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«L’Italie a besoin de stabilité. J’ai confiance dans le Président Mattarella». La rencontre avec Macron à l’Elysée sur les grands dossiers internationaux

Anais Ginori. (La Repubblica). « L’Italie a besoin de stabilité. L’Italie a besoin du Recovery Fund ». Emmanuel Macron suit de près la crise gouvernementale et explicite immédiatement ce qu’il pense être les priorités.

Dans le salon Napoléon III du Palais de l’Elysée, le leader français sirote un café et boit un jus pressé. Le Président, qui a eu le Covid à Noël, est habillé dans un style existentialiste, avec une veste et un pull à col roulé noir, et enlève souvent son masque, noir également. Il répond aux questions l’une après l’autre lors de la rencontre avec un groupe de journalistes de la presse étrangère, dont «La Repubblica». Un entretien d’une heure et demi au cours duquel le chef de l’Etat s’est exprimé sur l’actualité internationale, de la controverse sur les vaccins, aux premiers contacts avec Biden, au dossier nucléaire iranien. Le seul point sur lequel il refuse de répondre est l’hypothèse d’un troisième confinement pour la France.

Le risque italien

« Il y a beaucoup de crises politiques en ce moment en Europe et je pense que d’ailleurs tout cela est lié. La tension que crée l’épidémie sur nos sociétés est un facteur de crise politique accéléré » note Macron lorsqu’on lui demande s’il est préoccupé par les négociations pour trouver un nouveau gouvernement. « L’Italie a besoin de stabilité et l’Italie a besoin du plan de relance » continue le leader français. « Et donc moi, dans ce moment-là, je suis en soutien et en amitié avec le président Mattarella qui va avoir un rôle dans le fond une fois encore très important dans les prochaines heures, les prochains jours pour trouver un équilibre politique. Et je souhaite vraiment vivement que la solution soit trouvée le plus rapidement pour que l’Italie puisse bénéficier du plan de relance ».

Le dirigeant français entretient une solide relation de confiance avec le chef de l’État italien, qui a déjà contribué à résoudre la crise diplomatique entre Rome et Paris à l’hiver 2019. Macron se garde bien d’intervenir dans les affaires intérieures d’un pays qu’il aime et connaît d’ailleurs. « Je pense que le Premier ministre Conte a eu raison de tout faire pour que ce plan de relance aboutisse. Je sais que le président Mattarella a une vraie volonté que l’Italie puisse en bénéficier le plus vite possible. Donc moi c’est le seul souhait que j’ai parce que plus vite cette crise politique sera réglée, plus vite l’Italie pourra justement bénéficier de la force de ce plan de relance et répondre aux problèmes économiques et sociaux qui sont les conséquences de notre réponse à la crise sanitaire ».

La stratégie vaccinale

Macron continue de défendre la stratégie européenne sur l’achat groupé de vaccins, malgré les retards dans la campagne vaccinale en particulier en France où elle a démarré encore plus lentement. « Je pense qu’il faut tous qu’on garde à l’esprit le fait que l’épidémie s’arrêtera quand, au niveau des plaques continentales, des endroits où les gens circulent, on sera tous ensemble vaccinés ». Avec un record de personnes vaccinés au Royaume Uni, les brexiters peuvent aujourd’hui revendiquer d’avoir eu la bonne stratégie. Une comparaison qui visiblement ne plaît pas à Macron. « Il faut faire très attention à la manière dont on compare les stratégies vaccinales. L’objectif n’est pas d’avoir le plus possible de premières injections » explique le Président qui veut conformer la France aux recommandations des deux injections avec un délai maximum de 28 jours entre les deux. « Les États-Unis ont fait comme ça, nous aussi » continue Macron pour qui rallonger le temps entre les deux doses, comme l’a fait le Royaume Uni avec jusqu’à 6 semaines de délai, pourrait accélérer aussi l’apparition de mutants. « Je ne crois pas aux mirages, il faut tenir sur cette ligne » continue le Président qui voit aussi comme signal positif l’arrivée prochaine du vaccin de Johnson & Johson qui pourrait comporter une seule dose et devenir un « game changer ».

