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Le front anti-Poutine se range du côté de Prigozhin: des nationalistes, des terroristes et des condamnés

(Rome, Paris, 27.06.2023). Si le coup d’État (sans coup d’État) d’Evgueny Prigozhin a duré un peu moins de vingt-quatre heures, les séquelles de son ascension fulgurante ont commencé à se faire sentir immédiatement, avec des échos dont nous entendrons parler pendant longtemps. Nous avions parlé d’une hypothèse périlleuse ces dernières heures, à savoir un possible « contact » établi entre les mercenaires de Wagner et le kaléidoscope de la guérilla anti-Poutine : d’après ce que nous disent les chaines de communication des différentes formations, cet univers aurait salué le geste de l’ex-cuisinier de Poutine comme celui d’un vrai patriote.

Le corps des volontaires russes et Prigozhin le patriote

Les premiers à s’exprimer sont les saboteurs du Corps des volontaires russes (RDK), apparus dans le panorama des « partisans » anti-Poutine après l’attentat raté contre le magnat Konstantin Malofeev, nous explique Francesca Salvatore dans son analyse dans le quotidien «Inside Over». Au matin du 23 juin, aucune prédiction sombre ne se profile à l’horizon sur les chaînes du groupe, tant et si bien que, d’un post à l’autre, ils ont joué en choisissant les avatars des nouveaux followers. Il est presque 21h30 lorsque l’aventure de Prigozhin met le Corps en alerte. Une déclaration du commandant sur les « développements actuels » est publiée : Progozhin est décrit comme une figure qui est passée du « cuisinier crépusculaire » de Poutine à une personnalité indépendante en peu de temps. Ses accusations mémorables contre l’establishment militaire sont citées. Puis, entre les lignes du communiqué, une sorte d’aval du leader du groupe Denis Kapustin : « Je pense que, bien que nous soyons de différents côtés des barricades et que nous ayons des opinions différentes sur l’avenir de la Fédération de Russie, je pourrais le qualifier de patriote de la Russie, sans être sarcastique ou ironique ». Et encore : « Voilà un homme ambitieux, en colère, populaire auprès du peuple et des militaires, un patriote qui possède une armée privée […] Préparez-vous ! ».

Aux dires du commandant des volontaires, Prigozhin devient presque un Che Guevara de (et pour) la Russie, l’ennemi à soutenir dans cette étrange guerre. Dans l’après-midi, le chef du RDK apparaît en vidéo pour un appel du cœur : on annonce que Poutine est prêt à tuer la population des villes russes. Même la fuite de Poutine vers Valdai, et celle de nombreux hommes d’affaires à bord de leurs jets, est également annoncée. La nouvelle de la reddition de nombreux soldats de l’armée russe est annoncée. Un mot de passe : attention, participez à cette opportunité unique en vous enrôlant dans le groupe. La nuit tombe et tandis que Prigozhin négocie sa soi-disant reddition avec le président biélorusse, les chaînes du groupe entrent en silence radio.

La marche sur Moscou galvanise aussi les Rospartizans

Même les Rospartizans, la formation qui a défrayé la chronique après l’attaque contre Darya Dougina, commentent les événements. Il est 21h10 le 23 juin lorsque la chaîne Telegram du groupe annonce : « On ne sait pas ce qui se passe, mais c’est très intéressant ! Gardez un œil ouvert ! Juste au cas où, mettez le feu au bureau d’enrôlement militaire ou au poste de police le plus proche. Un mode de sabotage très commun pour ces milices. C’est à ces mêmes heures que Prigozhin commence à menacer Moscou. Sur la même chaîne, quelques heures plus tard, on apprend qu’une base militaire est en feu près de Fryazino, à environ 40 km de Moscou : l’ordre donné aux volontaires était le suivant : « Pendant que les pillards de Poutine s’entre-tuent, nous devons intensifier nos coups contre la machine militaire du régime ». Le 24 juin en fin de matinée, alors que le monde entier suit minute par minute l’avancée des forces de Wagner sur la M4, le Corps des volontaires publie un communiqué annonçant qu’il ne soutiendra certainement pas Wagner mais qu’il choisit de profiter du moment. L’occasion n’est pas seulement d’influencer l’histoire mais de pouvoir en faire partie, peut-on lire dans la déclaration succincte. Nous vous invitons à cibler les petites villes, l’arrière-pays, à brûler les cachettes, à incendier les voitures des fonctionnaires, à détruire les bureaux des «traîtres».

