(Montréal, Rome, 05 avril 2023). Il est regrettable d’assister au suicide politique de la France au Liban, où elle perd tout son crédit de sympathie auprès des Libanais qui demeurent pourtant le premier peuple francophone et francophile en Orient. En scrutant ses errements, on a l’impression que Paris joue les « marchands de tapis persans dans le bazar de Téhéran ».
Dans ce bazar sont principalement impliqués la France, l’Iran, la Syrie et le Hezbollah, dont les tractations vont irrémédiablement à l’encontre des intérêts du peuple libanais que la France semble prête à troquer contre quelques miettes espérées du marché iranien. Pourtant, le peuple Libanais était fier, jusque-là, de son amitié ancestrale avec la France, sa « tendre mère ». Aujourd’hui, une majorité de Libanais découvre avec stupéfaction le piètre niveau de la politique et de la diplomatie française dans leur pays. Pour eux, la France est devenue un simple « marchand de tapis persans qui négocie le sort du Liban dans le bazar de Téhéran ».
En effet, les Libanais ne comprennent pas « la naïveté » ou la « complicité » du président français Emmanuel Macron et de son entourage, notamment les responsables du dossier libanais, qui déploient au Liban la fameuse politique du « en même temps ». Depuis l’explosion du port de Beyrouth et les deux visites du président Macron au Liban, sa politique est une succession d’incohérences et d’erreurs qui enfantent naturellement les échecs. Mais le pire, c’est qu’il ne s’agit pas d’échecs français proprement dit, mais d’échecs qui engagent l’avenir du Liban et qui l’enfoncent davantage sur la voie de l’effondrement.
- Les Libanais ne comprennent pas comment Paris prétend vouloir faire la lumière sur l’explosion du port de Beyrouth et, en même temps, il fait cause commune avec les responsables de cette catastrophe !
- Les Libanais sont peinés de voir que la France dit vouloir aider le Liban à se relever et, en même temps, elle veut confier son sauvetage à ceux qui l’ont enfoncé.
- Les Libanais sont interloqués par le discours français qui veut lutter contre la corruption légendaire et, en même temps, voient Paris s’allier aux corrompus et aux corrupteurs et bloquent les enquêtes internationales qui les visent.
- Les Libanais sont effarés de constater que Paris réclame des enquêtes sur les détournements d’argents publics et, en même temps, ils découvrent que Paris signe des affaires douteuses avec les premiers concernés.
- Les Libanais se sentent désabusés par un discours français qui promeut les réformes indispensables au redressement de leur pays, et découvrent que dans le même temps, Paris soutient la reconduction de ceux qui refusent solennellement les réformes.
Pour les Libanais, la France se laisse berner ou – pis encore – elle est influencée par ceux qui soutiennent Sleimane Frangié, le candidat du Hezbollah à la présidence de la République. Frangié a séjourné à Paris, fin mars et début avril, et fut reçu à l’Elysée malgré le rejet ferme et définitif de sa candidature par une majorité de Libanais.
Frangié est « flingué » par ses propres soutiens
Outre le soutien du Hezbollah qui devient un boulet, Frangié compte sur le lobbying de Gilbert Chaghouri, un milliardaire d’origine libanaise poursuivi par la justice américaine pour corruption en Afrique de l’Ouest, mais qui a été honoré par Emmanuel Macron en 2021. Aujourd’hui, il fait la campagne de Sleimane Frangié à Paris. Il compte aussi sur les frères Raymond et Teddy Rahmé, des négociants en produits pétroliers visés par des sanctions américaines pour leur corruption. Ils avaient fourni du fuel frelaté à Electricité du Liban (EDL), mettant les centrales thermiques en grande difficulté… Leur soutien à Frangié réduit ses chances présidentiables à néant. Pourtant, la France continue de le présenter comme une « meilleure sortie de crise », en lui demandant des garanties qu’il ne pourra pas tenir.
Les Français ne doivent pas ignorer que Frangié est le candidat du Hezbollah et, comme il le revendique lui-même, il est le « frère jumeau de Bachar al-Assad ».
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Elle ne doit pas oublier que les garanties avancées par le Hezbollah à la conférence de Doha (2008) n’ont tenu que quelques mois. Il a imposé le tiers de blocage avant de renverser le gouvernement de Saad Hariri en janvier 2011. Il a signé l’accord de Baabda portant sur la neutralité du Liban, pour le violer immédiatement en s’ingérant militairement en Syrie puis au Yémen… Il a bloqué l’élection présidentielle pendant plus de deux ans (mai 2014 – octobre 2016) pour imposer son allié Michel Aoun, dont on connait le résultat. Et Frangié ne sera que le prolongement du mandat de Michel Aoun.
La France ne devrait pas oublier que Frangié était ministre de l’Intérieur en 2005 et avait ordonné de reboucher le trou béant provoqué par l’attentat contre Rafic Hariri. Paris devrait savoir que Frangié n’a aucun soutien dans sa communauté. Son parti n’a qu’un seul député, son fils Tony. Les Français ne devraient pas occulter le rôle de son plus proche lieutenant Youssef Fénianos, ministre des Travaux publics et des Transports et poursuivi à ce titre pour avoir couvert les Nitrates d’ammonium du Hezbollah, stockés au port, et à l’origine de la destruction de Beyrouth, le 4 août 2020. D’ailleurs, Fénianos refuse de se présenter devant le juge d’instruction et Frangié le couvre, comme il a couvert Sarkis Hleiss, un autre de ses lieutenants qui fut poursuivi dans l’affaire du fuel frelaté. Tant de casseroles traînées par Frangié qui justifient son rejet par tous les Libanais.
Ainsi, la France veut imposer au Liban un président qui n’a rien de Libanais : un président aux ordres du Hezbollah ; un président proche de Bachar al-Assad ; un président qui défend l’expansionnisme iranien et qui considère que le « martyr Qassem Souleimani était un héros » ; un président qui critique les pays du Golfe ; un président impliqué directement ou à travers son entourage dans la corruption… Et dans le même temps, la France veut lutter contre la corruption ; elle veut réduire l’influence du Hezbollah ; elle veut lutter contre l’Iran ; et elle demande aux pays du Golfe de financer le sauvetage.
Toutes ces incohérences et ces contradictions ne font que prolonger la crise et discréditer la France, ses valeurs démocratiques et son histoire. Comment peut-elle soutenir la candidature de celui qui n’a qu’un seul député au Parlement et ignorer l’avis des plus importants groupes parlementaires qui ont déjà dit leur mot : «l’accès du palais présidentiel est interdit à tout candidat du Hezbollah». Il faut que la France sache que le 49-3 ne fonctionne pas au Liban.
Il est affligeant de constater cette nette dégradation du niveau intellectuel et/ou de la morale des responsables du dossier libanais à Paris qui s’obstinent à fréquenter le Hezbollah, pourtant classé organisation terroriste par la majorité des pays occidentaux. Ils considèrent qu’il est représenté au Parlement – et de quelle manière ? – et qu’il fait partie du paysage politique libanais, au moment où il se revendique lui-même être la projection de la République islamique d’Iran ! Il faut que Paris cesse de jouer à la démocratie à géométrie variable. Comprenne qui veut.
Sanaa T.
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