La polémique AstraZeneca

À propos des sous-livraisons annoncées par AstraZeneca, la France soutient l’action de la Commission « pour vérifier qu’il ne puisse pas y avoir des engagement contractuels qui soient revus en fonction de la pression de tel ou tel pays ». Le Président parle d’un contrôle des exports et non pas d’une interdiction. « Ça n’aurait aucun sens parce que nous sommes aussi dépendants de productions non européennes. La situation qu’on vit sur le sujet des vaccins est inédite et je crois beaucoup dans l’intérêt de la coopération sur ces sujets ». Même si le Président veut « apaiser » les discussions avec le laboratoire anglo-suédois, il précise: « Il y a eu un manque de transparence dans les informations fournies en particulier à un moment donné par AstraZeneca. Donc, il était normal qu’il y ait un échange contradictoire, et je le dis avec beaucoup de respect pour ce laboratoire » précise Macron qui était, il y a quelques mois à Dunkerque sur un site de l’entreprise. « C’est normal qu’on dise qu’on veut de la transparence. On veut avoir les capacités d’audit et on veut être sûr que si les gens n’honorent pas leur contrat, ce n’est pas parce qu’ils vont sur-livrer ailleurs».

Plus encore que les retards de livraison, Macron se montre inquiet sur le vaccin AstraZeneca qui pourrait être « quasi inefficace » sur les personnes de plus de 65 ans ou 60 ans. « Le vrai problème c’est qu’il ne marche pas comme on s’y attendait. On a très peu d’informations. Les américains pour le moment ne l’ont pas pris. On attend de voir leurs résultats de l’EMA ». L’Allemagne a déjà annoncé qu’elle n’autoriserait pas ce produit pour les plus de 65 ans. « Si on me fournit un vaccin qui marche très bien pour les gens qui ont moins de 55 ans, c’est super dans la durée mais ce n’était pas exactement ce qu’on avait sur le road map ». Le Président ne veut pas jeter la pierre à AstraZeneca. « Ils ont essayé de participer à l’effort collectif. C’est une très bonne recherche faite à Oxford mais ils ont manifestement des problèmes de développement. On est en train de voir, donc j’espère qu’ils vont pouvoir s’améliorer. Il ne faut pas s’énerver. Je rappelle qu’il y a un an, les meilleurs scientifiques disaient qu’il était impossible d’avoir un vaccin. Ça n’a jamais existé dans l’histoire de l’humanité ».

Le retard de l’Europe

Le jeu des comparaisons avec des pays encore plus lointains qui ferment brutalement leurs frontières serait trompeur selon Macron. « Quand on compare avec la Nouvelle-Zélande ça n’a aucun sens. On n’est pas une île qui a la population de Lyon et qui peut s’isoler. Les seules stratégies vaccinales qui peuvent marcher sont celles qui organisent, au moins à l’échelle d’un continent, la vaccination. Faisons l’hypothèse que la France, l’Italie, l’Allemagne ait une politique nationale extrêmement ambitieuse et rapide, elle serait vouée à l’échec si elle n’était pas accompagnée de la même politique vaccinale par les voisins parce que nos économies sont intégrées. Moi-même, j’ai 500.000 transfrontaliers. Tout cela ne marche pas que si on le fait ensemble. Donc on a eu raison de le faire ensemble. Je me félicite qu’au sein de l’Union, on ait une stratégie coordonnée d’achats, de vaccination et d’organisation. Il faut tenir sur cette ligne ».

La stratégie d’achats groupés au niveau de l’UE n’a pas encore permis d’avoir assez de vaccins pour tout le monde. « Ce que personne n’avait anticipé, et c’est un aspect formidable de cette crise, c’est que ce qui marcherait le mieux et plus vite, serait les vaccins les plus compliqués » dit Macron à propos des produit développés par Pfizer/BioNTech et Moderna. « Ce que dit cette crise est que la Twingo met plus de temps à être produite que la Tesla qu’on n’avait jamais produit. C’est exactement ce qui s’est passé. Personne n’avait jamais fait un vaccin avec l’ARN messager ». Macron reconnait que l’Europe va plus lentement par rapport aux États-Unis qui, selon lui, « ont complètement raté » la gestion de la crise dans la première phase mais ont réussi un exploit dans la campagne vaccinale en surinvestissant avec l’organisme Barda e l’opération Ward Speed. « C’est un modèle extrêmement innovant sur le plan organisationnel. Moi, je suis très admiratif ».

