(Rome, Paris, 24.03.2023). Le président Kais Saied a appelé à des « mesures urgentes » contre l’immigration clandestine des Africains subsahariens dans son pays, arguant que leur présence est une source de « violences, de crimes et d’actes inacceptables »
Crise politique et économique, migrations hors de contrôle, un mélange explosif pour la Tunisie qui inquiète les chancelleries occidentales. Ce qui est le plus inquiétant, ce sont les flux migratoires qui risquent d’échapper à tout contrôle. Et les propos du président, Kais Saied, ne sont certainement pas rassurants, comme le rapporte Angelo Ferrari de l’agence italienne «AGI».
En effet, le président tunisien a appelé à des « mesures urgentes » contre l’immigration clandestine des Africains subsahariens dans son pays, estimant que leur présence constitue une source de « violences, de crimes et d’actes inacceptables ». Mais Saïd est allé encore plus loin, en affirmant que l’immigration en provenance d’Afrique subsaharienne fait partie d’une « entreprise criminelle concoctée à l’aube de ce siècle pour modifier la composition démographique de la Tunisie » afin qu’elle puisse être considérée comme un pays « uniquement africain » et ternir son caractère « arabo-musulman ».
A lire : Pourquoi la crise politique en Tunisie inquiète l’Europe (09 avril 2022)
Face à ces prémisses, pour Saïd il faut « mettre fin rapidement » à cette immigration en invoquant des « mesures urgentes ». Une répression sans précédent est en cours dans le pays. Ces propos ont déclenché un mécanisme pervers. Beaucoup d’immigrés d’Afrique sub-saharienne font pression pour partir, pour atteindre l’objectif qu’ils s’étaient fixé : traverser la Méditerranée et arriver en Europe. D’autres, minoritaires, ont accepté les rapatriements proposés par les différentes ambassades. La Côte d’Ivoire, le Mali, le Burkina Faso, la Guinée et le Tchad ont commencé à évacuer les citoyens qui veulent quitter la Tunisie, par le biais de rapatriements volontaires.
Les migrants et la situation économique
Selon les données officielles citées par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), la Tunisie, pays d’environ 12 millions d’habitants, compte plus de 21.000 Africains subsahariens, dont la plupart sont en situation illégale, où la majorité arrivent en Tunisie et tentent ensuite d’immigrer illégalement vers l’Europe par voie maritime.
A ceux-ci, s’ajoutent les citoyens tunisiens fuyant une situation économique qui se détériore de plus en plus. Les indicateurs sont tous négatifs. Mais les propos de Saied ont également eu des répercussions internationales. Le Fonds monétaire international (FMI) a suspendu l’accord conclu l’an dernier qui prévoyait un prêt de 1,9 milliard de dollars lié à la révision des programmes économiques que la Tunisie pourra mettre en œuvre.
La principale raison de la suspension du décaissement du prêt réside dans l’incertitude politique dans le pays et la violation systématique des droits de l’homme. La Tunisie, comme d’autres États (nord) africains, connaîtra une contraction de son PIB en 2023 : en 2022, il s’est établi à 2,2 % et pour 2023, une croissance de 1,6 % est attendue.
Les prévisions sont contenues dans le rapport sur les perspectives de l’économie mondiale du FMI. Compte tenu de la crise en cours en Tunisie, la Banque mondiale (BM) a également suspendu le «Country Partnership Framework» (CPF), qui est la base du suivi par le conseil d’administration de la BM afin d’évaluer et d’accompagner le pays dans ses programmes d’aide.
La suspension a été maintenue jusqu’à « nouvel ordre ». Dans une note, la Banque mondiale a rappelé que « la sécurité et l’intégration des migrants et des minorités font partie des valeurs fondamentales de notre institution, à savoir l’intégration, le respect et la lutte contre le racisme sous toutes ses formes ». La direction de la Banque mondiale l’a exprimé sans équivoque au gouvernement.
Ces décisions portent un coup dur au pays : le taux d’inflation est hors de contrôle et les prix des produits de première nécessité ont explosé, provoquant une crise sociale sans précédent. Mais pour le ministre de l’Economie Samir Saied, « il ne s’agit que d’un report des discussions sur le prochain programme » et que cela n’aura « pas d’impact négatif » sur le pays.
La crise politique
A cela s’ajoute la crise politique. Depuis sa prise du pouvoir le 25 juillet 2021 par un « coup d’Etat blanc », Saïd répète qu’il veut rompre avec le système semi-parlementaire qui avait prévalu après le printemps arabe.
A lire : Coup d’État «soft» en Tunisie, le dernier printemps arabe s’installe (07 juillet 2021)
Le nouveau Parlement est entré en fonction il y a quelques jours qui, selon Saied, « ne sera pas comme le précédent. Les députés doivent comprendre qu’ils travailleront sous le contrôle du peuple tunisien », ce qui, pour le président, signifie sous son contrôle. Selon de nombreux observateurs, ce nouveau parlement est « dépourvu de substance réelle ».
A lire aussi : En Tunisie, la grande défaite pourrait être pour la Turquie d’Erdogan (27 juillet 2021)
Le taux de participation aux dernières élections législatives, voulues par le président, n’a pas dépassé 11 %. En fait, la plupart des partis d’opposition ont boycotté le scrutin. Le nouveau Parlement a été élu sur la base d’une nouvelle Constitution, voulue par Saied, qui a établi un système hyper-présidentiel et réduit les pouvoirs de l’Assemblée des représentants du peuple à presque rien, le véritable centre du pouvoir dans le système en place après la chute de la dictature de Zine-El-Abidine Ben Ali.
La principale coalition d’opposition, le Front de salut national (FSN), a affirmé dans un communiqué qu’elle ne reconnaissait pas le nouveau Parlement qui est le fruit d’«une Constitution putschiste» et que le parti islamo-conservateur Ennahdha a soutenu, toujours par voie de communiqué, son refus de reconnaître « une assemblée parlementaire dépourvue de toute légitimité ».
En effet, selon Saied, l’idée que les parlementaires forment des « blocs » est une « pratique dépassée ». Par ailleurs, le Parlement est construit à l’image du président : certains députés sont issus de partis proches de Saied, d’autres sont de simples sympathisants. En bref, en Tunisie il n’y a qu’un seul responsable.