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Coup d’État «soft» en Tunisie, le dernier printemps arabe s’installe

(Rome, 26 juillet 2021). Il s’agit d’un coup d’État « en douceur » en Tunisie, pays berceau du printemps arabe en 2011 depuis des mois au centre d’une profonde crise économique, politique et sociale qui pourrait aussi avoir des conséquences en Italie, selon l’analyse d’Alessandro Scipione dans «Inside Over». M. Scipione l’avait prédit en mai dernier : l’inflexible président de la République, Kais Saied, a finalement appliqué l’article 80 de la Constitution, qui permet au chef de l’État d’assumer le pouvoir en cas de « danger imminent qui menace les institutions de la nation, la sécurité ou l’indépendance du pays, et qui entrave le fonctionnement normal de l’État ». Avec le soutien des militaires, le président « Robocop » (un surnom qui va bien avec son style rigide de professeur de droit constitutionnel) a évincé d’un seul coup ses principaux rivaux : le Premier ministre Hichem Mechichi et le président du Parlement et chef de la Parti islamique Ennahda, Rached Ghannouchi. Peu avant le « coup d’Etat constitutionnel », les rues de la capitale Tunis – une ville à une heure de vol de Rome et qui (il faut le rappeler) est plus au nord de Pozzallo, le port sicilien où débarquent les migrants – étaient bondées de manifestants en colère contre la mauvaise gestion de la pandémie de Covid-19 par les autorités.

La pandémie de Covid a fait déborder le vase

La crise tunisienne n’est certainement pas un phénomène inattendu. Depuis janvier, en effet, le pays est paralysé par une crise politique due à la « guerre des trois présidences ». Saied, en effet, a toujours refusé d’accepter un remaniement gouvernemental mené par Mechichi avec le soutien de Ghannouci, leader du mouvement islamique Ennahda, pour se débarrasser des hommes du président au sein de l’exécutif. Le président-professeur s’y est mis en refusant de convoquer la cérémonie de prestation de serment des nouveaux ministres, accusant quatre d’entre eux de conflit d’intérêts.

En conséquence, ajoute M. Scipione, l’action du gouvernement est paralysée depuis plus de six mois, le chômage a atteint 18%, la campagne de vaccination contre le Covid a été un échec, et la Tunisie a plongé dans une quatrième vague violente de coronavirus qui a provoqué l’effondrement de l’ensemble du système de santé. Le Premier ministre a tenté de se mettre à l’abri en limogeant le ministre de la Santé et en rejetant la faute sur Saied : ce dernier, en réponse, a profité des manifestations de rue pour mettre en échec son ancien homme de confiance.

L’échec de la révolution du jasmin ?

Selon une fuite de « Middle East Eye », un portail web édité à Londres considéré comme proche des Frères musulmans, afin de rendre le coup plus « populaire », les paiements pour l’électricité, l’eau, le téléphone, l’internet, les prêts bancaires et les impôts seraient suspendus pendant 30 jours et le prix des produits de première nécessité et du carburant serait réduit de 20 %. L’idée, en substance, est d’instaurer une sorte de dictature constitutionnelle pour débloquer une impasse qui dure depuis janvier.

Mais Saied peut-il vraiment faire tout cela ? En fait, oui c’est possible, poursuit Alessandro Scipione : la Cour constitutionnelle, le seul organe non partisan sur la question, n’a jamais été impliquée et par conséquent, personne n’est alors habilité à donner un avis sur la question. Le parlement n’était pas en théorie dissous, mais suspendu pour trente jours. Au terme de ce délai, il est toutefois difficile d’envisager une reprise pacifique des travaux de l’Assemblée des représentants du peuple. Le temps nous dira si Saied est un brillant homme d’État ou un aspirant dictateur en puissance.

Il n’en reste pas moins que si le vote avait lieu demain, Abir Moussi, leader du Parti destourien libre (Pdl), qui se réfère ouvertement au régime passé de Zine el Abdine Ben Ali, l’emporterait haut la main. Les sondages, en effet, disent ce qu’on ne peut pas dire dans les bons salons de la diplomatie internationale : la révolution du Jasmin et, plus généralement, l’islam politique ont échoué et la population tunisienne est nostalgique de l’ancien régime.

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