La prise de risque

Jusqu’au printemps dernier, la Commission européenne n’avait pas réellement de compétence sanitaire. « Dans cette crise, si on fait le bilan, on a fait un saut hamiltonien sur le sujet financier. On a décidé d’émettre de manière solidaire de la dette. On a décidé un « Recovery Plan inédit » ». Sur le plan sanitaire, admet Macron, les premières semaines ont été une « cacophonie ». « Ensuite, on s’est beaucoup coordonné et on a construit cette compétence sanitaire communautaire qui n’existait pas. On fait faire aujourd’hui à la Commission européenne quelque chose qui n’est pas sa fonction, là où c’est la fonction de l’État fédéral américain ». Macron parle de « bon équilibre à trouver » entre l’accélération des procédures, le fast track qui a été utilisé aux USA, et les garanties sanitaires pour une « bonne science le plus vite possible ». « Les Américains savent très bien faire ça parce qu’il y a un modèle organisationnel qui prend en compte le risque et parce que eux ils ont fait un choix très tôt avec une espèce de foi dans la science ». Macron est favorable à plus de souplesse et à une prise de risque à certains moments. «Moi c’est un peu mon ADN politique, mais je pense que nos organisations en Europe ont besoin de retrouver un peu ça. Nous avons peut-être eu parfois trop de prudence. On a parfois été très tatillons. Ce qui est formidable est que nous pouvons profiter maintenant de ce que les Américains ont fait».

La situation économique européenne

Dans un contexte politique tendu, et pas seulement en Italie, Macron revendique les avancées européennes avec le Recovery Fund et l’action de la BCE. « On a décidé d’avoir un outil monétaire et budgétaire ensemble, et de le faire de manière équilibrée et solidaire pour la première fois. C’est un pas existentiel dans l’intégration européenne qui a réduit le stress financier ». Lors de la crise du printemps le leader français a utilisé l’expression « quoi qu’il en coûte » pour annoncer le soutien massif à l’économie. « Le quoi qu’il en coûte, moi je l’ai formulé mais il est européen », observe le Président. « Regardez les chiffres. L’Allemagne a fait plus de dépenses que la France, l’Italie aussi. Le quoi qu’il en coûte est une politique européenne. Ce qui est très important dans le contexte actuel, c’est de voir que ce n’est pas une crise assymétrique, c’est une crise qui touche tous les pays. La question ensuite c’est de savoir face à cette crise comment vous décidez de protéger, garder vos équilibres sociaux, éducatifs et vos fondamentaux économiques ». Le soutien massif à l’économie française est selon Macron une des leçons tirées de la précédente crise financière. « Le quoi qu’il en coûte, je l’ai copié de ce que l’Allemagne a fait en 2008. Entre 2008 et 2010, l’Allemagne a une récession deux fois plus importante que la France, mais elle détruit sept fois moins d’emplois. Pourquoi ? Parce qu’elle investit dans la préservation de l’activité économique. Elle crée des dispositifs de chômage partiel. Nous, on ne le fait pas du tout ».

L’économie française est sous perfusion et ça va continuer. « C’est en quelque sorte un dispositif de respirateur artificiel, pour préserver les entrepreneurs, les salariés dans nos pays. Je pense qu’on a bien fait parce qu’on préserve aussi les compétences et la capacité de rebond. Et d’ailleurs, c’est plutôt ce qu’on a vu après la crise de printemps, l’économie français est repartie beaucoup plus vite ». Le choix français est partagé au niveau européen et mondial. « Les Etats-Unis sont en train de faire un programme de monnaie hélicoptère. Les Britanniques aussi. Tous les pays qui peuvent, le font ».

