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Le givre derrière les poignées de main: que se passe-t-il entre Xi et Poutine ?

(Rome, Paris, 16 septembre 2022). Il semble qu’une époque se soit écoulée depuis que Xi Jinping et Vladimir Poutine ont annoncé au monde, à la veille de la guerre en Ukraine, la transformation du partenariat stratégique entre la Russie et la République populaire de Chine en une amitié «sans limites». Il semble qu’une époque soit passée, et c’est effectivement le cas. Car depuis le 24 février 2022, le monde n’est plus le même. Et Moscou et Pékin non plus, malgré les apparences, rapporte le quotidien italien «Inside Over» à travers la plume d’Emanuel Pietrobon.

L’éternité n’existe pas

La dure et sauvage réalité des relations internationales a été expliquée par l’un des plus grands stratèges que le ventre de l’Empire britannique n’a jamais accouché : il s’agit de Henry John Temple, également connu sous le nom de Lord Palmerston. Temple, pionnier des « révolutions de couleurs » qui ont secoué l’Europe continentale avec les émeutes de 1848 et joueur d’échecs du Grand Jeu, avait l’habitude de dire, à ceux qui lui demandaient qui étaient les amis de Sa Majesté, qu’une seule chose est perpétuelle : pas les amitiés, et même pas les inimitiés, mais seulement l’intérêt national.

L’ami fraternel d’une époque peut devenir l’ennemi juré de la suivante. C’est la vie de tous les jours, de chaque être humain. Et c’est l’histoire des relations internationales. Une loi qui ne connaît pas l’érosion du temps et qui vaut pour n’importe qui, quel que soit le contexte, et à laquelle même Moscou et Pékin ne peuvent échapper. Le « spectre de Palmerston » est la frontière de l’amitié sans limites entre Poutine et Xi. Et Samarkand 2022 l’a établie.

Parmi les rides de l’impénétrabilité

Les deux chefs d’État se sont rencontrés à Samarkand le 15 septembre, dans le cadre des travaux de l’Organisation de coopération de Shanghai, et leur face à face, comme à l’accoutumée, a servi de tribune pour le lancement d’invectives en direction du Moment unipolaire mourant. Mais derrière la vitrine scintillante, faite de sourires et de phrases affectueuses, entre Poutine et Xi, il n’y a jamais eu autant de gel.

Un seul journal, sans doute parce qu’il n’est pas occidental, ne s’est pas laissé aveugler par l’erreur qu’est la récitation du scénario anti-américain des deux chefs d’Etat. Un seul : Al Jazeera du Qatar. Lequel titrait, commentant le sommet attendu, d’un éloquent Monsieur « le chapeau à la main ». Poutine, bien sûr, chapeau à la main. Dans l’espoir d’écarter le spectre de Palmerston, car la transition vers la multipolarité bat son plein et Moscou, après le piège ukrainien, ne peut plus se permettre d’autres erreurs.

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La Russie soutient la politique d’une seule Chine. La Russie remercie la République populaire de Chine pour la position équilibrée dans le dossier ukrainien. La Russie prend note des questions et des préoccupations de la République populaire de Chine concernant la guerre en Ukraine. Mais la Chine, qui est prête à assumer les « responsabilités d’une grande puissance », ne veut rien de plus qu’injecter « une énergie positive et de la stabilité dans un monde en ébullition », a répliqué Xi. Deux discours, ceux de Xi et de Poutine, substantiellement discordants.

Ni avec ni contre la Russie, mais pour la Chine

Les grandes puissances n’ont pas d’alliés, seulement des intérêts. Lord Palmerston l’enseigne. Et l’intérêt (mal compris) de la Chine est un et un seul : exercer des représailles contre les bourreaux du Siècle de l’Humiliation sur la voie du retour au statut de grande puissance. Cela ne signifie pas, comme on le croit communément, qu’avec la Russie ce sera pour toujours une amitié sans limites.

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La Russie, pour la Chine, est un moyen d’atteindre une fin : la transition multipolaire, qui implique à nouveau la justice pour les torts subis au cours de cent ans de traités injustes et d’occupations militaires multinationales. Et c’est un moyen, comme un autre, qui peut être sacrifié. Xi l’a démontré sur un plan non verbal lors du face-à-face avec Poutine, car son inscrutabilité était trahie par sa distance inhabituelle (voire physique), et de manière factuelle à la veille de la rencontre, expliquant à ceux qui avaient des oreilles pour comprendre qu’Astana est (aussi) la chose de Pékin. Et Poutine lui-même l’a prouvé, qui a de facto passé le sommet à courtiser son homologue chinois, jouant à plusieurs reprises la carte taïwanaise, au lieu de discuter de nouveaux projets.

Le partenariat stratégique entre Moscou et Pékin ne s’effondrera pas maintenant, et demain non plus. Il faudra plus d’une secousse pour le faire imploser, car les deux puissances ont soif de vengeance, nostalgiques de ce qui fut, et en colère contre les vols qu’elles ont subis. Les sentiments qu’ils éprouvent à l’égard de leur ennemi commun, l’Occident dirigé par les États-Unis, qu’ils savent qu’ils ne peuvent pas vaincre individuellement. Mais les répercussions internationales de la guerre en Ukraine ne peuvent être ignorées par la Chine, qui se nourrit de la mondialisation et qui aurait plus à perdre qu’à gagner d’une Russie revancharde, notamment en Asie centrale.

Ce sera sur les dissonances existantes mais tacites entre Moscou et Pékin que les Etats-Unis tenteront de travailler pour dresser les deux géants l’un contre l’autre.

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Un double endiguement au lieu d’une diplomatie triangulaire. Dans l’attente Brezinskienne que l’Asie avale la Russie, ou entraîne les deux puissances dans des guerres de voisinage, afin que ce siècle demeure américain.

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