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Koursk : le dilemme entre la menace atomique de Poutine et le renard Gerasimov

(Rome, 19 août 2024). De nombreuses questions se posent quant à l’absence substantielle jusqu’à présent, non seulement d’une défense, mais surtout d’une contre-attaque face à l’invasion ukrainienne qui s’est enfoncée profondément au-delà de la frontière russe. Qu’a en tête Poutine ? C’est la question et, en même temps, la crainte de plus d’un

Pour Poutine, qu’est-ce qui se cache derrière le «dilemme de Koursk», comme l’a défini le président américain Joe Biden ? A Washington, à Londres et en Europe, ils sont convaincus que Vladimir Poutine ne le sait même pas. La seule crainte, voire la terreur, qui effraie l’Occident, c’est qu’il envisage d’utiliser une bombe atomique tactique pour faire chanter le monde. Même s’il le pensait, ils ont évidemment réussi à l’en dissuader ou lui faire comprendre qu’il n’était absolument ni sain ni pratique de le faire, selon l’analyse de Gianfranco D’Anna dans les colonnes de «Formiche.net».

Depuis dix jours, le Kremlin est peuplé de cauchemars et de fantômes. À moindre échelle, mais avec un effet perturbateur plus important ; le président russe revit les heures convulsives de la marche sur Moscou en juin 2023 de la brigade mercenaire Wagner, dirigée par Evgueny Prigozhin. La même impuissance réactive, mais avec la circonstance aggravante qu’il ne s’agit pas cette fois d’une révolte d’unités irrégulières de l’armée russe, mais de troupes d’un pays ennemi alors que la capitale, située à seulement 500 kilomètres de Koursk, semble pratiquement sans défense. Les accusations portées contre l’OTAN d’avoir planifié et soutenu l’invasion ukrainienne ne font que mettre en évidence le fossé existant en matière d’armements et de renseignement entre l’Alliance atlantique et l’appareil militaire russe. En prévision d’une contre-offensive efficace et sans propagande, Moscou a annoncé le recrutement de milliers de travailleurs pour creuser des tranchées successives le plus rapidement possible afin de ralentir l’avancée des forces de Kiev. Une tactique identique utilisée contre Prigozhin, les autoroutes le long desquelles les mercenaires avançaient sans être dérangés étant transformées en tranchées.

Le principal cauchemar du président russe est la comparaison historique avec son prédécesseur Staline. Pour endiguer l’avancée allemande qui atteignait les portes de Moscou, le dictateur soviétique sacrifia des millions de soldats, envoyés au combat contre les panzers. Cependant, le sort de la bataille et de la guerre fut décidé par l’aide militaire colossale envoyée par voie maritime depuis les États-Unis et la Grande-Bretagne. Sans chars, sans carburant, sans bombes et sans le soutien des services de renseignement anglais, Staline n’aurait pas pu résister, contre-attaquer et, quatre ans plus tard, conquérir Berlin. Quatre-vingt-deux ans plus tard, les rôles se sont inversés. Les Russes, qui, depuis deux ans et demi, tentent d’envahir l’Ukraine, ont été pris dans une manœuvre qui menace de les encercler et qui est menée par des unités régulières de l’armée ukrainienne disposant d’armements occidentaux les plus modernes. Cette fois, les envahisseurs se battent pour la liberté de leur pays et Poutine, en plus du stalinisme, a historiquement fait assumer à la Russie le rôle de l’Allemagne nazie.