Selon Macron, le sujet de la dette financière n’est pas une source de préoccupation immédiate malgré l’énorme écart qui se creuse entre la dette publique française et celle de l’Allemagne. « Cet écart de dette, il a été constitué dans les quinze années qui ont précédé cette crise. D’ailleurs les marchés ne s’y trompent pas. Mon spread avec l’Allemagne est plus faible qu’avant la crise, donc je n’ai pas de stress sur ce point ». Le vrai sujet d’inquiétude vient plutôt d’un creusement des inégalités « entre les pays qui ont les moyens de se confiner et sauver leur économie, et ceux qui n’ont pas les moyens ». « C’est ça, le drame » observe Macron à propos de pays émergents mais aussi européens. « Le débat existe en Espagne, je pense qu’ils prendront des mesures dures mais ils ont peur de l’impact financier ».

La nouvelle Amérique

Le premier contact entre Macron et Joe Biden a été positif selon le chef d’État français. « C’est quelqu’un avec qui la discussion est très agréable et plaisante ». Macron a défendu auprès du nouveau président américain son idée de souveraineté européenne qui a créé beaucoup de tensions avec l’administration Trump. Le Président rappelle qu’il avait porté ce concept lors de sa campagne électorale et qu’elle a été un de ses piliers du discours de la Sorbonne sur l’Europe en septembre 2017. « Si on a fait une erreur en Europe c’est d’avoir laissé le concept de souveraineté aux nationalistes. J’assume totalement l’idée de souveraineté et d’autonomie. Qu’est-ce que c’est l’autonomie ? C’est le fait que je décide pour moi même les règles qui s’appliquent, je ne dépends pas des règles de l’autre ». La crise sanitaire a d’ailleurs, selon Macron, confirmé cette nécessité. « Je n’avais pas une seule seconde l’idée qu’une pandémie puisse arriver et qu’on ait l’expérience si cruelle de ce qu’est le manque de souveraineté dans certains secteurs ».

L’autonomie stratégique

Selon le Président, cette recherche d’autonomie doit se faire au premier chef par rapport à la Chine, mais aussi par rapport à un allié comme les États-Unis même après le départ de Trump. « Les antagonismes qu’il y a pu y avoir avec l’administration sortante ont sans doute servi de facteur d’accélération. Moi, je considère que cette nécessité d’autonomie est encore valable aujourd’hui ». Macron explique que ce thème est sur la table dans la nouvelle relation transatlantique qui se dessine. « J’ai eu une discussion avec le président Biden dimanche dernier pour le lui expliquer, y compris dans l’articulation avec l’Otan. Pour la partie militaire, la recherche d’autonomie ne veut pas dire que nous voulons délier les alliances existantes ou les partenariats. C’est expliquer qu’on veut être un partenaire crédible et autonome. Coopérer, ce n’est pas dépendre. Coopérer, c’est choisir de travailler ensemble pour des valeurs et des objectifs communs. Le jour où coopérer signifie dépendre vous êtes devenu le vassal de quelqu’un et vous disparaissez ».

La première conversation avec le nouveau Président démocrate a permis de jeter les bases de cette nouvelle relation sur les principaux enjeux stratégiques. « Il m’a dit : “ j’entends totalement et on va travailler ensemble ». Macron est le leader européen qui porte le plus le discours de Défense européenne. « Il est indispensable que l’Europe prenne aussi sa part du fardeau mais dans un contexte où on a aussi besoin de plus de cohérence dans l’Otan et donc d’un engagement commun par rapport à la Turquie, aux autres ». Dans le face à face avec la Chine Macron parle de « dialogue structurant » à propos de l’accord sur les investissements de fin d’année qui, précise-t-il, n’est qu’un « point d’étape qui ne clôture pas le sujet car il va y avoir un débat au Parlement ». « Mais pour la première fois, c’est aussi pour cela que j’accepte ce momentum, la Chine nous dit vouloir s’engager sur le droit du travail et les règles de l’OMC pour la lutte contre le travail forcé ».

