(Rome, Paris, 15.03.2023). Quelles menaces la collision entre les deux chasseurs russes Sukhoi Su-27 et le drone américain MQ-9 Reaper survenue au-dessus de la mer Noire le 14 mars pourraient-elles révéler ? La question est légitime de comprendre si le mouvement risqué de l’armée de l’air de Moscou aura des conséquences dans un théâtre déjà chaud.
Les provocations russes s’intensifient déjà
John F. Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale à la Maison-Blanche, a déclaré que ce type d’«interceptions» par des avions russes s’était intensifié au cours de dernières semaines mais, a en même temps, réaffirmé qu’il considérait cet épisode comme « remarquable en raison de sa dangerosité et de son manque de professionnalisme ». La tension est à son comble dans une mer qui est redevenue une zone de guerre au cours de l’année écoulée. Une zone dans laquelle l’OTAN fait face à la volonté de la Russie de transformer une grande partie de la mer Noire en un «lac» sous son contrôle. Il est clair que la présence de bases des deux camps et, entre les deux, l’Ukraine envahie, augmente le risque de confrontations directes, souligne Andrea Muratore dans le quotidien italien «Inside Over».
Avant de comprendre si et comment il pourrait y avoir de nouveaux épisodes de confrontation directe entre la Russie et les États-Unis dans le ciel ou dans les eaux de la mer Noire, il convient de rappeler que l’abattage (induit) du Reaper n’était certainement pas un cas isolé. Dans un sens, l’escalade est déjà en cours. En mai 2022, c’est précisément le travail d’interception satellitaire ou aérienne de l’Occident, combiné à la main des espions de l’Anglo-sphère (États-Unis et Royaume-Uni) qui a guidé les missiles ukrainiens Neptune à frapper et à couler le croiseur russe Moskva dans les eaux de la mer Noire.
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La Russie craint de pénétrer dans la mer du sud, plus près de ses frontières, et, en agissant contre le drone américain, qui s’est écrasé à quelques dizaines de kilomètres de la Crimée, elle a voulu assurer une réponse limitée à la perte du contrôle des eaux de la mer Noire qu’elle perçoit. D’une certaine manière, elle a montré son drapeau en imposant, sans effusion de sang ni incidents impliquant des soldats occidentaux engagés, ses propres lignes rouges.
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Après tout, la Russie, dans le passé, bien avant les accusations de Kirby, a déjà utilisé les Su-27 pour menacer et compromettre les drones américains engagés dans la collecte de renseignements sur la mer Noire. Montrer qu’elle est capable d’abattre de facto des avions sans pilote de Washington, c’est tracer un pas en avant vers une autre capacité d’interdiction. L’escalade, à court terme, consiste à montrer que l’on peut interdire ou perturber les adversaires de lancer des manœuvres dans un espace contesté. Et puisque Moscou subit la pression de l’OTAN tant en mer Baltique qu’en mer Noire, le mouvement sur le MQ-9 constitue, à sa manière, un signal.
Les craintes russes et les défis de l’OTAN
Mais la Russie peut-elle se permettre d’appeler à davantage de provocations sur le front sud de l’OTAN ? À notre avis, non, ce serait au moins autodestructeur, ajoute Andrea Muratore. On a vu au printemps dernier à quel point un déploiement modeste entre la Roumanie et la Bulgarie a contribué au soutien à l’Ukraine qui s’est concrétisé dans la manœuvre, très dure pour Moscou, sur le croiseur coulé.
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Un crash peut être «imposé» à un drone sans que cela ait de conséquences importantes. Mais trouver un déploiement renforcé de chasseurs et de navires en mer Noire ne ferait pas le jeu de Moscou, qui s’en ressentirait au moment même où il est engagé dans une difficile avancée vers l’Ukraine.
Dans le même temps, l’Occident souhaite que la mer Noire soit autant que possible préservée des jeux de guerre et, à court terme, pousse Moscou à ne pas faire exploser les accords sur le blé qui expireront dans deux mois. Offrir à la Russie, par une présence militaire accrue, pour relever la barre des provocations et lui donner une tribune pour justifier la fin, potentiellement déstabilisatrice, de ces accords serait un but contre son camp.
Quoi qu’il en soit, ni la Russie ni les États-Unis ne veulent porter le duel à des conséquences plus graves, sur des territoires où des accidents mortels sont à craindre. Cependant, Vox suggère de créer à nouveau les conditions pour canaliser le bras de fer sur le signe de la prévisibilité : « Washington et Moscou ont en effet mis en place une ligne de « déconfliction » en Syrie, pour communiquer et éviter d’éventuelles erreurs de calcul. Au début de la guerre en Ukraine, la Russie et les États-Unis ont de nouveau maintenu une telle ligne de « déconflictualité » pour éviter que des erreurs similaires ne poussent les deux puissances nucléaires à une confrontation plus directe ». La reprise de la ligne directe entre les commandements américain et russe est aujourd’hui plus que jamais nécessaire pour éviter que la multiplication de provocations et de duels ne provoque des incidents mortels pour la stabilité de la région ; et n’accélère la descente des USA et de la Russie sur la pente de l’affrontement direct entre ces plus grandes puissances militaires de la planète.