(Rome, Paris, 30 septembre 2022). Le discours fleuve de Vladimir Poutine pour l’officialisation des annexions territoriales doit être examiné avec attention, en l’adoucissant avec des paillettes et des sequins dont il a été embelli, comme la retransmission en direct sur la Place Rouge à travers des écrans géants. Mais, surtout, il faut le déposséder de la rhétorique, qui remonte à Hiroshima et Nagasaki, passant même par des théories qui ne correspondent à rien, pour aboutir à la tirade anti-occidentale. Evidemment, il n’a pas ménagé la référence au sabotage du réseau Nord Stream, dont il a dit qu’il s’agissait d’une signature anglo-saxonne.
Les paroles de Poutine
Ce qui importe le plus, dans la cérémonie d’aujourd’hui, comme le souligne dans son décryptage le média italien «Inside Over», c’est que « nous ne voulons pas un retour à l’URSS » avec une énième référence malicieuse à l’œuvre de Gorbatchev, mais surtout que « Kiev respecte la volonté du peuple, déclare un cessez-le-feu et revienne à la table des négociations, nous y sommes prêts ». « Nous sommes prêts » est une phrase importante, qui n’était jamais apparue dans la rhétorique poutinienne dans laquelle revient le discours sur les négociations. Un retour au dialogue dans lequel, toutefois, l’agressé devrait d’abord se rendre : ce que la logique et le droit international ne comprennent pas et n’acceptent pas, doivent cependant être évalués du point de vue de Poutine. Et pour le commandant en chef de cette « opération militaire spéciale », le simple fait d’avoir prononcé ces mots, est le signe d’une révolution copernicienne dans la conduite de la guerre, qui marque désormais un tournant.
Poutine et ses loyalistes sont entourés d’ennemis : l’Occident, les faucons de guerre, la résistance interne du pays qui commence à émerger sous forme d’évasion, de sabotage, de manifestations. Et puis une caravane de pays asiatiques qui ne l’ont certainement pas accueilli à bras ouverts à Samarkand.
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Toutes ces poussées se traduisent par un résultat qui a la forme d’une tenaille, politique et militaire (et peut-être aussi morale), qui fait pression sur le Kremlin et dont Moscou doit se dégager pour sortir avec un minimum d’honneur.
Poutine a-t-il gagné ou perdu ?
Poutine a-t-il gagné ? Partiellement. Il a réalisé le rêve du Donbass et de la création d’un tampon territorial abondant bourré de prétextes ethniques, linguistiques et, dans sa logique, historiques. Il crée les conditions préalables pour que, bien qu’il se soit emparé de ces zones au mépris du droit international, personne en Occident ne puisse songer à contre-attaquer dans les zones annexées, sous peine d’agression nucléaire. Il crée les conditions pour que le Président Zelensky soit contraint d’abdiquer ces territoires et de subir éventuellement l’indignité de déclarer, en premier, un cessez-le-feu.
Poutine a-t-il perdu ? Également. Penser que l’agression qui a débuté en février dernier visait à tirer 100 pour en avoir 10 (le Donbass) serait naïf. Dans les plans de Moscou, prendre l’Ukraine et renverser son régime étaient un objectif réel et primordial. Il a échoué, de manière inattendue : la résistance interne, le soutien militaire indirect de l’OTAN, les problèmes du système militaire russe y ont contribué.
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Mais aujourd’hui, ayant sécurisé la zone effectivement conquise, Poutine et son cercle magique sont bien conscients qu’il ne sera pas possible d’aller plus loin. Prendre Kiev est impensable avec une armée en déroute et des mobilisés en fuite. Réessayer dans un proche avenir ? Ce serait la troisième guerre mondiale. Et peut-être que l’hypothèse, redoutée il y a plusieurs jours, qu’une mobilisation partielle sert en réalité à créer le cordon de sécurité autour (et dans) les oblasts conquis, gagne du terrain. Et Odessa ? Difficile à imaginer. Un objectif stratégique en recul, qui représenterait le danger extrême d’un contact réel et direct entre l’OTAN et la Russie.
Les difficultés de Moscou
Poutine craint assurément la Russie elle-même plus que l’OTAN, poursuit l’analyse du média italien. Comme nous tous, les images d’un pays divisé parviennent aussi au Kremlin. Tout comme la pression des faucons de guerre, mécontents de l’avancée du conflit et, probablement, de ce « maigre résultat » qui a même provoqué un coup de tête de quelqu’un comme Ramzan Kadyrov. Ce dernier, cependant, est la même personne qui, aujourd’hui, aux paroles « la vérité est de notre côté, la Russie est avec nous », a participé à l’ovation, debout, fondant en larmes, histoire d’ajouter encore plus de schizophrénie aux relations entre Poutine et ses amis acolytes.
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Le «Saint-George’s Hall», comble, où ne manquait que de Kirill, le père spirituel de cette croisade à laquelle Covid a fait faux bond, a réuni l’élite politique russe en grisaille. Mais ce rassemblement, plus qu’en présence de Poutine, semblait destiné à l’examiner : le show du président ressemblait à une longue pièce de théâtre, visant à les convaincre que tout se déroule comme prévu et que les objectifs fixés ont été atteints. Mais il s’agit d’une victoire limitée : Poutine le sait, tout comme l’ensemble du rassemblement.
Si la désescalade commence ici, les prochaines heures nous le diront : certes, la double voie suivie par Moscou ces dernières semaines fait beaucoup réfléchir. Or, ironie du sort, les conditions imposées par Poutine mettent 50% entre les mains de l’agressé, et l’Occident son protecteur, le début de cette nouvelle phase. Le choc sera d’époque : entre droit et stratégie, entre justice et réalisme. Mais une nouvelle phase va aussi commencer pour Vladimir Poutine, chez lui. Et ce sera une guerre dans la guerre.