(Paris, Rome, 09.08.2023). Malgré l’expiration de l’ultimatum, la CEDEAO n’a encore mis en œuvre aucune action militaire contre les putschistes qui ont pris le pouvoir à Niamey. Et une série de raisons internes et internationales suggèrent qu’il est peu probable qu’elle le fasse. Laisser la diplomatie jouer le premier rôle
Entre le dimanche 6 et le lundi 7 août, à minuit, l’ultimatum lancé par la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, à l’encontre des militaires qui ont pris le pouvoir au Niger par un coup d’État, a expiré. Mais, plus de quarante-huit heures plus tard, aucune mesure n’a été prise par les pays membres de l’organisation africaine contre les auteurs du putsch. Derrière cette impasse se cachent non seulement une certaine faiblesse interne de la CEDEAO elle-même, mais aussi la complexité des dynamiques et l’instabilité sécuritaire tant de la région que du Niger lui-même, nous explique Lorenzo Piccioli dans son analyse dans les colonnes du quotidien «Formiche».
Tout d’abord, la question de l’emprise des putschistes sur le pouvoir : le gouvernement du Conseil national pour le salut de la patrie (comme se nommaient les fidèles du rebelle Omar Tchiani) bénéficie du soutien de la Garde présidentielle (dirigée jusqu’à il y a quelques jours par Tchiani) et les chefs des forces de sécurité nationale, qui malgré des menaces d’intervention violente pour rétablir l’ordre dans les premières heures du coup d’État, ont finalement décidé de soutenir la transition et de rejoindre l’exécutif ; En outre, une partie de la population s’est montrée favorable au nouvel exécutif, comme en témoignent les manifestations nationalistes et anti-occidentales qui ont eu lieu ces derniers jours. Les citoyens qui ont protesté contre la destitution du président élu Mohammed Bazoum et l’instauration du régime militaire sont décidément moins nombreux que ceux du camp adverse, mais ils ont néanmoins montré qu’ils étaient là. Par ailleurs, bien que les hiérarchies militaires aient pris position en faveur du coup d’État, il n’est pas encore clair si le même sentiment des dirigeants est partagé par les 30.000 militaires qui composent l’appareil sécuritaire nigérien, qui ont été formés par les forces armées italiennes, et qui pourraient donc être un peu plus sensibles aux valeurs libérales.
Dans la situation sociale interne, il existe une possibilité d’un retour à la démocratie sans ingérence extérieure. En effet, une intervention militaire ne ferait qu’aggraver la situation, réveillant l’esprit nationaliste de la population qui se rangerait carrément autour de l’exécutif actuel. Et, même en cas de succès, la légitimité d’un président réinstallé au sommet de l’État par des puissances étrangères, bien qu’il soit (auparavant) démocratiquement élu, serait hautement discutable. Il s’agit d’un facteur qui décourage davantage la CEDEAO de recourir à l’usage de la force.
A cela s’ajoutent d’autres facteurs, de nature plus large. Comme, par exemple, la grave situation sécuritaire dans le pays : le Niger est un pays en proie à l’extrémisme djihadiste, avec des groupes opérant à la fois à la frontière avec le Nigeria et dans la zone proche de la frontière avec le Mali.
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Toute offensive contre le Niger et contre ses structures militaires offrirait à ces organisations terroristes d’immenses opportunités de prolifération, créant ainsi une menace tout aussi grande (sinon plus) que celle qu’elles chercheraient à combattre.
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Le clivage existant au sein même de la CEDEAO décourage davantage la menace d’une opération militaire. Une partie de ses États membres, dont le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, est gouvernée par des régimes militaires établis par un coup d’État exactement comme celui qui s’est produit au Niger, et une intervention militaire visant à rétablir le statu quo précédent à Niamey ne ferait que «nuire» à leur légitimité : c’est pourquoi deux des États susmentionnés, à savoir le Mali et le Burkina Faso, ont déclaré qu’en cas d’attaque, ils prendraient la défense de l’actuel gouvernement nigérien. Mais même dans les Etats membres démocratiquement dirigés, les pressions internes sont fortes : le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Nigeria (qui est actuellement à la tête de la CEDEAO) font face à une forte opposition interne et à des troubles en réponse à l’option militaire au Niger.
Une situation cristallisée donc, qui laisse peu de place à une solution militaire. Mais qui laisse entrevoir une lueur d’une action diplomatique, à condition qu’elle soit menée par les bons acteurs. Les tentatives de négociations menées par la CEDEAO au lendemain du coup d’État se sont soldées par un échec, les membres de la junte militaire refusant de rencontrer les représentants de l’organisation. Cependant, il ne peut être exclu que de nouvelles tentatives de contact puissent effectivement se concrétiser.
Chose qui, en revanche, ne pouvait guère se produire avec la France, compte tenu de la dégradation des relations entre Niamey et l’ex-puissance coloniale depuis l’arrivée au pouvoir des militaires : les accusations mutuelles, Paris reprochant à Niamey de favoriser les manifestations anti-françaises et Niamey accusant Paris de vouloir bombarder le palais présidentiel, ont abouti à la dénonciation par le Conseil pour le salut de la Patrie de l’accord de coopération militaire entre Paris et Niamey. Un coup dur pour les Français qui, en 2022, avaient transformé le Niger en pièce maîtresse de leur dispositif sécuritaire au Sahel, suite à l’évolution du contexte au Mali et au Burkina Faso. A ce titre, l’Elysée ne représente certainement pas un interlocuteur privilégié.
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Pour l’heure, les points de contact que les putschistes semblent privilégier sont Rome et Washington. A travers un tweet, le ministre italien de la Défense Guido Crosetto a confirmé l’existence de contacts entre des représentants militaires italiens et des représentants de la junte nigérienne, suggérant entre les lignes un certain optimisme à l’égard de ce dialogue. Et Victoria Nuland, sous-secrétaire d’Etat aux affaires politiques de l’administration Biden, a également rencontré des représentants de l’exécutif nigérien en poste, sans toutefois pouvoir parvenir à un compromis. Signes timides d’une éventuelle négociation, qui intéresserait toutes les parties impliquées.
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Niamey et la CEDEAO ainsi que les principaux acteurs internationaux sont intéressés au maintien de la stabilité dans le pays et dans la région. Mais, en même temps, la pérennité du régime démocratique au Niger ne peut en aucune manière être compromise, comme le souligne Nuland elle-même. Si la junte militaire actuelle se montrait disposée à accepter une transition démocratique garantie par des tiers (qu’il s’agisse d’organisations internationales ou d’États individuels), il ne peut être exclu que la crise actuelle puisse être résolue par une solution négociée. Ce qui représenterait probablement l’option la plus viable pour sortir de cette impasse.