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L’Erythrée, un pays à surveiller de près

(Paris, Rome, 20.06.2023). Laisser tout entre les mains de Moscou et de Pékin, «me semblerait aujourd’hui un acte de myopie politique et humanitaire»

Plus de six mois se sont écoulés depuis la visite du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov en Érythrée, où il a rencontré le président Isaias Afwerki. L’agence officielle de presse russe a souligné que lors de ses entretiens, Lavrov avait exprimé l’intérêt de Moscou pour le port et l’aéroport de Massawa dans le cadre de l’intérêt politique, militaire et économique croissant de la Fédération de Russie envers l’Afrique, la mer Rouge et la région du Golfe. Quelques semaines avant sa visite, un protocole d’accord spécifique avait déjà été signé entre la direction du port de Massawa et celle du port de Sébastopol, la grande base militaire navale russe. Le 22 mars, le ministre érythréen des Affaires étrangères Osman Saleh a rendu la pareille en rencontrant Lavrov à Sotchi. L’intense échange diplomatique entre l’Érythrée et la Fédération de Russie a culminé le 31 mai 2023 avec le sommet de Moscou entre le président Vladimir Poutine et son homologue Afwerki, comme l’explique Marco Mayer dans son décryptage dans les colonnes du quotidien italien «Formiche».

A lire : La visite d’Afewerki à Moscou renforce l’axe entre la Russie et l’Érythrée (31 mai 2023)

Il ne fait aucun doute que la Russie a voulu récompenser l’Érythrée – le seul pays africain qui, dès le départ, a exprimé son consentement total à l’invasion russe de l’Ukraine – mais le sommet du Kremlin a explicitement souligné la valeur stratégique que l’Érythrée représente pour Moscou. D’où l’intention de la Russie de renforcer sa présence militaire : créer une base russe à Massawa, accroître les exportations d’armements, renforcer les investissements logistiques et maritimes ainsi que développer les échanges entre les deux pays dans de nombreux secteurs. Le soutien à la politique africaine de Poutine a été clairement réaffirmé par le président érythréen le 5 juin.

À ce stade, il est nécessaire que les institutions euro-atlantiques et la communauté universitaire elle-même analysent en profondeur les implications à moyen terme de l’activisme actuel d’Asmara et le renforcement consécutif du partenariat entre Asmara et Moscou dans la conjoncture politique très délicate de la Corne de l’Afrique.

Les relations entre l’Érythrée et le Soudan constituent le premier élément à surveiller et à étudier. Trois semaines avant le déclenchement de la guerre, le 23 mars, le président Afwerki a rencontré Mohamed Hamdan Dagalo, chef des FSR soudanais, à Asmara. L’une des hypothèses à vérifier est de savoir si et de quelles manières existe un lien organique entre les FSR, le groupe Wagner et la Russie pour l’exploitation de certaines mines d’or au Soudan.

Lire aussi : Les mains de Poutine sur l’Afrique, les liens de l’or entre le groupe Wagner et l’armée soudanaise (04 novembre 2022)

Ce qui est certain, c’est que l’Union européenne a pris des sanctions contre « Meroe Gold Ltd » et sa maison mère russe « M-Investin » en mars, avant même le 15 avril dernier, date du déclenchement des hostilités au Soudan. Après le déclenchement du conflit, la situation s’est considérablement aggravée avec de graves conséquences pour les travailleurs des mines. Dans ce même contexte, on peut lire des informations provenant de sources Web (toutes bien sûr à vérifier) ​​faisant état de fréquentes liaisons aériennes militaires et de fret russes entre Port Soudan, Massawa et Lattaquié, la base navale russe en Syrie.

Un autre aspect auquel il faut prêter attention est le rôle croissant de Dubaï. La ville exerce une sorte d’attraction fatale pour la quasi-totalité des oligarques russes les plus importants : ce lien a pour effet secondaire l’intensification des relations entre les EAU et la Fédération de Russie.

En ce qui concerne toutefois les relations des Émirats arabes Unis avec l’Érythrée, il convient en revanche de noter le rétablissement d’un dialogue après les frictions bien connues liées à la guerre au Yémen. Cette position politique différente de l’Érythrée a pu constituer les conditions du développement de triangulations entre l’Érythrée, le Soudan et Dubaï également en fonction du contournement des sanctions européennes, américaines et d’autres pays à l’encontre Moscou.

Il ne peut être exclu que la relation privilégiée entre Asmara et Moscou puisse conduire à des problèmes avec la Chine à l’avenir, mais pour l’heure, il n’y a pas de nuages ​​à l’horizon entre Asmara et Pékin et des partenariats avec les deux autocraties se développent en parallèle.

Pour avoir un impact, ajoute Marco Meyer, il ne suffit pas de surveiller, il faut aussi agir. L’Italie (qui a des devoirs anciens envers son ancienne colonie) s’est engagée en 2019 à soutenir une partie du projet de liaison ferroviaire entre Asmara et Addis-Abeba. Les liaisons ferroviaires transfrontalières créent des possibilités de circulation et, en tant que telles, ne sont pas en contradiction avec une coopération au développement soucieuse des droits de l’homme, des droits que, comme chacun le sait, l’Érythrée viole depuis au moins deux décennies. J’espère qu’après l’annonce publique convenue par les deux gouvernements en mars 2023, notre pays (avec l’Union européenne et d’autres États) sera de la partie, poursuit M. Mayer. Je ne sais pas où en sont les relations de coopération entre l’hôpital Careggi (Florence) et l’Erythrée, mais il existe une longue histoire de collaboration.

Laisser tout entre les mains de Moscou et de Pékin aujourd’hui me semblerait un acte de myopie politique et humanitaire. La Farnesina (le Ministère italien des AE, Ndlr) a pour mission de rouvrir le dossier avec l’Erythrée en associant les Régions intéressées par la coopération sanitaire dans une nouvelle stratégie.

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