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Le coup d’État permanent du Hezbollah au Liban

(Rome, 15 octobre 2021). Le pays est assis sur deux bombes à retardement : la terrifiante crise économique qui a affamé tous les Libanais à l’exception des nombreux milliardaires qui s’enrichissent grâce au marché noir, et l’impossibilité pour le Hezbollah d’admettre qu’il a tué Beyrouth pour cacher qu’il a tué Hariri. Riccardo Cristiano raconte ce qui s’est passé au Liban ces derniers jours et pourquoi

Quelque chose d’incroyable s’est passé à Beyrouth : le Hezbollah, qui est le « Parti de Dieu » de la doctrine khomeiniste et qui pendant des années avec des alliés très fidèles a dirigé le Liban, a découvert une anomalie : dans le pays qu’il contrôle depuis des années, le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir politique. Cela n’existe pas dans la culture politique du Hezbollah*. Il a donc appelé à une manifestation pacifique. Comme toujours lors de ses manifestations pacifiques, de nombreux miliciens étaient armés, un manifestant en particulier, portait un lance-roquettes de type RPG. Le plan, selon des sources non officielles, prévoyait la conquête du quartier en dix heures (Aïn el-Remmaneh, ndlr). Le quartier choisi pour la manifestation pacifique était le même où la guerre civile a éclaté en 1975. Mais un sniper posté sur les toits près du cortège a (minutieusement, ndlr) frappé le manifestant avec l’arme susmentionnée, un milicien du Hezbollah qui avait combattu pendant des années en Syrie.

Peu de temps après, Français et Américains font entendre leur voix au plus haut niveau : rétablir le calme, faire baisser la tension. C’est le message de l’Occident. Alors personne n’a parlé de tentative de coup d’État, personne n’a dit qu’une tentative d’occupation militaire de Beyrouth était en cours. L’action du sniper, qui est par quelques uns identifié à un sniper des Forces libanaises de Samir Geagea** qui a (farouchement, ndlr) nié, a pris de court les manifestants. D’autres hommes armés sont intervenus, de part et d’autre, le cortège s’est dispersé. Le coup d’État a peut-être échoué à ce moment-là, mais personne n’a parlé de tentative de coup d’État, comme l’explique Riccardo Cristiano dans son analyse sur «Formiche».

Passons à la raison de la confrontation. Le Liban a eu un nouveau gouvernement il y a quelques semaines après une crise politique qui dure depuis août dernier avec un gouvernement démissionnaire chargé d’expédier les affaires courantes. Cela a empêché les négociations avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale de commencer à sauver le pays de la faillite totale. Alors aujourd’hui à Beyrouth, l’essence est épuisé, pas d’électricité, les supermarchés sont vides, les hôpitaux sont presque totalement paralysés. Le nouveau gouvernement est le résultat d’un compromis béni par la France : la composition favorise le Hezbollah et ses alliés mais met fin à la paralysie et permet des négociations avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.

N’avait-on pas gardé à l’esprit que le nouveau gouvernement a mis hors course les ministres de l’exécutif précédent ? Qui sait ? En effet, le magistrat qui enquête sur la gigantesque explosion ayant réduit en poussière le 4 août 2020 tout le port de commerce de Beyrouth, très central et l’un des plus importants de toute la Méditerranée orientale, a repris l’enquête sur les ministres ne bénéficiant plus de l’immunité, y compris le premier ministre sortant***, qui s’est précipitamment envolé pour les États-Unis. La question devait être résolue sur le champs car il est devenu évident que ce qui avait été dit à la télévision par un intellectuel libanais de premier plan, aussitôt assassiné, était évident : le port aurait été dynamité par le Hezbollah, dont on sait qu’il a notoirement le contrôle total depuis des années.

Des hommes politiques proches du Hezbollah ont demandé à la Cour de cassation sa destitution pour suspicion légitime. Toutefois, la Cour a rejeté leur demande. À ce moment-là, le chef du Hezbollah et le président du Parlement, son éternel allié, sont intervenus : tous deux ont demandé au gouvernement de le destituer. Mais au Liban, c’est la surprise à laquelle le Hezbollah ne s’attendait pas, le gouvernement ne peut pas révoquer un juge. Et la Cour de cassation a rejeté un nouveau pourvoi demandant sa radiation immédiate, là encore pour suspicion légitime. À ce moment-là, le Hezbollah a brandi la menace d’une crise gouvernementale, a annoncé que ses ministres ne participeraient plus aux réunions du gouvernement et a appelé à une manifestation pacifique. Ce RPG photographié par de nombreuses personnes, entre les mains d’un milicien de retour des combats syriens, en est la synthèse et l’explication.

