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Que signifie le coup porté au croiseur Moskva

(Rome, Paris, 14 avril 2022). Le coup porté au croiseur russe Moskva marque un « tournant » inévitable sur le front de la mer Noire. Kiev a revendiqué l’attaque, affirmant qu’elle avait été menée par des missiles Neptune. Moscou, pour sa part, n’a pas nié les dégâts causés au navire mais a évoqué une explosion dans le dépôt de munitions. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré que le personnel à bord avait été évacué et que le «Moskva» maintenait sa flottabilité et qu’aucun armement principal des missiles n’avait été endommagé.

Selon l’analyse de Lorenzo Vita dans le quotidien italien Il Giornale/Inside Over», indépendamment des deux versions, pour l’heure difficilement vérifiables, pour le «Moskva», il s’agit d’un coup extrêmement dur pour la flotte de la mer Noire. Le front sud de la guerre en Ukraine a été d’une certaine manière sous-estimé par de nombreux observateurs, ayant jugé plus approprié de se concentrer sur les efforts militaires de Moscou dans le nord et l’est du pays. Les forces terrestres et aériennes ont martelé et assiégé les principales villes ukrainiennes. Alors que dans le sud, surtout avec la maigre flotte ukrainienne déjà sévèrement touchée le premier jour de la guerre, les jeux semblaient clos, dans l’attente du triomphe qui devait arriver avec l’avancée des troupes russes et pro-russes.

Mais la guerre a cependant une dynamique très fluide. Les dernières indications du Kremlin (qu’elles soient dues à l’acceptation de l’échec, à l’impossibilité de mener la guerre sur plusieurs fronts, ou aux véritables objectifs stratégiques révélés au bout d’un mois), avaient laissé entendre que l’engagement russe se serait déplacé vers le front sud-est, en verrouillant le Donbass et la Crimée, et en les reliant par voie terrestre. Et ce tournant manifesté par Moscou était censé être la certification d’une attention portée là où les forces navales russes sont engagées, donc entre la mer Noire et la mer d’Azov.

La soi-disant « phase deux » aurait donc dû recevoir un nouvel élan sur le front maritime, où précisément le «Moskva» représentait non seulement le vaisseau amiral de la flotte de la mer Noire, mais d’une manière général, le fer de lance de toutes les opérations du camp sud. Ce centre de commandement était à la fois l’emblème de la force russe – écrasante en nombre par rapport à celle ukrainienne – et une menace constante pour les défenses côtières de Kiev.

Cependant, dans cette deuxième phase du conflit, des fissures particulièrement inquiétantes ont été observées sur la mer Noire pour la stratégie du Kremlin. Et les dégâts subis par le croiseur de classe Slava ne sont que les derniers d’une série d’éléments qui, une fois combinés, montrent à quel point les plans d’attaque sont devenus peut-être de manière irréversible, compliqués.

Pour comprendre ces faits, nous devons partir depuis l’aube de ce conflit, autrement dit, avant même le début de la soi-disant « opération militaire spéciale ». La marine russe, pendant la phase préparatoire de la guerre, a décidé de renforcer le déploiement en mer Noire, arrivant à avoir une vingtaine de navires devant les côtes ukrainiennes (excluant ainsi les sous-marins et les petits patrouilleurs). Parmi ces navires, presque l’ensemble des navires de débarquement provenaient de la flotte du Nord et de la flotte de la Baltique, avec un déploiement qui a effectivement affaibli les commandements du Nord. L’idée était de renforcer la présence navale dans le sud en attendant que les forces terrestres prennent le contrôle des fronts Sud et Est. Ceci a été démontré par l’utilisation du même croiseur «Moskva», qui, d’un point de vue tactique, a été principalement déployé comme une menace plutôt qu’une véritable arme décisive dans le conflit. Si ce n’est pour ce bombardement initial de l’île des Serpents, près de laquelle l’attaque d’hier semble également avoir eu lieu. Mais cette utilisation limitée de la flotte est aussi confirmée par le fait que le débarquement redouté d’Odessa n’a jamais eu lieu, à la fois en raison du petit nombre de navires prévus à cet effet, et parce que dans la doctrine russe, ce type d’opération n’a lieu, que s’il est garantie par une utilisation massive des forces terrestres.

Pour en revenir à l’actualité, le 24 mars, les satellites américains avaient confirmé une première nouvelle particulièrement importante, ajoute Lorenzo Vita : les Ukrainiens auraient coulé le navire de débarquement Saratov dans le port de Berdiansk et ont sérieusement endommagé deux autres unités, de classe Ropucha : le «Caesar Kunikov» et le «Novotcherkassk». Quelques semaines auparavant, des missiles avaient été tirés depuis l’Ukraine touchant le «Vassily Bykov». Il ne s’agissait pas d’attaques comparables à celle qui ont mis hors d’usage «Moskva», mais des frappes qui ont certainement eu un impact sur les manœuvres navales russes, au point que de nombreux analystes, observant les mouvements de la flotte, avaient remarqué une sorte de recul. De plus, l’hémorragie n’est pas négligeable si l’on considère un facteur qui, à ce stade, pourrait avoir un poids spécifique non négligeable. La Turquie, appliquant la convention de Montreux, a en effet fermé pendant plusieurs semaines le passage du détroit du Bosphore aux unités militaires non basées en mer Noire. Il ne s’agit pas d’une fermeture générale, car, hormis l’implication directe d’Ankara dans le conflit, seuls les navires retournant à leurs bases pouvaient traverser le détroit. Mais à ce stade, le renforcement avec des unités d’autres flottes devient difficile, ce qui pourrait provoquer une nouvelle escalade diplomatique entre Moscou, Ankara et donc l’Alliance atlantique elle-même. Le problème, à la lumière du coup porté au navire le plus puissant de la flotte de la mer Noire, risque d’exploser de manière retentissante.

A cette question s’ajoute un autre élément : comment l’attaque (ou l’accident) a eu lieu. Parce que dans tous les cas, les dommages causés au «Moskva» pourraient constituer le signal d’alarme définitif sur le risque d’opérations russes tout au long de la guerre.

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