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Le Liban à la dérive. Euthanasie d’une nation perdue

(Rome, Paris, 21.02.2023). Un pays à la dérive. C’est le Liban d’aujourd’hui. Une terre magnifique mais depuis plus de trente ans, torturée, appauvrie, dévastée et humiliée. L’imparable crise économique et financière a réduit plus de 80 % des Libanais à l’état de pauvreté : la monnaie nationale est devenue un vieux papier (la livre libanaise a perdu 98 % de sa valeur en trois ans), les salaires sont dérisoires, le système étatique s’est effondré. L’eau, l’électricité, l’éducation, les transports en commun, les retraites, les soins de santé, (et, récemment la Justice Ndlr), ne sont désormais que de tristes et lointains souvenirs. Rien ne fonctionne, et pendant ce temps le choléra fait rage dans les zones rurales, dans les banlieues les plus désespérées, nous explique Marco Valle dans le quotidien «Inside Over».

Pour ceux qui peuvent (re)vivre, c’est grâce aux dollars ou aux euros reçus de parents qui ont fui à l’étranger pour reconstituer la diaspora libanaise toujours plus nombreuse, dispersée à travers le monde. Une aumône ou une solidarité (appelez-la comme vous le préférez) qui alimente un fleuve d’argent qui, selon les calculs de la Banque mondiale, pour 2022, est égal à 38% du PIB national.

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En outre, l’implosion du système bancaire – autrefois fleuron de l’ancienne et défunte Suisse levantine – a conduit à une économie basée sur le cash, sur le noir le plus noir. Tout est hors de contrôle.

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A Beyrouth, les titulaires de comptes désespérés attaquent les banques pour tenter de récupérer leur épargne et entre-temps chaque transaction, chaque commerce, est devenue une affaire informelle, basée exclusivement sur le bruissement des billets américains ou européens. La seule réalité apparemment solide et cohérente reste les forces armées nationales, du moins tant que le Qatar et les Américains continuent de payer les salaires, l’entretien et les équipements. Ensuite, qui sait… ?

Les responsabilités dans cet immense désastre doivent être partagées à parts égales entre les oligarchies politiques et financières qui dominent et tourmentent le pays depuis la fin de la déchirante guerre civile. Depuis 1990, les chefs rapaces et très corrompus des différentes communautés confessionnelles – sunnites, chiites, chrétiens de toutes confessions (à l’exception d’un parti souverainiste, Ndlr), druzes – ont tout détruit et pillé tous les biens. Sans honte et sans remords. Avec beaucoup de profits.

Résultat ? Une paralysie institutionnelle. Embarrassante mais sans solutions. Depuis le 31 octobre, la république libanaise (ou ce qu’il en reste) est sans président. Michel Aoun, le très controversé représentant du bloc chrétien maronite (CPL), a terminé son mandat mais personne ne semble vouloir se présenter comme candidat et donc tout reste suspendu. Le Parlement, autrefois une alchimie interreligieuse magistrale, est en fait privée d’autorité et son Président ne souhaite pas le convoquer. Il est inutile, et rien ne se décide. Le Conseil des ministres fait semblant de se réunir de temps à autre pour expédier les affaires courantes, mais, après avoir fait semblant de se quereller, chacun des notables rentre chez lui pour continuer à s’occuper de ses affaires ou, tout au plus, de celles de sa communauté. Même l’approbation d’un projet de loi pour obtenir un énième prêt du Fonds monétaire international a été suspendue, reportée, reportée. Qui s’en soucie ?

En bref, les maîtres avides du Liban martyr ne s’intéressent pas aux vrais problèmes du pays et de sa population, au point de se moquer des pressions internationales répétées.

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Les différents ras locaux ont incroyablement snobé la rencontre parisienne du 6 février dernier entre la France, les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite, le Qatar et l’Egypte (l’Italie, comme d’habitude, n’était pas invitée…) sur la question libanaise. Comme si la question ne les concernait pas.

Pendant ce temps la spirale vers l’abîme continue. Dans l’apathie et le silence de la majorité des citoyens. Un fait, un phénomène, apparemment inexplicable mais, à y regarder de plus près, compréhensible. Les horreurs de la très longue guerre civile ont laissé trop de blessures et la crainte d’un nouveau massacre terrifie ceux qui sont restés, ceux qui ne peuvent pas quitter le pays. Mieux vaut s’adapter et tenter de s’en sortir. En silence. Ceux qui manifestent pourraient mal finir comme l’intellectuel Lokman Slim, assassiné en février 2021 pour ses critiques de la caste.

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Bref, personne n’est à l’abri comme le confirment les contestations bizarres et virulentes contre le juge Tarek Bitar, le magistrat chargé d’enquêter sur la terrible explosion survenue dans le port de Beyrouth en 2020 provoquée par 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium incroyablement abandonnées dans un entrepôt. La terrible détonation a dévasté des quartiers entiers de la capitale avec un bilan de 220 morts et 6.500 blessés. Une vilaine affaire, très mauvaise. Pourtant, tous les partis et leurs «proxies» (dans le système judiciaire, dans les institutions, dans les églises et les mosquées) ont tenté et tentent d’empêcher l’enquête de Bitar en plaçant continuellement des vetos et des obstacles ou en mobilisant leurs propres fans. Un scandale. Il ne reste que quelques courageux – pour la plupart des proches des victimes – qui persistent à exiger une enquête internationale sous la supervision de l’ONU. Au pays des cèdres l’avenir est de plus en plus sombre.

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