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Kherson perdu: Poutine perd aussi le G20 (et la face)

(Paris, Rome, 11 novembre 2022). Poutine a perdu Kherson et une grande partie de son image. Il ne peut pas passer pour un leader musclé et conquérant, comme l’aiment ses fans internationaux, et il éprouve de plus en plus de difficultés croissantes à gérer sa présence publique sur les scènes mondiales telles que le G20. Est-ce pour cela qu’il ne se rendra pas à Bali ?

Le président russe Vladimir Poutine ne se rendra pas au sommet du G20 à Bali la semaine prochaine. Il devait s’agir de la première rencontre à laquelle le dirigeant russe assisterait en présence des chefs d’État et de gouvernement occidentaux depuis qu’il a lancé la campagne d’invasion en Ukraine le 24 février. Il aurait dû recevoir dans ce contexte un certain soutien des autres participants comme la Chine, ou l’Inde, l’Afrique du Sud, l’Arabie Saoudite ou l’Indonésie, pays hôte, qui pendant le conflit ont maintenu une ligne discrète sans avancer trop d’accusations contre Moscou.

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Il fallait que ce soit un environnement dans lequel Poutine montrait qu’il n’était pas un paria mais qu’il pouvait poursuivre son action internationale malgré tout.

A défaut, il restera au Kremlin. Selon Emanuele Rossi du quotidien italien «Formiche», la décision intervient quelques heures après la plus grande défaite militaire de la Russie en Ukraine ; le retrait de Kherson. Et à la réflexion, il pourrait même y avoir un lien. Kherson, la capitale de la province méridionale qui relie la péninsule de Crimée au reste du pays, était la plus précieuse des villes conquises jusqu’alors par la Russie. Lorsque les plus insouciants de ceux qui tentent d’analyser le conflit et les intérêts russes, parlent de la guerre, leur point de vue passe toujours par Kherson. La Russie veut fermer l’accès à la mer Noire à l’Ukraine, et le contrôle de Kherson montre qu’elle y parvient, disent-ils.

Maintenant, ce qui est susmentionné, doit être mis au passé, car le terrain (la réalité), prouve le contraire. L’Ukraine, grâce à la fermeté de son armée et des fournitures militaires occidentales, a réussi à pousser la Russie hors d’un territoire qui est non seulement stratégique, mais qui a jusqu’à présent été symbolique pour le succès limité de la Russie dans la soi-disant « opération militaire spéciale ». Si l’on considère qu’aujourd’hui que Moscou ne contrôle guère que la région du Donbass qu’elle occupe (illégalement, par l’intermédiaire de mandataires séparatistes ukrainiens) depuis 2014, les retraits et recules tactico-stratégiques de toute la campagne, l’absence de preuve de la poussée narrative donnée avec la nouvelle mobilisation, les limites du mouvement armé de Poutine sont toutes évidentes.

Le dirigeant russe a déclenché une guerre en Europe sans justification, a perturbé le marché mondial de l’énergie, a initié une crise alimentaire internationale, a exposé diverses régions du monde à des secousses potentielles et à des revers critiques. Le tout, sans récolter le moindre succès. A cela, il faut ajouter les données dramatiques publiées par les États-Unis, à travers les propos du mercredi 9 novembre, du général Mark Milley, chef d’état-major interarmées des forces armées américaines : les Russes ont fait plus de cent mille victimes, peut-être autant entre civils et soldats ukrainiens.

La guerre de Poutine a déjà coûté plus de deux cent mille morts, et les chiffres américains sont dignes de confiance étant donné le niveau de confiance dont ils font preuve depuis février (et peut-être même avant) quant à ce qui se passe sur le terrain. Face à tout cela, pour un homme d’État, qui a fondé son leadership sur la démonstration de sa force (même dans la communication personnelle, entre les muscles montrés, les mouvements de judo, la course à cheval torse nu), il devient impossible d’accepter la réalité.

L’outrance dans le comportement inspirée par l’orgueil de Poutine a amené la Russie à un niveau de non-potabilité internationale, et cela est probablement lié à la décision d’éviter le sommet de Bali. Qui allait lui parler ? Et comment ? Un leader musclé serait acceptable pour quelqu’un tant qu’il réussit, mais face aux faiblesses, comment gérer les relations ? Un exemple en est la relation avec le chinois Xi Jinping, qui a autrefois qualifié Poutine de son meilleur ami parmi les dirigeants mondiaux et qui a maintenant commencé à créer un périmètre entre lui et le Russe (le message que Xi veut transmettre est de ne pas mettre Pékin dans le même sac que Moscou).

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Gérer les contacts publics sur une scène comme le G20 aurait été compliqué tant pour Poutine que pour ses anciens ou potentiels amis. Sauter le rendez-vous est la solution la plus immédiate, mais cela pourrait avoir des conséquences négatives. Un Poutine isolé, acculé, pourrait-il être amené à des mouvements extrêmes ? Pour en venir au trivial : la perte de Kherson, dont Poutine avait proclamé l’annexion à la Russie, signifie-t-elle que la possibilité d’utiliser le nucléaire s’ouvre pour Moscou une fois le recul terminé ?

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Poutine est-il pleinement conscient du poids de sa défaite subie à Kherson ? A en juger par le visage avec lequel le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, et le chef des forces en Ukraine, le général Sergei Surovikine, ont annoncé la démobilisation de la ville (déplacement des troupes derrière la défense géomorphologique du Dniepr), cette prise de conscience est là. Il y a un air de défaite (pas dans la guerre pour l’heure, mais dans cette importante bataille) même parmi les faucons militaires les plus proches du président, comme le chef des miliciens du groupe Wagner, Evegeny Prighozine, et le chef des escouades tchétchènes, Ramzan Kadirov. Deux ras poutiniens qui ont gravi les échelons militaires s’en prennent aussi lourdement à la direction régulière des forces armées.

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Cette fois, sur Kherson, ils ont une ligne plus contrôlée. Les accusations contre le ministère (de la Défense) et les généraux, sont moins agressives car, de toute évidence, le retrait était inévitable (résultat d’une contre-offensive au sud comme à l’ouest qui dure depuis des mois et a usé le front sous contrôle russe). Ou, comme certains s’empressent de le suggérer, s’agit-il d’une tactique ? Les Russes simulent-ils une retraite pour attirer les Ukrainiens vers l’avant, les exposer et leur infliger de lourdes pertes ?

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On ne sait jamais ce que Poutine a en tête, et en tant que chef des forces armées, cette ambiguïté se répercute également sur les opérations militaires. D’autre part, même l’annonce d’une décision dont on parle depuis un certain temps (le retrait de Kherson, d’où les civils sont évacués depuis le 19 octobre) est arrivée avec un timing particulier : le 9 novembre, le lendemain de la «MidTerm». Autrement dit, encore une fois, Poutine a probablement voulu empêcher Joe Biden de bénéficier d’un quelconque récit de succès dans la guerre sur le vote de mi-mandat qui a refaçonné l’équilibre du Congrès.

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