Tout ce qu’on peut savoir sur le bataillon Mansour

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(Rome, Paris, 20 octobre 2022). En Ukraine, c’est la guerre mondiale. Et ce depuis 2014, l’année à la fois proche et lointaine, où tout a commencé : Euro-Maïdan, la naissance de la question séparatiste dans le Donbass, l’occupation de la Crimée. L’année où s’est réalisé le rêve récurrent de Zbigniew Brzezinski, à savoir faire de l’Ukraine le levier pour « expulser la Russie vers l’Asie », et dont les répercussions ont perduré et se sont étendues jusqu’à la guerre prolongée de 2022, nous explique dans son article, Emanuel Pietrobon dans les colonnes du quotidien «Il Giornale/Inside Over».

Guerre mondiale, comme au Biafra à la fin des années 1960 et comme en Afghanistan dans les années 1980. Car en Ukraine, côte à côte avec les Russes et les Ukrainiens, des gens de toutes nationalités et confessions se battent. Chrétiens et musulmans. Britanniques et Serbes. Tatars et Polonais. Et beaucoup, beaucoup de Tchétchènes.

Une partie du peuple tchétchène a vu et vécu l’Ukraine comme une « troisième guerre tchétchène ». Ainsi, depuis 2014, des milliers de personnes, pour la plupart des vétérans des conflits contre la Russie, se sont rendues dans les tranchées du Donbass. Une présence, la leur, qui n’est pas passée inaperçue auprès du seigneur de Grozny, Ramzan Kadyrov, qui en 2022, profitant du chaos général, a lâché les Kadyrovites et déclenché «une guerre dans la guerre».

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Objectif : éliminer les dernières poches de résistance au projet d’une « nouvelle Tchétchénie », commandé par Kadyrov et réduit en esclavage à Moscou, avant que les fantômes du cheikh Mansour et de l’imam Šamil ne soient ressuscités. Avant que le bataillon Mansour n’exporte la guerre d’Ukraine en Tchétchénie.

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Les origines et les ombres

Le bataillon Mansour, dont le nom est un hommage à l’un des plus grands héros nationaux de Tchétchénie, le Cheikh Mansour, a été fondé au lendemain du déclenchement des soulèvements séparatistes dans les régions de Donetsk et Lougansk, en octobre 2014, par un groupe hétérogène de personnes : vétérans des deux guerres de Tchétchénie, opposants à la présidence de Kadyrov, simples membres de la grande diaspora tchétchène du Vieux Continent, anciens combattants du bataillon Doudaïev nouvellement fondé.

La tête pensante du bataillon se trouve en Europe, dans les bureaux danois de l’Organisation pour le Caucase libre – fondée en 2006 – alors que ses soldats opèrent sur les fronts chauds de Donetsk et Lougansk depuis l’ouverture des hostilités. Sous le commandement d’un vétéran des deux guerres tchétchènes, Mouslim Tcheberloyev, le bataillon Mansour a été un temps encadré au sein du Corps des volontaires du secteur droit ukrainien, après quoi, avec la montée en puissance de la présidence Zelensky, il est entré dans une période de crise.

Le démantèlement du bataillon Mansour était l’une des exigences du Kremlin lors des pourparlers de paix. Et Volodymyr Zelensky, afin de rendre les négociations fluides et fructueuses, est allé dans un premier temps dans le sens des souhaits de Vladimir Poutine (et de Kadyrov). D’abord le démantèlement de l’arsenal des hommes de Tcheberloyev, puis la délivrance de certains mandats d’arrêt – en vue d’une extradition vers la Russie. Mais la guerre de 2022 a tout changé, incitant Zelensky à faire marche arrière, rendant les armes au bataillon et donnant carte blanche à Tcheberloyev.

Sur la ligne de front de la guerre totale

Alliée de fer du bataillon Azov, avec lequel le groupe de Cheikh Mansour combat côte à côte depuis 2014, cette armée de Tchétchènes a vite oublié la douce persécution de la présidence Zelensky et a, volontiers, accepté de défendre à nouveau la cause ukrainienne. Car c’est là que se déroule la troisième guerre tchétchène, selon les tenaces soldats du bataillon Mansour, et que s’écrit le dernier épisode d’une querelle, celle avec la Russie, qui dure depuis le XVIIIe siècle.

Renaissant à une vie nouvelle mais ancienne, toujours sous l’égide du commandant Tcheberloyev, le bataillon Mansour participe à la bataille de Kiev, s’est opposé au siège de Marioupol et combat en silence, entre faubourgs et forêts, contre son ennemi juré : les kadyrovites. Les dix mille de Kadyrov, contre aucun de Tcheberloyev, qui a toujours gardé le secret le plus strict sur les chiffres et les données démographiques. Une guerre dans la guerre, celle des Tchétchènes, dont on ne sait rien ou presque. Sauf qu’elle existe, depuis 2014, et qu’elle se déroule dans les coulisses de la scène.

Les (grandes) ambitions du bataillon

Survivant à la tentative de bras de fer lancée par Kadyrov, qui a pu pour la première fois envoyer ses «chasseurs de têtes» en Ukraine, le bataillon Mansour a annoncé par ses propres canaux, en juillet, son intention d’étendre ses opérations dans la mère patrie. Autrement dit : l’insurrection. Peut-être, si possible, comme celui de l’Émirat du Caucase au début des années 2000 et avec le soutien d’autres groupes paramilitaires. Un retour au passé qui entraverait à la fois l’agenda étranger du Kremlin dans son ensemble, obligeant les décideurs à prêter attention aux événements intérieurs, et la stabilité du Caucase du Nord, historiquement dépendante de la situation en Tchétchénie-Ingouchie centrale.

L’appel aux armes du bataillon, habitué aux cris de guerre redoutables tout comme le cheikh dont il porte le nom, ne s’est pas fait attendre. La plus importante fut, sans doute, la résurgence d’un mouvement clandestin de soutien à la défunte république d’Itchkérie, l’anti-Tchétchénie au centre des deux guerres, emblématique par l’éclosion de discussions politiques sur son statut – entre l’Ukraine et l’Europe de l’Est – et l’apparition sur la scène de groupes de guérilla, tels que «les fils de l’ Itchkérie», qui promettent de déstabiliser l’ordre kadyrovien.

Que les menaces du bataillon Mansour soient les précurseurs d’un nouveau printemps de combats dans le Caucase du Nord, ou un astucieux écran de fumée – affaiblissant l’emprise de Moscou sur Kiev en la forçant à une attention dispersée – seule l’histoire le dira. Ce qui est certain, c’est qu’elles ont eu l’un des effets escomptés : intimider Kadyrov, l’inciter à rappeler ses loyalistes. En attendant de faire la guerre, peut-être, à ses portes.