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Les mains de la Chine, de la Russie et de la Turquie sur le Maghreb (au détriment de l’Europe)

(Rome, 03 juillet 2021). Le Maghreb n’est plus une affaire purement européenne. Ou plutôt : il y a trois nouveaux acteurs qui évincent progressivement l’influence historique que la France et d’autres puissances similaires avaient toujours eues sur l’Afrique du Nord-Ouest. De la Mauritanie au Maroc, de la Tunisie à la Libye, en passant par l’Algérie, la présence de la Chine, de la Russie et de la Turquie est de plus en plus fortement marquée, pays qui ne sont apparus dans la région que depuis quelques années ou quelques décennies.

Selon Federico Giuliani dans son analyse dans «Inside Over», il est bien clair que Pékin, Moscou et Ankara opèrent chacun selon leur propre «modus operandi/mode opératoire» et avec l’intention d’atteindre des objectifs différents. Cependant, la conséquence de leur présence au Maghreb est la même : la création de relations diplomatiques alternatives aux liens traditionnels entre les pays d’Afrique du Nord et les pays européens, avec l’inévitable éclipse de l’implication de ces derniers dans les affaires locales. Ainsi se forment des sphères d’influence inédites et des filières économico-commerciales jusque-là inexistantes.

Comme l’a souligné Asia Times, au cours des dernières années, le Maghreb s’est transformé en un champ de plus en plus encombré. La France est la première perdante. Du fait de ses fluctuations historiques, Paris avait des racines assez profondes dans la région, notamment entre l’Algérie et la Tunisie. Pourtant, l’ombre française est à son tour obscurcie par des ombres encore plus grandes.

Le Maghreb entre passé, présent et futur

Le bras de fer en cours au Maghreb concerne plusieurs domaines, non seulement l’influence politique mais aussi celui des armes, de soldats ou encore le commerce. Et dire qu’à partir du XIXe siècle la quasi-totalité du nord-ouest de l’Afrique a été dominée par les puissances coloniales européennes. La France avait planté ses drapeaux en Tunisie et en Algérie, ainsi qu’au Maroc, en partage avec l’Espagne ; plus tard ce fut au tour de l’Italie, qui se tourna vers la Libye. Entre les années 1950 et 1960, à la suite de diverses guerres d’indépendance, les pays dominés par des gouvernements étrangers ont réussi à obtenir la liberté tant désirée.

Néanmoins, les liens avec les anciennes puissances coloniales sont restés stables pendant de nombreuses décennies. A tel point qu’en 2019, la France, l’Italie et l’Espagne étaient toujours les trois premiers partenaires commerciaux de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie, tandis que l’Union européenne pouvait se vanter de réaliser plus de la moitié de tous les échanges commerciaux au Maghreb. Il est donc impossible d’ignorer les relations culturelles : de nombreux citoyens français sont d’origine maghrébine tout comme la langue française est encore parlée en Algérie, en Tunisie et au Maroc.

Ce qui précède s’applique au passé et à une partie du présent. Cependant, l’avenir pourrait être complètement différent. Suite à la crise économique qui a frappé l’Europe et au désintérêt progressif des Etats-Unis à l’égard de l’Afrique, les pays du Maghreb ont commencé à tisser de nouveaux complots. Comme Bruxelles est incapable de combler le vide laissé par Washington (pour des raisons économiques), mais peut-être aussi de stratégie politique, voici la création de «prairies» pour la Chine, la Russie et la Turquie. Heureux d’étendre leur influence dans une zone stratégique, qui est également proche de la mer Méditerranée.

Chine, Russie et Turquie : les nouveaux acteurs

Prenons la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, ajoute Federico Giuliani. D’un point de vue militaire, Ankara peut avoir son mot à dire en Libye et dispose de troupes déployées sur le terrain à Tripoli ; sur le plan du commerce, les entreprises et produits turcs gagnent du terrain en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Ensuite, arrive la politique : l’un des plus grands partis tunisiens, le Parti Ennahda, serait lié aux Frères musulmans, eux-mêmes soutenus par Ankara. Enfin, arrive le soft power : le soft power turc se renforce, grâce à la diffusion des séries télévisées et aux échanges pédagogiques.

Passons maintenant à la Russie. Moscou est également un acteur militaire important en Libye, ainsi que l’un des principaux fournisseurs d’armes de l’ensemble de la région. Les Russes sont impliqués dans le secteur énergétique algérien grâce aux géants Gazprom et Lukoil et, en général, ont gagné du « soft power » dans toute la région grâce à une diplomatie vaccinale embryonnaire. Autant dire que l’Algérie et la Tunisie ont, non seulement donné leur feu vert à l’utilisation du Spoutnik, mais espèrent aussi produire localement le vaccin anti-Covid.

Et M. Giuliani d’ajouter dans son analyse que le dossier entre les mains de la Chine est plus complexe. Pékin a beaucoup investi dans la diplomatie des vaccins, le Dragon ayant envoyé de nombreuses doses de Sinopharm au Maghreb. Ensuite, les gouvernements locaux apprécient particulièrement le soutien chinois, puisque la Chine, contrairement à l’Europe, ne parle pas des droits de l’homme et ne critique pas les gouvernements non démocratiques. C’est aussi pour cette raison que le géant asiatique a augmenté le montant des investissements dans la région. Le plus important ? La Grande Mosquée d’Alger (1 milliard de dollars) et le pont Rabat-Salé au Maroc (pont Mohammed VI, 32,5 millions de dollars), respectivement la plus grande mosquée d’Afrique et le pont le plus long du continent. Enfin, la Chine s’intéresse également au Maghreb en raison de l’initiative «Belt and Road». La raison est simple : pour relier les routes commerciales chinoises à l’Europe via l’Afrique, il n’existe pas de meilleur point d’appui que les pays situés le long de la côte nord-ouest du continent. En d’autres termes, le Maghreb lui-même.

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