est cette implication du Hezbollah en Syrie qui a siphonné les devises vers Damas et précipité la banqueroute du Liban. Reconduire le duo Frangieh-Mikati revient à condamner définitivement le Liban.

Certains analystes ne cachent pas leurs craintes de voir la France profiter du séisme qui a frappé la Turquie et le nord-ouest de la Syrie pour renouer avec le régime syrien. Sous prétexte humanitaire, la France piétinerait alors la morale, ses intérêts stratégiques, la mémoire des français tués par ce même régime, et surtout les centaines de milliers de Syriens exterminés. Comment peut-elle prétendre lutter contre la Russie en Ukraine et au Sahel, d’où elle a été expulsée, et s’ouvrir en même temps à ses alliés et protégés au Levant ?

Il semblerait que le logiciel français est en panne. Car les erreurs françaises ne se limitent pas au Levant. Paris a sacrifié son alliance et son amitié avec le Maroc dans l’espoir de séduire l’Algérie. Elle a perdu le premier sans gagner la seconde. A cet égard, un ancien diplomate arabe en poste à Paris regrette que « la politique étrangère française soit dirigée depuis l’Elysée et écarte les vrais diplomates. Elle est dirigée par un banquier qui recherche le gain rapide ». Un élu d’Île-de-France proche de la majorité présidentielle renchérit en rappelant que « la politique étrangère française a malheureusement perdu ses repères ». Ce triste constat se double d’une « schizophrénie française » : Paris courtise le Hezbollah en public, alors que des sénateurs et des députés œuvrent dans l’ombre pour l’inscrire sur la liste des organisations terroristes, de l’aveu même d’un sénateur français.

Sanaa T.

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