L'actualité du Proche et Moyen-Orient et Afrique du Nord

Liban: la stabilité à la tête de l’armée est une exigence internationale, en attendant l’élection présidentielle

(Roma, 06 décembre 2023). Un « mini-coup d’Etat » au sein de l’armée, préparé par le Hezbollah et Gebran Bassil pour renverser le commandant en chef de l’armée, a récemment été déjoué par le Patriarche maronite, soutenu par le Vatican. La neutralité du Liban réclamée par le chef de l’Eglise devient une nécessité et les pays concernés par la crise s’alignent en prévision des présidentielles.

Selon des sources libanaises bien informées, le Hezbollah et son allié Gebran Bassil, chef du Courant Patriotique Libre (CPL), en partenariat avec le président du Parlement Nabih Berri et la complicité du Premier ministre Najib Mikati, tous sous les ordres du Hezbollah, avaient récemment préparé ce qui ressemble à un «coup d’Etat institutionnel». Notre source ajoute que «la manœuvre visait à profiter du vide présidentiel que cette même association de malfaiteurs avait provoqué et prolongé depuis le 31 octobre 2022, pour faire d’une pierre trois coups : remplacer le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, dont le mandat doit prendre fin en janvier prochain ; l’éliminer de la course présidentielle au profit du candidat du Hezbollah ; le remplacer par le chef des renseignements de l’armée, le général Tony Kahwagi, proche du CPL et soumis au Hezbollah ».

Les mêmes sources concordent pour affirmer que « le responsable du Hezbollah Wafik Safa a convoqué et rencontré Kahwagi à plusieurs reprises pour évaluer sa soumission au diktat du parti de Dieu. Après cette évaluation, le choix Kahwagi a été adopté et le gouvernement devait le confirmer lors d’un conseil des ministres la semaine dernière ». Mais averti, le Patriarche Bechara Raï a haussé le ton lors de ses homélies du 26 octobre et 3 décembre, mettant en garde contre la fragilisation de l’armée. Selon nos sources, le Vatican, mais également les Etats-Unis, ont soutenu le chef de l’Eglise maronite et ont appuyé sa demande de prolonger le mandat du général Joseph Aoun pour éviter l’effondrement de la dernière institution libanaise encore en mesure d’empêcher la dislocation de l’Etat au profit du mini-Etat que constitue le Hezbollah. Le maintien de Joseph Aoun dans ses fonctions, pour un an, devrait être validé par le Parlement dans les prochains jours.

Le Parti des Forces Libanaises (FL) avait déjà alerté sur le danger du remplacement de Joseph Aoun en plein vide présidentiel. Les députés du bloc de la «République Forte» avaient déposé un projet de loi pour reporter l’âge de départ à la retraite du général. Samir Geagea, chef des «FL», avait lui aussi mis en garde contre la généralisation du vide institutionnel.

En effet, le vide s’étend à tous les étages de l’Etat libanais et concerne essentiellement les postes réservés à la communauté chrétienne maronite, ce qui inquiète particulièrement le Vatican : pas de président de la République ; pas de gouverneur de la Banque centrale, il était inconcevable de tolérer le vide à la tête de l’armée et de finir par accepter une assemblée constituante, telle que l’envisage le Hezbollah, pour exiger une nouvelle constitution à sa taille.

Dans ce contexte d’une extrême complexité, Samir Geagea, jadis considéré comme le protecteur, puis le sauveur de l’Etat, apparait aujourd’hui comme le principal vainqueur sur le plan politique. A la tête du plus grand parti sur le plan populaire et détenant le plus important groupe parlementaire, il a déjoué tous les pronostics et ne s’est pas présenté aux élections présidentielles. Sleiman Frangié, candidat du Hezbollah, a échoué à se faire élire malgré les intimidations du parti de Dieu. Gebran Bassil, frappé par des sanctions américaines et rejeté par une écrasante majorité de Libanais, ne semble avoir aucune chance. Aujourd’hui, le seul candidat capable de rassembler est Joseph Aoun et son maintien à la tête de l’armée, jusqu’à l’élection d’un président, devient une nécessité.

De ce fait, la France commence à rétropédaler pour rejoindre les Américains, les Qatariens, les Saoudiens, et les Egyptiens qui soutiennent Joseph Aoun. Paris cherche à rectifier le tir après les erreurs d’appréciation de son ancienne ambassadrice Anne Grillo, mais aussi après le soutien franc et massif apporté par la cellule élyséenne à Frangié, candidat du Hezbollah.

A Paris, certaines sources croient savoir que les dégâts de la politique française au Liban a accéléré le remplacement de Madame Grillo, mais aussi de Patrick Durel. Désormais, le dossier libanais est géré par Bernard Emié, chef de la DGSE qui a, ces derniers jours, effectué une visite secrète au Liban. Plusieurs sujets auraient été évoqués lors de ses rencontres avec les responsables libanais, affirme-t-on à Beyrouth. Emié était d’abord porteur d’une mise en garde contre l’embrasement du front sud avec Israël. Il aurait menacé de placer la résolution 1701 sous le chapitre 7 afin d’obtenir le retrait du Hezbollah du sud du Liban jusqu’au fleuve Litani (40 km de la frontière), le renforcement de la FINUL et l’élargissement de ses prérogatives. Il aurait également évoqué la nécessité de maintenir Joseph Aoun dans ses fonctions. Enfin, concernant la présidence de la République, la France se serait alignée sur les positions américaines et qatariennes. Washington et Doha soutiennent la candidature de Joseph Aoun, mais préparent en douce un candidat alternatif qui serait moins clivant que Joseph Aoun. Il s’agit du général Elias Baïssari, chef de la Sureté générale libanaise. A cet égard, des sources libanaises notent que « Baïssari est très sollicité par les Qatariens qui sous-traitent pour le compte des Américains. Bernard Emié l’aurait également rencontré lors de son bref passage à Beyrouth ».

En tout état de cause, le vote par le Parlement, avant le 15 décembre, du projet de loi présenté par le parti des Forces Libanaises pour reporter l’âge de départ à la retraite de Joseph Aoun, confirmerait son maintien en fonction et renforce sa stature présidentielle. De facto, Frangié et Bassil sortiront définitivement humiliés de la course. Mais la capacité de nuisance du chef du CPL demeure. Bassil s’en prend d’ores et déjà au Patriarche qui a neutralisé sa manœuvre. Seul Samir Geagea sortira grandi de cette bataille. Grâce à son bloc parlementaire, il sera la colonne vertébrale du prochain président et défendra, comme il l’a toujours fait, la neutralité du Liban, l’application des résolutions du Conseil de sécurité 1701 et 1559. Il a préféré être faiseur de roi que roi.

(Roma). Par Dario S.

Recevez notre newsletter et les alertes de Mena News


À lire sur le même thème