Les références historiques incluent également une autre circonstance fondamentale qui se répète. Dans cette dernière ligne droite de sa présidence, Biden a décidé d’appeler ce qu’il considère comme le bluff du Kremlin, en accélérant autant que possible le réarmement massif de l’Ukraine et en lançant la stratégie dite «Poutine d’abord» en ce qui concerne le risque, pourtant substantiel, d’une escalade du conflit au Moyen-Orient. Il s’agit d’une photocopie de la stratégie décidée en 1942 par les États-Unis en dépit de l’attaque perfide du Japon sur Pearl Harbor. A l’époque, la prépondérance du danger que représentait une dictature nazie dévastatrice, sur le point d’envahir non seulement toute l’Europe mais aussi la Russie et de rejoindre ensuite le Japon, l’emportait sur la guerre, pourtant urgente dans le Pacifique. Depuis Hitler d’abord, comme cette stratégie a été appelée, l’Amérique et l’Occident se sont d’abord tournés vers Poutine parce qu’ils ont réalisé que l’omniprésence imminente du régime néo-stalinien du président russe, a ouvert la voie à un conflit mondial progressif et a déclenché diverses zones de guerre, à commencer par le Moyen-Orient, avec les mandataires iraniens des Houthis et du Hezbollah, jusqu’en Afrique et en Corée du Nord.

Outre son caractère stratégique, l’offensive ukrainienne au cœur du géant aux pieds d’argile qu’est la Russie a pour objectif tactique d’ouvrir et d’élargir la fracture entre l’appareil militaire et les centres de pouvoir du Kremlin. En éliminant continuellement les hauts gradés des forces armées, Poutine a déjà «dévaluer» de facto le général Valery Gerasimov, chef d’état-major et point de référence de l’armée russe, qui sans doute, ne se laissera pas sacrifier comme prochain bouc émissaire, nul ne sait quelle sera l’issue de l’épisode. On observe également le rôle de l’armée de l’air, qui, à l’instar de la marine, a été utilisée contre l’Ukraine sans déployer pleinement son potentiel incontestable. Force d’élite depuis toujours en raison de son rôle essentiel dans les stratégies aérospatiales et nucléaires, l’armée de l’air serait opposée à l’utilisation d’armes nucléaires tactiques de petite taille et aurait finalement eu de nombreuses réticences quant à l’utilisation de dispositifs thermobariques pour contrer l’avancée ukrainienne dans la région de Koursk. Après avoir largué un engin thermobarique qui causa plus de dégâts à la population russe qu’aux envahisseurs, des bombardements similaires furent en fait suspendus car ils auraient endommagé le territoire de la mère patrie.

De même, le programme délirant d’armement nucléaire annoncé par Poutine ne serait pas vu d’un bon œil et notamment la réalisation, jusqu’à présent ratée, du missile à propulsion nucléaire Burevestnik, classé Skyfall par l’OTAN. Une arme incontrôlable, capable de provoquer à elle seule la destruction de tout un continent, mais qui peut se transformer en boomerang. Même si aucune position officielle n’est prise, les forces aériennes de la Fédération de Russie dirigées depuis cinq ans par le général Sergueï Dronov auraient fait remarquer à plusieurs reprises qu’au lieu de bombarder les villes et les infrastructures ukrainiennes avec des missiles et des drones, il aurait été militairement décisif de viser les lignes des forces de Kiev, afin de couvrir les offensives des soldats russes et leur épargner la vie. Une remarque ignorée par le Kremlin mais qui est, jusqu’à présent, silencieusement partagé par les armées dirigées par le général Gerasimov. Théoricien des guerres hybrides non déclarées et des domaines dans lesquels il ne serait plus possible de distinguer la paix de la belligérance, et où le rôle des moyens non militaires, de la cyber-guerre aux hackers, aurait atteint une telle importance qu’ils seraient souvent plus efficaces que ceux de la guerre, Gerasimov, 69 ans, est conscient de sa métamorphose involontaire mais inéluctable et imminente de stratège en renard des steppes ?

Ceux qui répondent par l’affirmative sont convaincus que la mise en échec de Poutine pourrait être son œuvre. Dans le cas contraire, il tentera d’effacer ses traces avec sa queue camouflée en dilemme se cachant quelque part. Ou bien il finira dans un magasin de fourrures, inaugurant la dernière saison de paranoïa et de conspirations du palais que le Kremlin a déjà connu avec le Tsar Ivan le Terrible.

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