(Rome, 06 décembre 2025). Le général russe Vladimir Chirkin reconnaît pour la première fois que Moscou a gravement sous-estimé la résistance ukrainienne, surestimé le potentiel de ses forces et s’est appuyé sur des renseignements erronés. Selon lui, la conviction que la population soutiendrait l’invasion a mené l’armée russe à une stratégie vouée à l’échec, provoquant une «dure leçon» dès les premiers jours du conflit
«Nous avons essuyé une dure leçon en Ukraine. Nous pensions que 70 % de la population était de notre côté, mais il s’est avéré que le peuple ukrainien était contre nous. C’est un échec de nos services secrets».
Ces déclarations ont été faites par le général Vladimir Chirkin, militaire de carrière de l’armée russe, qui a commandé le district militaire central en 2010, puis les forces terrestres russes, écrit Paolo Mauri dans «Il Giornale».
Dans une vidéo qui circule ces jours-ci sur les réseaux sociaux, le général, condamné pour corruption en août 2015 puis réhabilité quatre mois plus tard, affirme également que «toutes les guerres ont un objectif, et dans celle-ci, l’objectif, fixé par Poutine, était la dénazification et la démilitarisation de l’Ukraine, à atteindre par une planification tactique, opérationnelle et stratégique».
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Et le général d’ajouter : «Je n’ai l’intention de critiquer personne, mais je suis d’avis que la Russie, une fois de plus, comme cela s’est produit par le passé, a sous-estimé l’ennemi et surestimé le potentiel de ses propres troupes». Le général Chirkin poursuit ce qui constitue une réprimande, en affirmant que «si vous vous souvenez tous, au début de la guerre, on disait qu’elle durerait trois jours», alors que maintenant, ils se sont retrouvés embourbés. Il a également déclaré : «Je vais faire une déclaration qui déplaira à la communauté du renseignement, mais qui a été formulée par la direction : dire que 70 % des Ukrainiens étaient de notre côté et 30 % contre, était une fausse information ; c’était l’inverse qui était vrai. Et à quoi cela nous a-t-il menés ? Nous le voyons. Dès la première semaine, nous avons subi une leçon brutale et cruelle».
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Le général fait référence au fait que les forces russes étaient entrées en Ukraine avec la certitude que le pays capitulerait en quelques jours, précisément parce que, selon les services de renseignement russes, la population attendait d’être «libérée» par les Russes. Mais cela s’est avéré faux, même dans les provinces les plus russophones, comme celles de l’est, où la population, se voyait bombardée, s’est rangée du côté de la résistance à l’invasion.
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Les déclarations du général Chirkin ne sont ni le fruit de fantasmes ni le résultat d’une aversion pour le Kremlin : cet officier désormais à la retraite s’exprime avec prudence et critique les services de renseignement, et non les dirigeants russes. Sa rhétorique est celle d’un homme qui aurait voulu que l’opération militaire spéciale soit mieux organisée, et non celle d’un dissident.
Du point de vue de l’histoire de cette guerre, ajoute l’auteur, Chirkin confirme ce que nous avions déduit durant les premières semaines du conflit, lorsque nous avions analysé la nature de la résistance ukrainienne et mis en lumière les erreurs russes dans le plan d’invasion. Nous avions constaté, par exemple, que les services de renseignement avaient échoué à identifier les batteries mobiles de missiles de défense aérienne et les bases où avaient été dispersés les chasseurs-bombardiers ukrainiens, tandis que la question du soutien populaire était apparue clairement dans les images venues du front, où l’avancée russe avait été accueillie par une pluie de missiles antichars plutôt que de fleurs.
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La confirmation indirecte de l’échec du renseignement est arrivée lorsque la présidence russe a écarté certains dirigeants des services d’information du FSB. Fournir au Kremlin des renseignements sur l’Ukraine était depuis longtemps la tâche du cinquième service du FSB, mais après l’échec révélateur du déroulement du conflit, la présidence russe l’a dessaisi de cette responsabilité pour la confier au GRU, le service de renseignement militaire.
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On n’a jamais su clairement quand cette passation forcée s’est produite, mais on estime qu’elle aurait eu lieu en mars 2022, lorsque plusieurs hauts responsables du FSB, dont le général Sergueï Beseda, chef du service, ont été arrêtés.
Au-delà de la confession individuelle, les déclarations du général Vladimir Chirkin soulignent un dysfonctionnement structurel : la dépendance du pouvoir russe à une information filtrée par des services de renseignement soumis aux attentes politiques. Cette distorsion du réel a produit un diagnostic stratégique erroné, menant à un plan d’invasion inadapté et à un engagement militaire fondé sur des prémisses fausses. L’aveu du général éclaire moins les erreurs opérationnelles que la fragilité du processus décisionnel russe, où la volonté politique prime parfois sur l’évaluation objective du terrain.
Plus de deux ans après, ces révélations éclairent rétrospectivement les difficultés rencontrées par Moscou et montrent combien la perception initiale de la réalité ukrainienne a pesé sur l’échec des premiers objectifs stratégiques.
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