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Pourquoi la crise politique en Tunisie inquiète l’Europe

(Paris, 09 avril 2022). De premier exemple de démocratie post-printemps arabe, la Tunisie est en train de devenir une autocratie naissante, avec une économie de plus en plus en crise et le risque de voir des troubles éclater dans le pays

L’inquiétude grandit en Europe quant à l’avenir de la Tunisie voisine. La crise politique en cours s’est intensifiée après que le président, Kais Saied, a dissous le parlement, qui était gelé depuis juillet. Cette décision a encore plongé le pays dans la tourmente politique et a alimenté les craintes d’une autocratie émergente, selon l’analyse de Massimiliano Boccolini dans le quotidien italien «Formiche».

Dans sa dernière tentative de consolidation de son pouvoir, le 30 mars, le président tunisien a officiellement dissous le parlement, qui était présidé par son principal rival, le chef du parti islamique, Rached Ghannouchi. Cette décision controversée est intervenue dans un contexte de tensions politiques croissantes dans le pays. Depuis juillet dernier, Saied a pris une série de mesures exceptionnelles parmi lesquelles le gel de la chambre, le changement de Premier ministre, le rejet de la Constitution de 2014 et la révocation du Conseil supérieur de la magistrature.

En guise de contre-mesure, Ennahda et les autres partis contestant ces décisions présidentielles, ont organisé le 30 mars une réunion du parlement par vidéoconférence, considérée par Saied comme illégale et une tentative de coup d’État, ayant servi à justifier la dissolution de la Chambre.

Pourtant, bien que l’opposition à Saied ait qualifié sa prise de pouvoir d’inconstitutionnelle, le président semble conserver une base sociale solide, comme en témoigne le large consensus populaire enregistré sur ses mesures en faveur d’un système présidentiel.

Des inquiétudes subsistent, toutefois, non seulement pour la stabilité de la démocratie tunisienne, qui devient une autocratie naissante, mais aussi pour les conséquences qu’elles auront sur une économie déjà en difficulté.

La Tunisie a enregistré une dette publique de 107,8 milliards de dinars (environ 33,2 milliards d’euros) fin 2021, soit 85,8% du PIB. C’est ce qu’a révélé le rapport mensuel sur la dette publique publié par le ministère des Finances de Tunis, soulignant que l’encours de la dette a en effet augmenté de près de 16% par rapport à 2020 (93 milliards de dinars, soit 77,8% du PIB) et de près de 30 % par rapport à 2019 (83,3 milliards de dinars, soit 68% du PIB).

Sur le plan international, les récents développements ont suscité de vives inquiétudes tant aux États-Unis qu’en Europe, traditionnellement attachés à la stabilité institutionnelle et économique du pays.

« L’Union européenne est très préoccupée par les derniers développements en Tunisie, notamment la dissolution du parlement et les poursuites pénales engagées contre certains de ses membres », a déclaré la porte-parole de la diplomatie européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. « Nous appelons au retour au fonctionnement normal des institutions, dans les meilleurs délais, et nous continuerons à suivre de près les différentes phases de la mise en œuvre du calendrier politique approuvé en décembre 2021 », a déclaré la porte-parole Nabila Massrali, ajoutant qu’«il est essentiel que le processus de réforme soit fondé sur une approche inclusive ; un dialogue de tous les acteurs politiques et sociaux». « Dans le plein respect de la souveraineté du peuple tunisien, nous rappelons également l’importance du respect des acquis démocratiques, de la séparation des pouvoirs, de l’État de droit et des libertés, et des droits fondamentaux, y compris les droits civils et politiques, afin de garantir la stabilité et la prospérité du pays ». « Nous prenons note des progrès réalisés dans l’élaboration d’un programme de réformes économiques et réitérons notre soutien au peuple tunisien dans le contexte d’une grave crise sociale et économique, encore aggravée par l’impact de l’agression russe en Ukraine », conclut la note.

C’est pourquoi un groupe de députés de la commission des affaires étrangères du Parlement européen se rendra en Tunisie du 11 au 13 avril. « Des consultations sont prévues sur la voie à suivre par la Tunisie vers des réformes politiques et un retour à la stabilité institutionnelle ». Cela a été expliqué par une note de la délégation de l’Union européenne en Tunisie. Les députés s’efforceront de réaffirmer la nécessité d’un dialogue politique inclusif, du respect de l’État de droit, des libertés civiles et des droits de l’homme, ainsi que d’un système politique fondé sur les principes démocratiques, en particulier la séparation des pouvoirs garantie par des contrepoids institutionnels.

 La crainte est que la prochaine étape de Saied soit la dissolution des partis d’opposition, en premier lieu le parti islamique Ennahda. Un premier signal en ce sens, ajoute Massimiliano Boccolini, vient des partisans du président. Le collectif tunisien du « 25 juillet » a en effet appelé à la dissolution du parti de Ghannouchi et la mise en examen de son leader et de tous les parlementaires qui ont participé au meeting en ligne du 30 mars dernier. Kamel Ourabi, coordinateur du mouvement, a également demandé l’activation de l’article 72 de la Constitution et d’«exclure le parti qui a été responsable de l’état de chaos et de la détérioration de la situation économique et sociale qu’a connu la Tunisie au cours de la dernière décennie ». Le mouvement a également annoncé une manifestation dimanche 10 avril dans la capitale visant à rejeter toute ingérence étrangère dans le pays. La référence est au fait qu’Ennhadha est accusé d’être financé par la Turquie et le Qatar. Il est à craindre que des troubles n’éclatent ce jour-là à Tunis, le parti islamique ayant déjà proclamé une manifestation, à cette même date, pour protester contre le président Saïed.

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