Samir Geagea : «le Hezbollah peut rester un parti politique, mais il doit démanteler sa milice»

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(Rome, 31 octobre 2024). Le président exécutif du plus grand parti du Pays des Cèdres s’exprime

«Le Hezbollah peut rester un parti politique. Mais il doit démanteler sa milice et interrompre la coopération militaire avec l’Iran». En esquissant l’avenir du Liban, Samir Geagea est plus pragmatique qu’on pourrait s’y attendre de la part d’un homme comme lui, qui a toujours été un ennemi du Parti de Dieu. S’il existe un dirigeant libanais qui a été sous l’œil de nombreux gouvernements ces derniers mois, même d’Israël, c’est certainement lui. Chrétien maronite, 72 ans, Geagea fut l’un des seigneurs les plus notoires de la guerre civile de 1975-1990. Il est aujourd’hui le président exécutif du plus grand parti au Pays du Cèdre : les Forces Libanaises. Être reçu dans sa forteresse de Meraab, sur une montagne qui surplombe Beyrouth, signifie se soumettre à une série de contrôles minutieux. Un peu comme pour suggérer l’équilibre précaire dans lequel se trouve encore aujourd’hui le Pays du Cèdre, rapporte Roberto Bongiorni dans les colonnes du quotidien «Il Sole 24 Ore».

Dans une interview accordée au journal italien, le leader des souverainistes libanais Samir Geagea a, entre autres sujets, évoqué les tensions entre les déplacés libanais et les communautés hôtes, tout en affirmant que ces frictions, bien qu’inquiétantes, ne mèneraient pas à une guerre civile, rappelant qu’il faut «être deux pour danser le tango».

Lors de son long interview, il a néanmoins reconnu l’existence d’une peur omniprésente parmi les civils, notamment lors des frappes aériennes visant des membres du Hezbollah dissimulés parmi les populations. Pour le leader des opposants libanais, réduire les risques de tels incidents est une responsabilité partagée par tous. L’homme d’Etat estime qu’une grande milice fait la guerre, mais pas la politique. Nous sommes gouvernés par une alliance entre les armes et la corruption. Nous devons changer de rythme. Sinon, nous restons là où nous en sommes aujourd’hui, martèle avec confiance l’homme qui pourrait être le sauveur du pays.

L’INTERVIEW EN INTEGRALITE :

Monsieur Geagea, existe-t-il une solution viable pour mettre fin au conflit ?

Il y a toujours une solution. Malheureusement, nous sommes confrontés à deux séries de problèmes. D’une part, il y a la guerre entre Israël et le Hezbollah et les dégâts qui en résultent sur le front intérieur. De l’autre, les problèmes que nous vivons au Liban depuis maintenant 30 à 40 ans. Je crois qu’aujourd’hui la priorité est d’arrêter la guerre et de parvenir à un cessez-le-feu. Mais il ne suffit pas de l’invoquer. Notre premier ministre le réclame depuis des mois. Il n’y a qu’un seul moyen d’atteindre cet objectif : le gouvernement libanais doit déclarer avec force qu’il s’engagera à mettre en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité numéro 1559 (qui prévoit le désarmement de toutes les milices, ndlr), 1.680 et 1.701 (qui prévoient plutôt le retrait des forces du Hezbollah au-delà du fleuve Litani).

Tout commence à partir de ce point. Il existe cependant une meilleure solution : élire un nouveau président. Au Liban aujourd’hui, il n’existe pas de véritable État. Depuis deux ans, nous sommes sans président et avec un gouvernement intérimaire. Nous avons besoin d’un président déterminé à mettre en œuvre les résolutions de l’ONU. C’est le seul moyen de parvenir à un cessez-le-feu. Le reste viendra plus tard.

Pourquoi n’avez-vous pas encore réussi à élire un président ?

Parce que l’Axe de la Résistance (du Hezbollah à l’Iran) n’accepte pas de véritables élections. Ils ne veulent participer à une session électorale que s’ils savent à l’avance qui sera nommé président. Ne disposant pas de majorité au Parlement, ils ne peuvent pas imposer leur candidat. Ils avaient un candidat, Sleiman Frangieh. Ils ont tenté de l’imposer, mais ils n’ont pas réussi. Ils ont par la suite paralysé les élections.

Lorsque la guerre sera terminée, considérerez-vous le Hezbollah comme un parti politique ?

Le Hezbollah a de nombreux partisans au sein de la communauté chiite du Liban. Nous respectons ce fait. Ainsi, il peut facilement continuer à opérer en tant que parti politique, il peut également entretenir des liens politiques avec l’Iran, tout comme nous entretenons les nôtres avec nos amis : l’Europe, l’Italie, l’Arabie Saoudite et d’autres pays arabes. Mais ils ne peuvent pas être à la fois un acteur politique et un groupe militaire indépendant opérant en dehors de l’État.

Il y a plus d’un million de Libanais déplacés. Comment faire face à cette situation d’urgence ?

C’est un gros problème avec lequel nous vivons depuis 2006. Les Libanais ont l’habitude d’abandonner leurs villages et d’y revenir au plus vite. La plupart des personnes déplacées souhaitent retourner chez eux. Même si les maisons sont détruites. Le vrai problème est celui de la reconstruction.

