Le dilemme turc sur les F35. Ankara en rêve, mais que dira-t-elle alors à Moscou ?

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(Rome, 06 novembre 2021). Les propos du porte-parole de la Présidence, selon lesquels «le premier choix de la Turquie est d’être dans le programme F-35 et son exclusion en raison de la CAATSA (la loi « Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act », ndlr) est illégale», pourraient ouvrir une nouvelle phase entre Erdogan et Biden, mais sans un retour en arrière sur les S400 Russes, comment faire ?

« Le premier choix de la Turquie est de faire partie du programme de chasseurs F-35 et son exclusion en raison de la loi de 2017 sur la lutte contre les adversaires de l’Amérique par les sanctions (CAATSA) est une pratique déloyale et illégale », a ainsi déclaré le porte-parole de la Présidence Ibrahim Kalın après le récent entretien entre le président turc Recep Tayyip Erdoğan et le président américain Joe Biden lors du sommet du G-20. A Ankara, l’optimisme quant à une nouvelle phase des relations entre les deux pays, semble être de retour, même si les obstacles n’ont pas encore été levés. Mais ces paroles peuvent-ils vraiment ouvrir une nouvelle phase entre Erdogan et Biden sans faire marche arrière sur des dossiers brûlants comme le S400 ?, s’est ainsi interrogé Francesco De Palo dans son analyse dans le quotidien «Formiche».

ICI ANKARA

Rappelons tout d’abord que la Turquie a effectué un versement de 1,4 milliard de dollars pour le programme F-35 : selon Kalın, un projet de loi pour faire une exception pour l’Inde et l’Australie, qui reçoivent actuellement les S-400, est à l’ordre du jour au Congrès américain. Et Kalin d’ajouter que si le problème des F-35 n’est pas résolu, alors « nous n’avons pas le luxe de perdre du temps, mais nous pouvons essayer de compenser cela avec des F-16. L’administration américaine a montré jusqu’à présent une attitude positive à ce sujet ».

LES SANCTIONS

L’argument de Kalin est que si le problème est « d’imposer des sanctions uniquement aux pays qui achètent unilatéralement des armes lourdes à la Russie, pourquoi des exceptions sont-elles faites pour ces pays ? Si une telle règle n’existe pas, pourquoi ces sanctions sont-elles imposées à la Turquie ? ». Et il a ajouté que la priorité d’Ankara est de satisfaire les besoins de la Turquie dans le domaine de l’industrie de la défense : la référence, est évidemment, aux alternatives entre les mains d’Erdogan, telles que les drones autoproduits qui ont également été proposés à l’occasion du récent voyage du Président turc en Afrique. Il a enfin lancé un avertissement aux autres acteurs : « Si nous devions énumérer quatre à cinq enjeux géopolitiques qui influencent directement la politique mondiale à l’heure actuelle, comme l’Afghanistan, la Méditerranée orientale, la Syrie, le Caucase et la Libye, elles seraient toutes liées à la Turquie ».

FRONTS OUVERTS

Après les proclamations, arrive la realpolitik. Le point de départ est le fait que les deux plus grandes armées de l’OTAN traversent une crise de relations, mise à rude épreuve par les liens turcs avec la Chine et la Russie et par la tentative d’Erdogan de devenir un « maxi-player » dans toute la région à cheval sur le quadrant euro-méditerranéen et le Moyen-Orient/Caucasien. C’est là que le dialogue entre Washington et Ankara commence à vaciller, avec en annexe l’affaire des F35 qui est la conséquence naturelle de la conduite turque orientée vers une profondeur stratégique néo-ottomane, comme l’écrit l’ancien premier ministre Ahmet Davutoglu dans son livre paru en 2011.

Les dossiers critiques sont multiples et tous interconnectés, ajoute Francesco De Palo. La Turquie souhaiterait acheter 40 nouveaux F-16 à Lockheed Martin pour 6 milliards de dollars tandis que les États-Unis ont finalisé le retrait de la Turquie du programme F-35 suite à son acquisition du système de défense antimissile S-400 (acheté en 2019 et dont un deuxième achat est en cours de négociation avec Moscou). En outre, d’une part, l’Unité de protection du peuple (YPG) a soutenu les États-Unis dans la lutte contre l’État islamique en Syrie, de l’autre, elle est considérée comme un ennemi mortel par Erdogan.

Enfin, arrive le cas du philanthrope Fethallah Gülen, en exil en Pennsylvanie, accusé par Erdogan d’avoir orchestré le coup d’État de 2016. En revanche, Ankara a arrêté le pasteur américain, Andrew Brunson, pour implication présumée dans la tentative du coup d’État sans parler de l’irritation turque à l’égard des nouveaux alliés américains en Méditerranée (la Grèce et Chypre qui, contrairement à Ankara, opèrent dans le cadre du droit international).

VOIE DE SORTIE

La question de la décision turque d’expulser dix ambassadeurs exigeant la libération de l’homme d’affaires Osman Kavala n’a pas profité aux relations turco-américaines. Il ne faut pas non plus oublier que les relations de la Turquie avec ses alliés traditionnels de l’OTAN sont déjà tendues depuis des années. Les dossiers de l’immigration et de l’énergie ont simplement impacté un cadre déjà largement complexe, sur lequel d’autres parties extérieures au contentieux s’efforcent pour tirer profit.

Après la Libye, la Syrie et l’Afrique, la Turquie, par exemple, s’efforce pour se tailler un rôle de premier plan dans les Balkans. La décision de construire un aéroport en Albanie sur ses propres deniers en est la preuve, suivant ainsi la « piste » chinoise liée à la BRI (Belt and Road Initiative-nouvelle route de la soie) et à l’envahissement des infrastructures, est aussi importante que l’accord lié à la privatisation des ports en Grèce, où Pékin voudrait entraver les plans américains pour les ports d’Alexandroupolis et de Kavala (stratégiques du fait de leur proximité avec les gazoducs), par l’adhésion turque en Thrace.

Le sentiment est que la Maison Blanche va essayer de rechercher la coopération là où cela est possible, en rejetant les bonds en avant d’Erdogan quand c’est nécessaire.