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La guerre secrète entre les États-Unis et l’Iran

(Paris, Rome, 12.02.2023). Les États-Unis et l’Iran sont en guerre. Un conflit fantôme, non déclaré, qui se joue le long des rives de l’Euphrate, dans le sud-est de la Syrie, la même zone qui a été pendant quelques années le cœur de l’État islamique. Évidemment ni Washington ni Téhéran ne le confirment, pourtant les rapports de sources tierces ne manquent pas, même s’il est difficile d’obtenir des chiffres sur cette guerre secrète.

C’est un conflit de raids et de drones impliquant ces deux parties avec un troisième invité encombrant : Israël. Mais allons-y dans l’ordre, nous explique Alberto Bellotto dans les colonnes du journal «Il Giornale/Inside Over». D’une part, il y a la galaxie des milices pro-iraniennes, opérant sur le sol syrien pour le compte des ayatollahs et allant du Hezbollah libanais au «Liwaa Fatemiyoun», une brigade de combattants afghans envoyée par les Pasdaran pour combattre en Syrie aux côtés des forces de Damas contre les drapeaux noirs de Daech. Entre les deux, cependant, il y a aussi les agents des gardiens de la révolution islamique qui font office de lien entre les différentes âmes de cette galaxie.

De l’autre côté de la ligne, se trouvent les forces armées israéliennes, engagées depuis des années dans des raids chirurgicaux sur le sol syrien, mais surtout les États-Unis, ou plutôt la coalition internationale anti-EI. Oui, car le dispositif lancé en septembre 2014 sur ordre de l’administration Obama pour contrer l’avancée d’Abou Bakr al-Baghdadi est toujours opérationnel. Officiellement les raids contre les formations djihadistes n’ont jamais cessé, ils frappent en Syrie comme en Irak, en Somalie et en Afghanistan.

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Le fait est qu’ils frappent non seulement les miliciens proches de l’idéologie d’Al-Qaïda et de l’EI, ils visent également des cibles iraniennes.

Les chiffres de la guerre fantôme

Des sources ouvertes et des organisations internationales telles que le projet «Armed Conflict Location & Event Data, ACLED» (un projet de collecte de données, d’analyse et de cartographie des crises, Ndlr), surveillent la violence mondiale depuis des années, y compris ce qui se passe dans le ciel au-dessus de la Syrie. En parcourant leur base de données, nous constatons que les attaques de la coalition contre ces cibles ont augmenté au cours des deux dernières années.

S’agissant d’enquêtes empiriques (un travail qui repose sur l’expérience ou l’observation, sans fondement scientifique), il est très probable que nous soyons confrontés à des données incomplètes, probablement sous-dimensionnées, mais révélatrices de ce qui se passe dans cette faille de tension le long de l’Euphrate qui fait office de frontière naturelle entre les territoires contrôlés par les forces de Damas et les alliés (Russie, Iran et milices apparentées) à l’Oust, et les Forces démocratiques syriennes (FDS), le chapeau qui rassemble une alliance entre milices kurdes et arabes créée avec le soutien des États-Unis qui administre et contrôle de facto tout l’est de la Syrie.

En sélectionnant et en nettoyant la base de données fournie par ACLED, lit-on encore dans le média italien, les raids contre les positions iraniennes peuvent être identifiés. Celles menées par les forces israéliennes se concentrent principalement dans deux secteurs : le premier est situé autour de la ville de Damas, le second dans le triangle entre Lattaquié, Homs et Hama, au centre-nord de la Syrie. La coalition, et par extension les forces américaines, frappent plutôt le long de l’Euphrate, notamment autour de la ville d’Al Mayadin, considérée comme la capitale des forces iraniennes en Syrie.

Les données de l’ACLED sont vérifiées, mais ne peuvent être considérées comme exhaustives car de nombreux raids restent sans auteur. Pourtant, les chiffres nous aident à faire une idée du phénomène. Entre 2018 et janvier 2023, au moins 111 raids ont eu lieu contre des cibles iraniennes, 64 menés par l’armée israélienne et 47 par la Coalition. Les victimes confirmées de ces raids étaient plutôt au nombre de 345. Il convient de rappeler qu’il s’agit d’estimations, et non de données concrètes. Pour bon nombre de ces attaques, il n’a pas été possible d’établir le nombre exact des morts et des blessés.

Non seulement les miliciens se sont retrouvés dans la ligne de mire, mais aussi des agents de Téhéran tels que les forces Al-Qods, le corps Pasdaran qui opère à l’étranger. Dans la pratique, l’armée américaine a frappé et tué du personnel iranien, le tout sous l’égide de la Coalition internationale.

Les affrontements du début de l’année

Les chiffres montrent comment ces raids se multiplient depuis 2020 et les premières informations arrivant de ces secteurs en 2023 confirment que cette guerre fantôme n’est pas encore terminée. Entre le 29 et le 30 janvier, une série d’attaques de drones a visé des milices pro-iraniennes le long de la frontière entre la Syrie et l’Irak, au point de passage d’Al Bou Kamal-Al-Qaëm. La première, effectuée dimanche soir, a touché six camions et tué sept personnes, la seconde a tué trois autres personnes, dont un commandant de milice, qui inspectaient les restes de l’attaque précédente. Le troisième raid a ensuite visé un camion-citerne tuant une seule personne.

L’attaque n’a pas été revendiquée, comme beaucoup d’autres, mais il ne fait aucun doute qu’il pourrait s’agir d’un raid israélien ou de la coalition. Le raid a eu lieu le même jour où deux grandes figures de l’administration américaine étaient en visite en Israël. Les deux premières attaques ont été menées lors d’une visite du chef de la CIA William Burns ; la troisième, pendant une visite du secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken. Le timing est important, a noté Haaretz, car il est peu probable que Tel-Aviv ait mené des raids potentiellement embarrassants sans en avertir Washington avant une visite officielle.

Il est également possible qu’il s’agisse d’une réponse à ce qui s’est passé une dizaine de jours plus tôt. Vers le 20 janvier, une frappe aérienne avec des drones a visé une base militaire américaine utilisée par la coalition anti-EI dans le sud de la Syrie. Le Commandement central des États-Unis a écrit dans un communiqué laconique que « trois drones d’attaque ont frappé la garnison d’Al Tanf en Syrie ». Le même communiqué précise que deux de ces drones ont été abattus mais qu’un troisième a réussi à percuter la structure, blessant deux combattants syriens alliés des États-Unis.

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