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Du Sahel au golfe de Guinée: l’expansionnisme victorieux du djihad en Afrique

(Rome, Paris, 08 octobre 2022). Fin août, un attentat a de nouveau secoué la capitale somalienne Mogadiscio. Le groupe djihadiste lié à Al-Qaïda, Al Shabaab, a frappé au cœur du pays africain en ciblant l’hôtel al-Hayat. Depuis plus de 15 ans, la guérilla du groupe terroriste a déstabilisé la nation de la Corne de l’Afrique, et les insurgés ne se contentent pas de frapper les principales villes et centres nerveux du gouvernement somalien mais, après des années de guérilla, ils administrent désormais diverses régions, notamment à l’intérieur des terres. Le cas de la Somalie est éloquent pour comprendre l’évolution du djihadisme en Afrique, qui déstabilise aujourd’hui toute la bande sahélienne, il s’est infiltré dans le centre-sud du continent, comme au Mozambique et en République démocratique du Congo, et vise désormais à s’étendre vers le golfe de Guinée, une zone de trafic illicite et un point stratégique pour le contrôle des activités illégales telles que le trafic de drogue et d’armes.

La leçon du scénario somalien

Dans son analyse, Daniele Bellocchio du quotidien italien «Il Giornale/Inside Over», explique comment faut-il comprendre la raison pour laquelle le djihadisme a triomphé en Somalie, si l’on veut comprendre pourquoi l’Afrique est aujourd’hui le nouveau terrain de conquête de l’internationalisme du drapeau noir. La raison pour laquelle Al Shabaab n’a pas été vaincu malgré le déploiement de contingents internationaux et les bombardements américains, peut être trouvée en analysant le tissu socio-politique de l’ancienne colonie africaine. La Somalie a été le premier d’une longue série d’États défaillant et après l’effondrement du régime de Siad Barré, la guerre des seigneurs de la guerre et les échecs des interventions internationales, le pays a plongé dans une crise sans précédent au milieu des années 1990, dont il n’est, en effet, jamais sorti.

L’absence d’un État centralisé, le manque d’infrastructures, la guerre chronique et l’insécurité absolue sont autant de facteurs qui ont permis au groupe terroriste de s’étendre et de se substituer à l’État pour garantir les services de base et la protection de la population. C’est en résumé la raison pour laquelle, en Somalie, Al Shabaab a réussi à créer une nation au sein d’une nation, ou plutôt un État là où il n’y avait pas d’État. Et si à ces détails on ajoute la fragilité institutionnelle des nations africaines, l’inattention des médias internationaux, la présence d’importants gisements et richesses dans le sous-sol, la porosité des frontières, la corruption dominante, la capacité des acronymes djihadistes à s’insérer dans les affrontements ethniques et sociaux, on comprend alors pourquoi, après la défaite de l’Etat islamique au Moyen-Orient et la mort des dirigeants historiques d’Al-Qaïda, le djihad mondial considère aujourd’hui l’Afrique comme une terre de conquête et d’expansion.

Le Mali est la nouvelle usine du djihadisme africain

Le pays central du djihadisme africain est désormais le Mali qui, notamment après le retrait (déjà) annoncé du contingent français, la démobilisation de la mission internationale Barkhane, les deux coups d’État qui ont eu lieu en 2020 et 2021, l’arrivée des mercenaires russes du groupe Wagner et leur violence contre la population, devient l’équivalent de la Somalie dans la partie occidentale du continent. Le djihadisme au Mali a des origines historiques, économiques et politiques. Le Mali est d’abord la porte d’entrée du Sahara et constitue une zone de transit pour les armes, la drogue et les migrants : quiconque contrôle ces zones, contrôle également les routes illégales qui les traversent.

Ensuite, il faut rappeler qu’après la guerre d’Algérie divers mouvements islamistes, orphelins d’une patrie, ont vu un possible refuge nouveau et sûr dans le pays sahélien. Et il y a aussi la question séculaire des Touaregs à l’origine du phénomène islamiste malien. Après la chute de Kadhafi, de nombreux Touareg qui travaillaient comme gardes privés pour le raïs sont retournés dans leur pays avec l’intention de créer l’État autonome de leur peuple : l’Azawad. Et dans leur lutte pour l’indépendance, ils ont trouvé comme alliés les groupes de la galaxie djihadiste. La guerre qui a éclaté en 2012 a propulsé la déstabilisation du pays, notamment dans le nord, et on a assisté à la montée en puissance de groupes tels que «AQMI» (Al-Qaïda au Maghreb islamique), le «MUJAO» (Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest) et «Ansar Ed-Dine». Aujourd’hui, les groupes les plus actifs sont le « JNIM» Jamat Nousrat al-Islam wal-Mouslimine et l’État islamique dans le Grand Sahara «EIGS».

