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L’Europe a multiplié ses achats d’armes aux États-Unis, un cadre qui pose problème

(Rome, Paris, 09 novembre 2022). En raison du conflit en Ukraine, les ventes d’armes de fabrication américaine à l’Europe ont augmenté de façon exponentielle. Depuis la fin février, les dépenses européennes de défense ont augmenté d’environ 230 milliards d’euros, l’Allemagne prévoyant à elle seule de moderniser ses forces armées pour un montant total de 100 milliards, nous explique Paolo Mauri dans son analyse dans le quotidien italien «Il Giornale/Inside Over».

De cette somme d’argent, l’industrie américaine, qui produit et exporte plus d’armes que tout autre pays, a été le principal bénéficiaire. Une tendance qui dure depuis un certain temps et déterminée par l’instabilité croissante sur le continent européen en raison de l’agression russe, puisque dans la période 2017-2021, la Norvège a investi 83% de son budget (de défense) dans des armements de fabrication américaine, le Royaume-Uni environ 77 % , l’Italie 72 % et les Pays-Bas 95 %, comme le rapporte l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), les importations totales d’armes ayant augmenté de 19 % au cours de cette période par rapport aux cinq années précédentes.

Pour le Vieux Continent, ce fut un réveil brutal après une torpeur qui dura des décennies, provoquée par un illusoire sentiment de paix en Europe et qui a conduit les pays européens à ne pas considérer la modernisation et la mise en œuvre de l’instrument de Défense comme une priorité.

Selon William Hartung, chercheur au « Quincy Institute for Responsible Statecraft », depuis l’entrée en fonction du président Joe Biden, les pays européens ont rallongé quelque 33 milliards de dollars d’«offres d’armes», comme phase initiale des négociations sur la vente d’armes, dont 21 milliards sont comptabilisés à partir de février 2022. L’estimation est toutefois à la baisse, car ce dernier chiffre n’inclut pas les ventes commerciales directes qui sont plus difficiles à suivre.

L’une des raisons, identifiée par le chercheur de l’Institut Quincy, pour laquelle tant de pays se tournent vers les fabricants d’armes américains, est que l’industrie de la défense américaine est si importante qu’il ne faut pas attendre longtemps pour voir développer des armes de pointe. Une autre raison est étroitement liée aux enjeux géographiques : les pays d’Europe centrale et orientale veulent se lier d’une manière particulière aux États-Unis et montrer qu’ils apprécient l’alliance transatlantique, y compris l’OTAN. Cette décision découle aussi de la perception différente de ces pays en matière de sécurité par rapport aux autres pays du continent européen : géographiquement plus proches de la Russie, ils y voient davantage une menace existentielle, avec des paroxysmes en Pologne et dans les pays baltes.

La Pologne mérite une discussion séparée : non seulement Varsovie fait pression sur Washington pour qu’il ait plus de troupes américaines sur son sol, partage l’arsenal nucléaire tactique et montre de l’intérêt pour les armements de fabrication américaine, mais elle a aussi «effectué des dépenses» en matière d’armement parmi les alliés des États-Unis avec un important contrat d’un montant total de 20 milliards de dollars avec la Corée du Sud pour la fourniture de 180 chars de combat principal (Main Battle Tank) de type K2, d’obusiers et de 48 avions FA-50.

A lire : C’est ainsi que la Corée du Sud devient le «bras armé» des États-Unis en Asie

Pour en revenir aux systèmes d’armes fabriqués outre-Atlantique, le produit haut de gamme le plus prisé est le chasseur-bombardier F-35 de cinquième génération : ces derniers mois la Finlande en a commandé 54, la Pologne en a commandé 32 et même la Suisse a signé un contrat de vente. 71 autres appareils ont été commandés par la Norvège, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, mais ils font partie de contrats préexistants.

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Non seulement des chasseurs mais aussi des systèmes MLRS (Multiple Launch Rocket System), des missiles de défense aérienne et des UAV (Unmanned Air Vehicle). Le cas allemand, de ce point de vue, est particulièrement emblématique : Berlin a décidé d’acheter le F-35 pour remplacer les Tornado dans le rôle d’attaque au sol (y compris la version atomique), après des années de tergiversations qui ont vu la possibilité d’acheter un mélange de FA-18 américains (sans capacité nucléaire) et de nouveaux Eurofighter Typhoon.

La machine Lockheed-Martin a, objectivement, atteint sa maturité et représente le haut de gamme actuellement sur le marché pour ce type de rôle, mais le flux d’argent européen qui emprunte le chemin de Washington ne concerne pas, comme nous l’avons mentionné, que les chasseurs de cinquième génération, et donc l’industrie de l’armement du Vieux Continent, subit un préjudice non négligeable. Les États-Unis, il faut le dire, ne sont pas en tête, en Europe, dans tous les secteurs de l’armement : pour les MBT (Main Battle Tank/chars de combat principal, ndlr) par exemple, on a tendance à les acheter à l’Allemagne, ou pour les unités navales de surface, l’Italie se révèle être le chef de file du secteur.

Cependant, la possibilité d’acheter « chez soi » est en train de se perdre et cela est souvent dû au peu de soutien politique accordé à nos productions (également en raison de rivalités et de querelle de clocher), qui dans certains secteurs, ne sont pas inférieures à celles des États-Unis, mais au contraire, les dépassent. Il est aussi vrai que les calendriers de production/livraison font parfois pencher l’aiguille de la balance vers l’autre côté de l’Atlantique, mais on se demande pourquoi une instance comme l’Union européenne est incapable d’arrêter ce qui semble être une hémorragie d’argent vers les États-Unis. La Pologne, par exemple, qui allouera bientôt entre 3% et 5% de son PIB à la défense, a dépensé cette année 6 milliards de dollars pour les seuls armements américains. D’autres pays comme la Lituanie, la Finlande et la Grèce, qui, en augmentant leur budgets pour ce secteur, ils semblent enclins à se tourner davantage vers les États-Unis que vers l’Europe.

Acheter « chez soi », c’est permettre à l’industrie locale de faire un saut qualitatif supplémentaire et de générer un cercle vertueux de financement qui produit non seulement des améliorations technologiques mais aussi, la création de nouveaux emplois. Ces deux dernières années, il a souvent été question d’«autonomie stratégique» au sein de l’UE, mais celle-ci ne peut être mise en œuvre si nous ne commençons pas à mettre en place des politiques visant à règlementer le commerce des armes, d’autant plus que, juste outre-Atlantique, les règles du «libre marché» ne sont pas appliquées avec la même diligence que celle dont Washington veut voir appliquer.

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