Le choc de Capitol Hill

Macron revient aussi à l’assaut du Capitole par les partisans de Trump et le choc que ça a provoqué. « Ce qui m’a beaucoup frappé c’est le retour de la violence et le risque d’une forme de mutation anthropologique qu’on est en train de vivre avec les réseaux sociaux. C’est l’effet de sidération pour des scènes qui paraissaient impossibles. Et d’ailleurs, cette image qui a fait le tour du monde, de cet homme avec les attributs de tous les extrêmes et des philosophies complotistes, suprématiste, dans le cœur du pouvoir, alimentait l’effet de sidération. Mais la propagation de cette image, a un effet de réplication comme le virus l’a d’ailleurs ». Les scènes de Washington ont fait écho à celles dramatiques auxquelles on a assisté durant le mouvement des gilets jaunes. « Nous l’avons déjà vécu, même avec des crises successives, des émeutes très fortes » observe le président français. « Moi, je crois beaucoup au droit de manifester, préservé y compris pendant la crise sanitaire. Mais je pense qu’il n’y a rien qui justifie en démocratie la violence. Certains ont commencé à avoir un discours consistant à dire : « il y a une telle violence économique, sociale, autre, que la violence politique est justifiée ». La haine est permise dans le totalitarisme, parce qu’on n’a pas la possibilité de s’exprimer librement ou de choisir les dirigeants. Si la haine revient en démocratie elle menace la démocratie ».

L’autre risque que Macron voit pour les démocraties est le relativisme. « Nos pays sont fondés sur la croyance en la raison. Si vous vous mettez à avoir une théorie scientifique sur le variant, alors que votre formation est philosophique, et que c’est totalement faux, l’endroit d’où vous parlez fait que ça n’a pas la même valeur que la professeure d’épidémiologie ou un chercheur à l’Inserm. Nos démocraties ont confondu la liberté d’expression avec le relativisme. Et le relativisme crée le complotisme parce qu’il suffit d’avoir un fada qui a un discours cohérent, qu’il diffuse sur Internet, qui le propage. Moi, j’y crois assez, c’est cohérent. C’est comme un film et on se met à le croire comme une étude scientifique qui va donner des certitudes ».

Le rôle des réseaux sociaux

« Les réseaux sociaux créent la liberté et permettent à des idées de pénétrer les sociétés qui sont fermées ; ils sont un vecteur de propagation de l’intelligence, de la compréhension des problèmes, une avancée formidable de notre temps. Et ils sont en même temps un propagateur possible de haine et relativisme. Et donc, la question qui nous est posée démocratiquement, c’est comment on crée les règles ? On est en train de redécouvrir qu’il n’y a pas de liberté sans ordre public ». Macron continue de soutenir la nécessité d’une régulation des grandes plateformes et ne se prive pas de critiquer Twitter pour avoir effacé le profil de Trump après l’assaut du Capitole. « Tous ceux qui ont permis au Président Trump de réussir, qui ont été les premiers diffuseurs, ont attendu d’être totalement sûr qu’il n’ait plus le pouvoir, pour se rappeler et dire « maintenant on va lui couper le sifflet ». Est-ce que c’est à eux de choisir ? ». Le président trouve que des entreprises privées ne devraient pas avoir un tel pouvoir dans une démocratie. « Je pense que c’est un sujet essentiel de vrai régulation internationale et qu’on retrouve d’ailleurs un moment que la vie américaine a vécu au début du vingtième siècle avec le premier Roosevelt, qui était sur les trusts, et qui voulait dire qu’à un moment donné on va remettre la justice dans la démocratie. Et c’est ça le sujet ».