La première est la formation la plus violente présente au Mali et au-delà. Elle est liée à Al-Qaïda, elle a également réussi à infiltrer la précédente lutte interethnique entre les bergers et les communautés agricoles et, aujourd’hui, par une politique de terreur impitoyable, elle s’étend et infecte de plus en plus les pays voisins. Le JNIM a également pénétré profondément au Burkina Faso, un pays également dévasté par des coups d’État, des affrontements interethniques et une crise humanitaire atroce. Depuis 2019, il est présent dans le nord du Bénin et, depuis 2021, le groupe a réussi à créer sa propre antenne au Togo, un pays qui n’avait jamais été touché par le djihadisme.

Les autres frontières : le Niger et le Burkina Faso

L’État islamique du Grand Sahara, lié à Daech, est responsable des principales actions au Niger et opère principalement le long de la frontière nigéro-malienne. Mais non seulement. Les terroristes du Grand Sahara, également connus sous le nom d’EIPS, l’État islamique de la province du Sahel, opèrent également au Burkina Faso ainsi qu’au Bénin.

Les deux groupes sont les protagonistes d’une véritable compétition pour le contrôle du Sahel et ce facteur les a amenés à plusieurs reprises à s’affronter même si, occasionnellement, se sont alliés contre les troupes exécutives locales. La menace de ces formations effraie grandement les institutions locales et internationales car le radicalisme salafiste est de plus en plus incontrôlable. Les acronymes présents entre le Mali et le Burkina Faso sont nombreux et aujourd’hui, la répression menée par le gouvernement de Bamako, avec l’appui des mercenaires du groupe Wagner, est blâmée par une grande partie de la population, notamment des zones rurales, qui se trouve au milieu d’un affrontement féroce qui n’épargne pas les civils. La vacance du pouvoir, le manque de perspectives pour les jeunes et l’instabilité chronique, sont autant de facteurs qui aident les djihadistes. Un exemple concret dans la région est ce que Boko Haram a fait au Nigeria pour créer son propre « califat », dans la région du lac Tchad, en profitant de la crise environnementale, de l’absence de tout moyen de subsistance et du désespoir des populations qui habitent ce qui fut le quatrième plus grand lac du continent africain.

La guerre qui déchire le Nigeria

Depuis plus de 10 ans maintenant, le nord du Nigeria est en proie à une guerre extrêmement sanglante entre la formation islamiste Boko Haram et les forces d’Abuja. A ce jour, le conflit a causé la mort de plus de 350.000 personnes et a condamné le nord du pays à une situation de crise humanitaire sans fin. Malgré les défaites sur les champs de bataille, le changement de dirigeants, la mort des guides historiques Mohamed Youssouf et son successeur Shekau, le groupe continue de surveiller de larges portions de la forêt de Sambisa et, en plus, depuis qu’une scission interne et la naissance d’ISWAP (The Province de l’État islamique en Afrique de l’Est), la région du lac Tchad est devenue la forteresse des drapeaux noirs liés à Daech qui y ont créé un véritable État avec même un système de taxation pour garantir les services de base à la population.

La puissance militaire du groupe, en plus d’une décennie de guérilla, s’est affinée, et de larges pans de la population soutiennent les terroristes. Le contrôle du territoire, la capacité militaire et le soutien de la population constituent trois facteurs clés pour comprendre pourquoi, le djihadisme, au fil des ans trop souvent décrit comme une menace, est au contraire devenu une véritable réalité qui a atteint son objectif : créer un État islamique. Au Sahel les groupes salafistes, dans certaines zones, ont réussi à remporter la victoire qu’ils souhaitaient, et dans d’autres, ils font tout pour la conquérir, et aujourd’hui l’une des régions visées par les groupes djihadistes africains est le golfe de Guinée.

L’année dernière, le chef de la DSGE, les services secrets français, Bernard Emié, a montré lors d’une conférence de presse une vidéo de quatre des principaux chefs qaïdistes opérant au Sahel, alors qu’ils révélaient leurs futurs plans : étendre le djihadisme dans le golfe de Guinée. La raison ? A la fois pour disposer d’un arrière-pays sûr dans lequel se retirer des sables ardents du Sahel, mais surtout pour contrôler la porte d’entrée de toutes les marchandises sur le continent africain. Les infiltrations islamistes au Bénin sont confirmées, au Togo également, en Côte d’Ivoire, des attaques ont été enregistrées. En substance, le djihadisme en Afrique a déjà sécurisé une grande partie de la principale sortie, le Sahel, par laquelle transitent hommes, armes et drogues vers les côtes méditerranéennes ; désormais, l’objectif est la principale entrée de l’Afrique : le golfe de Guinée. Les enjeux sont encore plus importants et les pays africains et la communauté internationale n’ont pas le choix : il est interdit de répéter les mêmes erreurs que celles commises au Sahel.

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