Les prisons en ligne de mire

Le premier lieu que les forces volontaires surveillent, sont les prisons : une révolte dans une révolte ne peut venir que de là, mais on s’attend surtout à un mouvement des forces spéciales vers les centres de détention, ce qui pourrait entraîner une pénurie de prisonniers graciés pour protéger Moscou : la prison de Lefortovo, où Daria Trepova, l’auteure présumée de l’attaque contre le bloggeur Vladen Tatarsky, est détenue. « Une révolution digne de ce nom commence par la libération des prisonniers politiques », commente l’administrateur du groupe. Pendant ce temps, on se moque de l’exploit des miliciens de (l’inféodé de Poutine) Ramzan Kadyrov, à la poursuite de Wagner, et des paris sont faits sur le succès de l’opération de Prigozhin: « Seront-ils capables de prendre Moscou en trois jours ? », demande-t-on. Pendant ce temps, sur la même chaîne, se succèdent des clips vidéo dans lesquels il est annoncé que, sur les chaînes Z, les gens sont invités à détruire les ponts ; deux vidéos montrent ensuite des miliciens kadyrovites se rendant à Wagner et une pelleteuse détruisant la plate-forme de l’autoroute dans la région de Lipetsk.

Tout en se moquant des mesures élémentaires de protection dans la capitale Moscou, à 18h10 arrive la nouvelle de la volte-face de Prigozhin: « Pas de négociations, allons-y ! » devient la devise du groupe. À partir de 23 heures le 24 juin, la chaîne Telegram des partisans est silencieuse. Une dernière citation, celle d’une chanson du groupe punk britannique Gang of Four : «Moscow lacks blood, Moscow lacks fire» (Moscou manque de sang, Moscou manque de feu).

Les points de convergence des deux formations

Le Corps des volontaires et les Rospartizans sont dans l’œil du cyclone depuis des mois en raison de leurs sorties. Si les premiers sont majoritairement des Russes qui combattent en Ukraine et pêchent dans les cercles du néonazisme européen, les seconds sont un groupe plus informe de saboteurs qui, à l’abri de tout Manifeste idéologique, mènent depuis environ un an des actions inquiétantes, notamment en Russie. En ces heures, ils sont unis par plusieurs éléments, dont le premier, et fondamental, est que leurs proclamations ne mentionnent plus l’Ukraine. La tournure de Prigozhin a évidemment révélé le levain de leur bataille : une Russie libre, avant même une Ukraine libérée. Il est difficile de savoir pour quel type de Russes ils se battent : si les premiers font corps avec une extrême droite russe ancrée dans le suprématisme blanc, les seconds n’ont pas de visage. Deuxième point commun : les deux formations n’ont cependant aucun reproche à faire au patron de Wagner ; elles s’expriment à cet égard les bras croisés, comme si elles attendaient depuis longtemps l’implosion du lien de fer qui les unit avec Poutine. Certains d’entre elles, comme Kapoustine, le louent même, le qualifiant de patriote : et encore une fois, dans ce récit, l’Ukraine disparaît totalement. Sur un troisième point également, les deux formations convergent totalement : la marche sur Moscou est la fenêtre laissée ouverte sur l’histoire, pour, à partir de laquelle agir. Une occasion unique de donner du fil à retordre à la Russie qu’ils souhaitent incinérer.

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