Le danger iranien

Avec l’arrivée de Biden, la position européenne est alignée sur celle de Washington après le retrait de l’accord JCPOA sur le nucléaire avec l’Iran. Que pourra faire Macron maintenant pour aider à une solution ? « J’ai envie de vous dire que j’ai pas mal cotisé déjà avec le prix de la critique, mais pas le prix du public » répond-il avec un sourire. « Je suis lucide. Je pense que l’administration américaine n’a pas besoin de moi pour faire de la médiation. Elle a des gens qui connaissent très bien les pouvoir iraniens. La difficulté aujourd’hui, c’est qu’il y a une fenêtre de tir entre maintenant et les élections en Iran. Je pense qu’il faut en profiter. La deuxième difficulté, c’est que le temps qui nous est donné est plus court. Parce qu’ils ont repris leurs activités d’enrichissement. La troisième chose, c’est que l’agenda est plus exigeant sur le plan du nucléaire, mais qu’il doit être aussi plus exigeant en incluant les partenaires de la région ». Macron considère qu’il ne faut pas répéter l’erreur faite en 2015, quand l’accord avec Téhéran avait été conclu sans les puissances régionales. « La France peut aider à mieux prendre en compte les intérêts des partenaires de la région pour avoir un agenda de confiance avec l’Arabie saoudite et Israël. Ça correspond à ce que j’avais essayé de proposer sans succès à partir de fin 2017, début 2018 ». L’accord JCPOA ne suffit plus, répète le président français. « Il faut aller plus loin puisqu’il ne suffit plus. Mais complétons-le avec un dialogue sur les activités balistiques et les activités régionales. Notre souhait, c’est d’être des partenaires de jeu, du dialogue. S’il n’y a pas de dialogue, on va vers l’escalade. Et je ne vois pas comment cette escalade ne deviendrait pas à un moment donné une escalade militaire. C’est d’ailleurs, à mon avis, la grande erreur qu’ont faites celles et ceux qui pensaient qu’il y avait une solution autre que la voie de la négociation. Quand on va jusqu’au bout de leur raisonnement, ça va jusqu’aux « régime change », et du coup à la guerre. Nous on essaye d’être des « honest broker » ou des partenaires actifs, en particulier en ayant ce rôle pour la région ».

L’Égypte et l’affaire Regeni

Interrogé sur l’émotion qu’a provoqué en Italie la remise de la Grande Croix de la Légion d’Honneur au président égyptien Al Sissi, sur fond de l’affaire Regeni, Macron dit tout de suite : « Je comprends totalement l’émotion ». Il a vu les messages d’intellectuels italiens comme Corrado Augias, qui ont décidé de rendre leur Légion d’Honneur en réponse au tapis rouge déroulé au dictateur égyptien. « Je pense qu’il faut voir ce qu’est la Légion d’honneur avec un dirigeant étranger et l’histoire dans laquelle s’inscrit cette remise. Tout ça est parfaitement explicable, dans un cadre totalement transparent et assumé parce que le président Sissi est aussi un allié contre le terrorisme et les déstabilisations ». Macron répète qu’Al Sissi est un partenaire indispensable dans la région. « Quand on a eu à discuter en lien avec l’Italie pour la libération des pêcheurs en Libye, pour convaincre Haftar de les libérer, Sissi nous a aidés. Je vous le dis ».

Le Président montre aussi de connaitre le drame de la mort de Giulio Regeni en 2016 et le déni de vérité opposé par les autorités égyptiennes depuis. « Je suis très sensible à l’affaire que vous évoquez » dit-il en balayant les accusations d’indifférences et de manque de solidarité avec l’Italie dans ce combat. « Je comprends très bien cette émotion, je veux vraiment lever tout malentendu sur le fait qu’il y aurait une forme de complaisance ou de non perception de ce que vous dites, au contraire ». Macron défend pour autant sa relation étroite avec Sissi. « Évidemment, dans les échanges qu’on a eu avec le président Sissi, que j’ai toujours vu, y compris en France, nous avons des divergences. Nous n’avons pas la même vision des droits de l’homme, du rapport religieux ou autre. Je pense que l’engager dans un dialogue exigeant sur la libération, justement, à la fois de journalistes, de dirigeants d’ONG, de blogueurs, est la chose la plus utile qu’on peut faire ».

Macron dit vouloir convaincre le président égyptien, régulièrement dénoncé par les ONG pour les arrestations arbitraires de ses opposants, que la stabilité de son pays passera par l’ouverture et pas par la fermeture complète. « La lutte contre le terrorisme, oui, mais l’emprisonnement de tout opposant politique est une folie. J’ai ce dialogue avec lui depuis le début en tête à tête. On a obtenu à chaque fois des libérations. Le changement n’est pas assez rapide ». La France pourrait-elle faire quelque chose pour aider l’Italie dans le combat pour la vérité sur la mort de Regeni ? « Je continue le travail et je me suis aussi engagé à ce que les clarifications sur les sujets sensibles pour nos amis européens soit faite».

Anais Ginori. (La Repubblica)

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