Elle s’annonce colossale…

Heureusement, le Liban compte de nombreux pays amis, notamment dans le monde arabe. Mais les pays arabes ont détourné leur regard du Liban. Il n’y a pas d’État avec lequel traiter. Les décisions sont prises en dehors des institutions à cause du Hezbollah. C’est pourquoi ils ont peur. Même la plupart de nos amis occidentaux ont quitté le Liban. Si nous avons un président déterminé à restaurer l’État de droit au Liban, je pense que la reconstruction ne sera pas un obstacle. Il y a quelques jours, nous avons réussi à récolter un milliard de dollars rien que pour une aide. Cependant, c’est une chose de récolter des fonds, c’en est une autre de les gérer correctement lorsqu’ils arrivent. Et c’est là qu’intervient la corruption.

Comment les divisions confessionnelles ont-elles alimenté ce phénomène omniprésent ?

Ce n’était pas et ce n’est toujours pas un problème de divisions confessionnelles. Il faut cependant tenir compte qu’au cours des 20 dernières années, le Hezbollah n’a pas eu la majorité dans le pays. Il disposait d’une importante milice, c’est vrai. Mais une grande milice fait la guerre, pas la politique. Alors, pour avoir la majorité, ils ont noué des alliances avec les partis les plus corrompus du pays. Depuis 15 ans, nous sommes gouvernés par une alliance entre les armes et la corruption. Un changement de rythme s’impose. Sinon, nous restons là où nous en sommes aujourd’hui.

Même avant la guerre, le Liban traversait une très grave crise économique. Existe-t-il des réformes structurelles, aussi douloureuses soient-elles, susceptibles de remettre l’économie sur pied ?

Nous n’avons pas besoin de réformes douloureuses, mais simplement de réformes. Par exemple, depuis 4 à 5 ans, nous avons connu un déficit budgétaire annuel de 4 à 5 milliards de dollars. Il s’agit de pertes accumulées à la fin des dix années précédentes. Mais si l’on considère que chaque année, la contrebande entre le Liban et la Syrie représente à elle seule au moins un milliard ; que le secteur électrique génère des pertes de deux milliards, simplement parce que le parti qui contrôlait ce ministère était allié au Hezbollah. Et si l’on considère que l’évasion fiscale engloutit deux autres milliards. Là, rien qu’avec ces «réformes non douloureuses», 5 milliards de dollars peuvent être récoltés. Depuis 2019, nous assistons à un effondrement de l’économie. Cependant, en 2022, l’économie a recommencé à croître. En 2023, elle affichait de bons résultats. Puis vint la guerre.

Des rumeurs font état de tensions entre le parti Kataëb et les Forces libanaises. Comment sont vos relations aujourd’hui ?

Nous ne devons pas écouter ceux qui parlent de prétendus problèmes majeurs. C’est faux ! Nous avons des différences sans importance avec eux. Il s’agit d’un parti politique, tout comme nous. Nous luttons sur le même terrain. Nous pouvons dire qu’ils ne sont pas nos amis les plus proches, mais ils restent quand même nos amis en politique. Disons qu’ils sont comme des voisins. Rien de plus.

Le chef de l’opposition israélienne et ancien Premier ministre Yair Lapid a appelé à la restauration de l’Armée du Sud-Liban (ALS), une force supplétive qui a aidé l’armée israélienne à occuper le Sud-Liban dans les années 1980 et 1990. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas du tout une solution. Ce qui s’est passé il y a 30 ans fait désormais partie du passé. Nous ne sommes plus dans la même situation qu’à l’époque. Donc non, ce n’est pas du tout une solution. Cependant, le déploiement de l’armée libanaise au sud du Liban et la création d’un véritable État le sont.

On parle beaucoup des déplacés syriens et des civils libanais. Mais en cas d’accord de paix, l’épineuse question des 300.000 réfugiés palestiniens présents au Liban pourra également être résolue ?

Bien sûr qu’elle peut être résolue. Une fois qu’un véritable État sera établi au Liban, tout pourra être résolu. Un jour ou l’autre, lorsque la solution à deux États (palestinien et israélien, ndlr) sera réalisée, les réfugiés pourront retourner dans leur État. En attendant, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés s’occupera d’eux. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les réfugiés palestiniens ne constituent pas un problème sans solution.

Depuis plus de 10 ans, il y a plus d’un million de réfugiés syriens au Liban. Près de 20% de la population. Leur présence a généré des tensions sociales et pèse sur les finances publiques. Quelle est votre orientation ?

Nous faisons du lobbying depuis près de trois ans, notamment auprès de l’Union européenne. Nous avons demandé aux pays de l’UE de ne pas accorder le statut de réfugié aux Syriens vivant au Liban, notamment parce qu’ils ne sont plus des réfugiés. En dehors de petits foyers dispersées à travers le pays et près des frontières, il n’y a plus de guerre dans le nord de la Syrie. Les fonds que l’Union européenne alloue aux réfugiés syriens les encouragent à rester au Liban. Personne ne leur demande de partir. Ce serait leur décision. Mais je souhaite apporter une précision. Lorsque la guerre a éclaté au Sud-Liban, au moins 300.000 à 400.000 réfugiés sont retournés en Syrie. Cela signifie qu’il n’est pas si dangereux pour eux de rentrer.

Les tensions sectaires entre les réfugiés chiites et les résidents chrétiens et sunnites commencent à générer de l’instabilité. Pourraient-ils déclencher une guerre civile ?

Tout cela peut conduire à un climat d’instabilité, notamment d’un point de vue psychologique, mais pas à une nouvelle guerre civile. On dit qu’il faut être deux pour danser le tango. Je ne vois pas deux ou plusieurs acteurs au Liban qui veulent danser le tango de la guerre civile. Il ne fait aucun doute que les gens craignent d’être impliqués dans des raids ciblés contre les membres du Hezbollah qui se cachent parmi les civils. Nous devons, nous tous, essayer d’atténuer les tensions.

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