Reste maintenant à comprendre pourquoi le Hezbollah aurait détruit le port de Beyrouth et a ainsi rendu des centaines de bâtiments insalubres, faisant d’un grand nombre de familles des sans-abri, 216 morts et plus de 6.000 blessés. Le jour de l’explosion, le 4 août 2020, était la veille de l’annonce de la condamnation prononcée par le Tribunal international pour le meurtre de Rafiq Hariri et de 22 personnes voyageant avec lui, le 14 février 2005, en plein cœur de Beyrouth. Dans le box des accusés se trouvait une cellule de personnel du Hezbollah, tous des fugitifs. La peine a condamné le chef de cellule pour meurtre intentionnel et prémédité, ajoute Riccardo Cristiano. Mais il n’y a pas eu de réaction politique internationale à ce verdict, qui a condamné un parti clé du gouvernement libanais pour l’assassinat de l’ancien premier ministre. Cette réaction internationale ne s’est pas produite car Beyrouth était en ruines : le pays risquait de s’effondrer, les scénarios n’étaient d’ailleurs pas alarmants, au contraire. Le Président Macron s’est rendu au Liban en personne, sans délai, et a demandé deux choses : une enquête et un gouvernement technique pour sauver le Liban et les Libanais.

Que va-t-il se passer maintenant ? Sur la table du gouvernement, il y a trois demandes formulées par les contestataires pour revenir à la normale et éviter une nouvelle crise gouvernementale qui paralyserait un pays qui souffre de la famine : révocation du juge d’instruction, enquête sur les Forces libanaises, condamnation ferme de l’armée pour ne pas être intervenue pour protéger les manifestants pacifiques. On a une interrogation sur le comportement de l’armée dans une telle situation, qui fait également penser à une connivence.

Les points deux et trois pourraient également être résolus avec des jeux lexicaux auxquelles chacun est passé maître. Mais le premier point est un obstacle insurmontable : même l’allié de fer du Hezbollah, le président de la République Michel Aoun, ne peut couvrir la destitution par l’exécutif d’un magistrat confirmée par la cour suprême (l’autorité compétente, ndlr). Rappelons qu’un juge d’instruction avait déjà été destitué, toujours à la demande des mêmes ministres proches du Hezbollah ****.

C’est ainsi que se dessine la voie du gouvernement paralysé : le Premier ministre pourrait démissionner et rester en fonction pour gérer les affaires courantes, mais plus vraisemblablement il ne pourrait pas démissionner, restant à la tête d’un gouvernement en ayant les mains liées. Mais l’affaire semble inextricable par le fait que les élections sont imminentes et le Hezbollah a peur de les perdre. Le consensus est ébranlé, nombreux sont qui comprennent que sa conduite dans la tragédie du port dissimule des fautes qu’il ne peut admettre. Le Liban est assis sur deux bombes à retardement : la terrifiante crise économique qui a affamé tous les Libanais à l’exception des nombreux milliardaires qui s’enrichissent grâce au marché noir, et l’incapacité du Hezbollah à admettre qu’il a tué Beyrouth pour cacher le fait qu’il a tué Hariri. Mais la justice ne peut pas reculer à ce stade et dimanche, le Liban, qui soutient le juge d’instruction, sera sur la Place des Martyrs. Il faut retenir le nom de l’homme qui veut sauver les institutions, en s’assurant au moins que le Hezbollah ne reste pas un État dans l’État et ne fasse pas du Liban un État impuissant dans l’État du Hezbollah : il s’appelle Tarek Bitar.

* (11.10.2021):
Liban: l’inquiétude s’empare des Libanais après les «fatwas» de Hassan Nasrallah

** (19.01.2021):
Quand tu te fais poignarder par derrière, saches que tu es devant. Samir Geagea et les Forces Libanaises en exemple

** (11.12.2020):
portrait d’un sauveur, Samir Geagea, un homme de principe dans un monde d’arrivistes

*** (03.07.2021):
l’enquête sur l’explosion de Beyrouth redémarre impliquant le Premier ministre Hassan Diab

**** (18.02.2021):
Le pouvoir libanais s’enfonce: il dessaisit le juge Fadi Sawan de l’enquête sur l’explosion du port. Les familles des victimes réclament une enquête internationale

 

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