(Montréal, Rome, Beyrouth, 26 octobre 2021). Le plan du Hezbollah était pourtant bien bouclé pour achever sa mainmise sur l’ensemble du Liban et en finir une fois pour toute avec les juges qui hantent ses nuits, avec l’armée qui continue tant bien que mal de lui tenir tête, et surtout avec les souverainistes qui l’empêchent de concrétiser son rêve de Wilayat e-Faguih au Pays du Cèdre.
Le Hezbollah, responsable et victime de l’explosion du port
Depuis l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, le Hezbollah a mobilisé toutes ses forces pour empêcher l’enquête d’aboutir et s’est farouchement opposé à toute enquête internationale. Il a réussi à dessaisir le juge Fadi Sawwan pour avoir mis en cause d’anciens ministres proches du Hezbollah (négligence ou complicité). Il a aussi assassiné plusieurs témoins encombrants comme l’ancien officier de la douane Mounir Abourjeili – un autre officier de la douane, Joseph Skaff, assassiné en 2017 pour avoir dénoncé les agissements du Hezbollah dans l’enceinte du port – ou encore le photographe Joseph Bejjani, qui disposerait de clichés compromettants prouvant l’existence de quatre véhicules blindés du Hezbollah devant le hangar N° 12. Les quatre véhicules étaient calcinés. Certaines sources affirment que des officiers iraniens et le fils de Hassan Nasrallah, se trouvaient dans le hangar juste avant l’explosion. Certains y auraient péri, d’autres auraient réussi à s’échapper à travers les tunnels qui relient le port à la banlieue sud de Beyrouth.
Mais la détermination du juge Tarek Bitar à poursuivre l’enquête de là où son prédécesseur l’avait interrompue, inquiète le parti chiite. Hassan Nasrallah a directement menacé de «l’arracher» pour en finir avec cette enquête. Il a également menacé d’envoyer ses «100.000 combattants pour soumettre et éduquer les souverainistes mal polis». Il a déjà tenté de terroriser le palais de justice et les quartiers chrétiens souverainistes de Aïn-Remaneh, Furn el-Chebbak et Tayyouné, le 14 octobre dernier. Mais il a été repoussé par les habitants, en légitime défense.
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Nasrallah utilise la justice militaire contre les civils et s’en prend aux souverainistes
Cette tentative n’était pas la dernière. Le Hezbollah s’en prend depuis à l’armée et aux Forces Libanaises. Il utilise le procureur du gouvernement auprès du tribunal militaire, Fadi Akiki (marié à la nièce de Nabih Berri) pour faire convoquer Samir Geagea devant la justice militaire, malgré les vices de forme flagrants: un civil ne peut pas comparaitre devant une juridiction militaire; un imprimé collé sur la porte d’entrée de Mearab, siège du chef des Forces Libanaises; le «torchon» précise l’heure et le lieu de la convocation, exposant Samir Geagea à tous les dangers sécuritaires…
Or, les tentatives du Hezbollah se sont avérées des «pétards mouillés» et ont produit exactement les effets inverses. Au lieu d’isoler Geagea, de terroriser l’armée et d’intimider le juge, le Hezbollah a réussi à unifier autour de Geagea tous les souverainistes: la majorité des chrétiens, les trois quart des sunnites, les deux tiers des druzes et un quart des chiites. Pis encore, le Hezbollah a accéléré l’effondrement de son allié chrétien contre-nature, le Courant Patriotique Libre et a isolé le président Michel Aoun, accusé désormais de mener une nouvelle «guerre d’élimination» des Forces Libanaises pour le compte de l’Iran, 31 ans après sa première tentative (1990) pour le compte de la Syrie.
La mobilisation des souverainistes: mieux vaut tard que jamais
Cette nuit, le camp souverainiste est en état d’alerte. Les églises font sonner leur cloche et les appels à la mobilisation se multiplient. Des dizaines de milliers de personnes sont attendues ce mercredi 27 octobre pour occuper les rues et manifester leur soutien à Geagea et leur rejet de la justice martiale commandée par un chef terroriste. Le plus important rassemblement est prévu entre Bkerké, le siège du Patriarche, et Meerab, le siège de Geagea. Les souverainistes auront ainsi relié les deux piliers du Liban Libre: l’Eglise maronite et les Forces Libanaises. Ce mardi, après sa rencontre avec le Président du Parlement Nabih Berri, le Patriarche Raï s’était rendu au Sérail pour rencontrer le premier ministre Najib Mikati, et au palais présidentiel pour rencontrer le Président Michel Aoun. Il leur a fait part de son opposition à la politique de «deux poids deux mesures».
A cet égard, il convient de rappeler que depuis les premiers assassinats politiques, entamés en 2004 (Marwan Hamadé), en passant par celui de Rafic Hariri et la vingtaines d’autres personnalités politiques, par la razzia de Beyrouth de mai 2008, et pour couronner le tout, l’attaque de Tayyouné du 14 octobre, le Hezbollah refuse de se soumettre à la justice et se vante de lui faire un bras d’honneur.
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Aujourd’hui, les conditions semblent différentes. D’abord, les Forces Libanaises ne sont plus isolées. Le camp souverainiste ne cesse de grandir sous leur houlette et celle du Patriarche. Les Forces Libanaises pèsent de plus en plus politiquement, avec 15 députés. Ensuite, les agissements du Hezbollah en Syrie, au Liban, au Yémen et ailleurs dans le monde, et son implication dans le terrorisme et les trafics transfrontaliers l’ont mis à nu. Et pour les Libanais, son image s’est dégradée. Enfin, la majorité des officiers supérieurs de l’armée, et son commandant le général Joseph Aoun, rejettent de plus en plus le diktat du Hezbollah qui les humilient, et refusent de cautionner ses tentatives d’intimider les souverainistes.
Nasrallah est prêt à tout détruire pour sauver sa tête et son plan
Dans ce contexte, la dernière tentative du Hezbollah contre Samir Geagea, l’armée et la justice est condamnée à l’échec. Mais le risque d’une escalade, à l’occasion d’une nouvelle tentative, est réel. Car, le «plan B» de Hassan Nasrallah consiste aussi à empêcher la tenue des élections législatives au printemps (théoriquement le 27 mars 2022). Il a d’abord tenté de torpiller le vote de la diaspora qui lui est hostile et cherche à présent à repousser le scrutin au-delà de novembre 2022. Nasrallah est en effet conscient que son parti et ses alliés perdront leur majorité parlementaire. En repoussant le scrutin, il espère élire le futur président de la même trempe de Michel Aoun – dont le mandat arrive à terme le 31 octobre 2022 – pour le garder sous contrôle. D’où les vives inquiétudes qui s’emparent des Libanais: l’hiver sera chaud, très chaud. Le Liban est assis sur une poudrière et Hassan Nasrallah est prêt à allumer la mèche.
Sanaa T.