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La Tunisie vers une crise sans fin

(Rome, Paris, 02 avril 2022). Inquiétudes de la part des États-Unis et de l’ONU face à la décision du président, Kais Saied, de dissoudre le Parlement avec de graves conséquences pour l’économie

La crise politique tunisienne s’aggrave, ce qui affecte par conséquent une économie déjà en difficulté, à la lumière de la dernière décision du président Kais Saied de dissoudre définitivement le Parlement, qu’il avait suspendu le 25 juillet dernier. En effet, à cette date, avec la destitution du premier ministre, Hicham Mechichi, et la suspension du Parlement dirigé par le principal rival politique du président, le chef d’Ennahda, Rached Ghannouchi, qu’a débuté la dernière phase de la crise tunisienne.

Dans son décryptage, Massimiliano Boccolini du quotidien italien «Formiche», observe que cette démarche est la dernière d’une série d’initiatives entreprises depuis l’été dernier et jugées par de nombreux responsables politiques locaux et observateurs internationaux comme dangereuses pour l’avenir du pays, le seul à sortir du soi-disant printemps arabe indemne, avec une certaine stabilité démocratique.

Ce n’est pas un hasard si la première réaction internationale est venue des États-Unis et des Nations unies qui ont exprimé leur inquiétude face à la décision de dissoudre le parlement, tandis qu’Ennahda et d’autres forces politiques locales ont dénoncé la mesure parlant d’une violation de la constitution, alors que les appels à des élections anticipées se multiplient.

Le porte-parole du département d’Etat américain, Ned Price, a déclaré que son pays était profondément préoccupé par la décision du président tunisien. M. Price a ajouté que Washington a répété à plusieurs reprises aux autorités tunisiennes que toute réforme doit être transparente et en consultation avec toutes les forces politiques.

Depuis New York, Farhan Haq, porte-parole du secrétaire général des Nations unies, a également exprimé l’inquiétude de l’organisation face à la décision du président tunisien de dissoudre le Parlement, exhortant toutes les parties à s’abstenir de toute action conduisant à de plus grandes tensions politiques.

En réponse, Saied a condamné l’initiative autonome des députés de se réunir en séance visioconférence pour décider d’annuler les mesures exceptionnelles adoptées par le président le 25 juillet dernier. Pour Saied, la réunion en ligne organisée par les députés représentait une tentative de coup d’État ratée et un complot contre la sécurité, ainsi qu’une tentative désespérée de saper l’unité nationale.

Mercredi soir 30 mars, immédiatement après la réunion des députés par visioconférence, le président tunisien a annoncé la dissolution du Parlement, gelé depuis plus de 8 mois, en vertu de l’article 72 de la constitution, et a accusé les députés qui s’étaient réunis pour annuler les mesures exceptionnelles, de conspirer contre l’État.

L’article 72 de la Constitution prévoit en effet la tenue d’élections législatives dans un délai de 45 à 90 jours à compter de la date d’entrée en vigueur de la décision de dissoudre l’institution législative, publiée au Journal officiel.

La décision de Saied de dissoudre le Parlement est donc intervenue après une réunion des parlementaires par visioconférence, au cours de laquelle 116 des 217 députés ont voté en faveur de l’annulation des décrets présidentiels exceptionnels qui confèrent au président des pouvoirs quasi absolus. Entre-temps, le président du parlement tunisien, Rashed Ghannouchi, a annoncé son refus de dissoudre l’institution législative et a dénoncé le fait que, dans l’intervalle, des dizaines de députés avaient été convoqués par la police pour être interrogés par les autorités.

Dans une interview accordée à la chaîne de télévision Al-Jazeera, Ghannouchi a déclaré que la décision de dissoudre le Parlement constituait une menace pour la Tunisie et sa sécurité, et a promis que le mouvement Ennahda, dont il est le chef, réagirait à cette décision par des moyens populaires et légaux, appelant à un dialogue incluant toutes les parties.

L’équipe de sécurité antiterroriste tunisienne avait en effet convoqué plus de 30 députés ayant assisté mercredi à la séance du parlement en mode virtuel.

Ennahda a également annoncé, à l’issue d’une réunion d’urgence de son bureau politique, qu’il n’acceptait pas la décision de dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et considérait que cette mesure représentait un nouveau démantèlement de l’État et de ses institutions et une nouvelle violation de la constitution. L’ancien président tunisien, Moncef Marzouki, a également appelé le Parlement à ignorer la décision de dissolution et à tenter d’atteindre un quorum visant à isoler le président Saied. Une position similaire a été adoptée par le parti du Courant démocratique tunisien.

Cette nouvelle étape dans la crise politique ne fait qu’exacerber la crise économique déjà grave qui afflige le pays depuis des années. Lorsque le président tunisien a annoncé la dissolution du parlement, la Tunisie cherchait des solutions à sa crise politique afin de persuader ses partenaires financiers et les institutions internationales de continuer à soutenir l’économie, qui a besoin d’au moins 12 milliards de dinars (environ 4 milliards de dollars) afin de garantir les importations de première nécessité et le paiement des salaires.

Selon de nombreux observateurs locaux, ajoute Massimiliano Boccolini, cette étape va prolonger les difficultés économiques et sociales du pays, compte tenu des difficultés de la vie et de la baisse du pouvoir d’achat et de la monnaie locale.

La décision de dissoudre le Parlement est intervenue quelques heures après que la ministre des Finances Siham Nemsiah a annoncé qu’il y avait des indications positives concernant l’accord de prêt avec le Fonds monétaire international (FMI). L’Union européenne avait également annoncé son intention d’allouer 4 milliards d’euros d’investissements en Tunisie. La stabilité politique des institutions de gouvernance et le consensus interne font partie des conditions de base pour les donateurs extérieurs, le Fonds monétaire international préconisant un programme de réforme bénéficiant d’un large consensus interne.

Les partenaires financiers de la Tunisie, notamment l’Union européenne, soulignent également l’importance du retour des institutions légitimes au gouvernement, alors que les rivalités politiques entre le président Saied et Ghannouchi ont aggravé la crise sous ses différentes formes.

L’ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, Marcos Cornaro, a déclaré que l’UE continuera à soutenir la Tunisie, mais appelle au retour des institutions légitimes, déclarant que les pays européens sont prêts à fournir 4 milliards d’euros (environ 4,5 milliards de dollars) de financement à la Tunisie, par la signature d’un accord avec la Tunisie et le Fonds monétaire international, entre 2022 et 2027.

Le rapport de la banque d’investissement « Morgan Stanley » a mis en garde contre l’incapacité de la Tunisie à honorer ses obligations envers ses créanciers, prévenant que la Tunisie se dirige vers un défaut de paiement de ses dettes si la détérioration actuelle des finances publiques de l’Etat se poursuit. Il pense que cela pourrait se produire l’année prochaine à moins que le pays ne parvienne rapidement à un programme avec le FMI et n’engage d’importantes réductions des dépenses. Cette décision fait suite à un avertissement similaire de l’agence de notation «Fitch», qui a abaissé la note de la dette souveraine tunisienne de (B-) à (CCC).

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