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La tactique d’Erdogan pour gagner les élections turques: Contrôle de la diaspora dans l’UE et plus de fonds publics pour la campagne électorale

(Rome, Paris, 14.01.2023). Environ 5 millions de Turcs vivent en Europe. Ils ont quitté leur pays principalement depuis les années 1960. Ankara tente de les contrôler et d’orienter leur pensée avec l’aide de Diyanet, un organisme étatique de plus en plus lié au président Erdogan et chargé de gérer les affaires religieuses à l’étranger. Et grâce aux dernières modifications apportées à la loi électorale, le président a obtenu plus d’argent que n’importe lequel de ses rivaux politiques

Les élections en Turquie approchent, mais la situation politique du pays est encore assez incertaine. Le président sortant Recep Tayyip Erdogan continue de perdre des soutiens en raison de la crise économique et de la dévaluation de la livre, même s’il reste en tête en termes de nombre de voix, alors que l’opposition cherche toujours un candidat commun. Dans un tableau aussi incertain, Erdogan, d’après Futura D’Aprile dans son décryptage dans le quotidien «Il Fatto Quotidiano», peut cependant compter sur deux facteurs importants pour remporter un nouveau mandat à la tête de son pays : la diaspora turque en Europe, et l’accès aux fonds publics pour la campagne électorale.

Environ 5 millions de Turcs vivent en Europe, qui ont quitté leur pays principalement depuis les années 1960. Le noyau de la diaspora se trouve en Allemagne, où l’on compte au moins 3 millions de personnes d’origine turque, tandis que le reste est principalement réparti entre l’Autriche, la France et les Pays-Bas.

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La migration vers l’Europe a été déclenchée par une série d’accords signés avec la Turquie dans les années 1960 pour faire venir une main-d’œuvre bon marché sur le Vieux Continent. Plus tard, les pays de l’UE sont également devenus les destinations de ceux qui ont fui les coups d’État de 1970 et 1981 ou l’autoritarisme croissant d’Erdogan à une époque plus récente. A ce jour, les deuxième et troisième générations d’origine turque vivent déjà dans les Etats de l’Union les plus touchés par les flux migratoires de la Turquie, sur qui le président sortant compte pour sa réélection.

« La Turquie a commencé à investir davantage dans le maintien de liens forts avec sa diaspora en Europe à partir des années 1980, lorsqu’on s’est rendu compte que les Turcs qui émigraient pour le travail ne reviendraient pas dans leur patrie », explique Chiara Maritato, chercheuse à l’Université de Turin. « Pour atteindre cet objectif, la Turquie s’appuie sur les ambassades et autres institutions créées à différents moments de l’histoire, et qui servent non seulement à renforcer le lien avec la diaspora, mais aussi à la contrôler ».

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Toutefois, l’objectif premier reste celui de reconnecter les citoyens turcs à leur pays d’origine et de les orienter vers une définition d’eux-mêmes dans une logique nationaliste et religieuse. Parmi les outils utilisés par la Turquie figure également la Diyanet, une institution étatique de plus en plus lié au président Erdogan et qui s’occupe de la gestion des affaires religieuses à l’étranger, ainsi que du contrôle et de la direction de la diaspora. « La Diyanet est désormais basée dans tous les pays européens et dispose également d’un département international qui s’occupe exclusivement de la gestion des activités à l’étranger, poursuit Maritato. « Cet organisme organise des activités pour les jeunes, les adultes et même les enfants, comme les écoles d’alphabétisation religieuse, prend soin d’envoyer des imams, des prédicateurs et des prêcheurs en Europe, dans chaque grande ville de l’Union ».

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L’offre de services et d’activités à caractère religieux permet à Diyanet d’atteindre une partie spécifique de la diaspora, à savoir la plus conservatrice et déjà proche du président, mais la composante d’origine turque en Europe n’est pas monolithique. « Une nouvelle diaspora s’est également ajoutée ces dix dernières années, celle de la haute et moyenne bourgeoisie urbaine plus éduquée, qui a derrière elle une expérience d’études et de travail à l’étranger, qui ne soutient pas le président et en partie également composée de minorités religieuses persécutés en Turquie et par des membres de la communauté Lgbtq+ », précise Maritato. Il s’agit donc d’une diaspora peu intégrée à la diaspora historique, aux valeurs différentes et plus critique à l’égard du président, ayant été politisée également dans le contexte et ayant participé aux manifestations du parc Gezi qui ont éclaté en 2013 et ont été brutalement réprimées par les forces de l’ordre. « Cependant, la plupart des membres de la diaspora en Europe soutient le gouvernement actuel, ils sont donc effectivement interceptés par Diyanet », conclut Maritato.

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Le vote à l’étranger n’est pas la seule carte qu’Erdogan est prêt à jouer. Le président peut aussi compter sur des moyens financiers plus importants que ceux de ses adversaires pour mener à bien la campagne électorale. Comme l’explique Oya Ozarslan, avocate de l’ONG Transparency International, l’amendement à la loi n° 7393 qui réglemente les élections législatives approuvé en mars 2022, a créé un vide réglementaire qui facilite la tâche du chef de l’Etat. Avec la révision de la loi, les restrictions à l’accès aux fonds publics pour la campagne électorale du Premier ministre, un chiffre supprimé avec l’approbation de la réforme constitutionnelle de 2017, ont été levées, mais aucune limite n’a été imposée à celui qui exècre la fonction de président. Au détriment d’une opposition politique qui doit aussi déjà composer avec un système judiciaire turc plié à la volonté du président. Ces dernières semaines, par exemple, nous avons assisté à la condamnation en première instance à deux ans de prison du maire d’Istanbul et principal challenger d’Erdogan, Ekrem Imamoglu, et plus tard également, les comptes bancaires du parti pro-kurde HDP ont été gelés, qui ne pourra donc pas accéder aux fonds publics. Autant d’initiatives utiles pour freiner la croissance du consensus de l’opposition à un moment où il est de plus en plus difficile de regagner du soutien.

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