L’étrange voyage de Lavrov en Afrique: ce que recherche Moscou sur le continent noir

2
558

(Rome, Paris, 29 juillet 2022). Egypte, République du Congo, Ouganda, Ethiopie, pour un total de 13.000 kilomètres en cinq jours. La tournée africaine de Serguei Lavrov comprend quatre étapes, apparemment hors de propos et peu attrayantes. En fait, même si nos médias n’ont pas ou peu parlé du voyage effectué en Afrique par le puissant ministre russe des Affaires étrangères, l’actualité revêt une importance fondamentale. D’abord parce qu’elle permet de comprendre quelle est la stratégie de Moscou face à l’isolement de l’Occident, conséquence de la guerre en Ukraine, ensuite parce que, pour la énième fois, il est possible de constater comment le continent africain est devenu un terrain pertinent pour les affaires et le commerce, d’après les observations de Federico Giuliani dans les colonnes du quotidien italien «Inside Over».

Quant au premier point, la Russie a répondu aux barrières diplomatiques érigées par les Etats-Unis et l’Europe en tournant son regard ailleurs, vers l’Asie mais aussi, semble-t-il, vers l’Afrique. Le message lancé par le Kremlin est clair : Certes «isolée du monde», la Fédération de Russie peut compter sur beaucoup plus d’amis – ou du moins de pays intéressés à passer des accords avec elle – que ceux imaginés par l’Occident.

Dans le même temps, l’Occident est coupé du grand jeu africain, un dossier qui s’est retrouvé entre les mains de la Chine, de la Turquie, en partie d’Israël et, précisément, de la Russie. La France est la seule puissance européenne qui continue à maintenir des racines solides en Afrique, mais les scénarios sont de plus en plus compliqués. C’est aussi pour cette raison, qu’Emmanuel Macron a choisi de se rendre au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau, tandis que les États-Unis, qui ne s’y sont pas rendus, ont dépêché leur envoyé spécial pour la Corne de l’Afrique, Mike Hammer, en Égypte et en Éthiopie. Toutefois, il est peut-être déjà trop tard.

A lire :

La tournée africaine de Lavrov

Lavrov s’est rendu en Égypte, en République du Congo, en Ouganda, puis a terminé sa tournée en Éthiopie. Ici, souligne Reuters, au grand dam de l’Occident, il semblerait que des diplomates de l’Union africaine aient invité des ambassadeurs d’États africains non spécifiés à tenir une réunion privée avec le ministre russe, afin d’«approfondir la coopération entre la Russie et les États africains».

« C’est à nous de décider si nous voulons un monde dans lequel un Occident, totalement inféodé aux Etats-Unis, estime avoir le droit de décider quand et comment promouvoir ses intérêts sans respecter les normes internationales », a tonné Lavrov depuis l’ambassade de Russie en Éthiopie.

L’intention de Moscou est claire : renforcer les liens avec un continent qui a refusé de se joindre à la condamnation et aux sanctions occidentales pour la guerre en Ukraine. Pour leur part, la plupart des gouvernements africains ont évité de prendre parti dans le conflit. Notamment parce que nombre d’entre eux importent du blé et de l’énergie de Moscou mais, en même temps, achètent du blé ukrainien et bénéficient des flux d’aide occidentaux.

La Diplomatie de Moscou

« Les exportateurs de blé russes respecteront toutes les obligations », a immédiatement rassuré M. Lavrov dès son arrivée au Caire. En Égypte, entre autres, la compagnie russe d’énergie Rosatom a été chargée de construire une centrale à quatre réacteurs. En République du Congo, petite ancienne colonie française productrice de pétrole située au nord de la bien plus grande République démocratique du Congo, le ministre russe a rencontré le président Denis Sassou Nguesso, au pouvoir depuis 1979 (avec une petite interruption de cinq ans, de 1992 à 1997). Dans ces régions, une société russe construit un oléoduc fondamental qui, une fois achevé, acheminera le pétrole de la ville de Pointe-Noire vers le nord du pays.

Lavrov s’est ensuite envolé pour l’Ouganda, où il a été accueilli par le président Yoweri Museveni, à la tête d’un pays qui possède une longue histoire d’équilibre entre de solides relations avec les alliés occidentaux et de bonnes relations avec Moscou. Le fils de Museveni, Mouhoozi Kainerugaba, un général de l’armée largement considéré comme ayant été formé pour succéder à son père, a fait l’éloge de la Russie sur les réseaux sociaux en s’exprimant sans ambiguïté. « La majeure partie de l’humanité (qui n’est pas blanche) soutient la position de la Russie en Ukraine. Poutine a tout à fait raison ! », a-t-il écrit.

Pendant ce temps, le radiodiffuseur public ougandais a fait savoir qu’il diffuserait des informations de la chaîne RT financée par l’État russe deux fois par jour dans le cadre d’un nouveau protocole d’accord signé avec Moscou. Chiffres en main, la Russie est la source de moins de 1% des investissements directs étrangers en Afrique. Pourtant, le «poids» spécifique de Moscou semble beaucoup, beaucoup plus important.