Méfiance et déception: le destin incertain de l’Iran après le vote

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(Rome, 19 juin 2021). En novembre 2019, l’Iran a connu une nouvelle période de profonde intolérance sociale. Des manifestations ont été organisées dans plusieurs villes du pays, dans certains cas, les affrontements et les émeutes n’ont pas manqué. C’était le signe d’un grand mécontentement qui traversait particulièrement la classe moyenne de la population, celle qui a été la plus écrasée par les sanctions internationales et l’absence de perspectives concrètes de développement futur, comme le rapporte dans son décryptage Mauro Indelicato dans «Inside Over». Le peuple est descendu dans la rue non pas tant pour des raisons politiques que pour des raisons économiques : l’augmentation du prix du carburant décrétée à l’époque, avec l’intention du gouvernement de financer des subventions aux classes les plus pauvres, a représenté la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Pourtant, au lendemain du scrutin présidentiel, tout semble normal. La situation est calme, la veille des élections s’est passée sans grandes tensions, l’élection d’Ebrahim Raïssi à la présidence n’a pas suscité de nouvelles susceptibilité, même pas chez les plus jeunes. Qu’est-ce qui a changé au cours de ces derniers mois ?

Une victoire attendue

Si l’on regarde de près l’actualité de ces dernières heures, la passation de pouvoir à Téhéran se déroule de manière formelle et calme. C’est le président sortant lui-même, Hassan Rohani, un modéré souvent qualifié de réformateur, qui a annoncé à la télévision la victoire du conservateur Raïssi et l’a félicité. Avant même le verdict officiel, c’est le principal challenger du nouveau chef de l’Etat qui a reconnu sa défaite : Abdolnasser Hemmati, ancien gouverneur de la Banque centrale et accrédité comme point de référence pour les réformateurs, a déclaré publiquement qu’il reconnaissait la victoire de Raïssi alors que les résultats n’étaient que partiels, poursuit Mauro Indelicato. L’atmosphère était paisible loin des émeutes d’il y a à peine deux ans. Même dans les rues, pas d’émeutes majeures : la vie à Téhéran et dans les principales villes iraniennes au lendemain du vote se déroule sans clameur particulière. Mais derrière cette apparente sérénité se cachent plusieurs éléments. Tout d’abord l’indifférence : moins de la moitié des Iraniens se sont rendus aux urnes, de nombreux jeunes sont restés chez eux. Les consultations n’ont pas été perçues comme un moment décisif par l’électorat.

En d’autres termes, peu d’Iraniens pensaient réellement que leur condition sociale ou économique pouvait réellement dépendre du résultat de ce dernier tour électoral. Ils ont ainsi préféré éviter de faire la queue dans les bureaux de vote ou de descendre dans la rue pour manifester. Deuxièmement, existe un autre élément à ne pas oublier, rappelle Mauro Indelicato : les élections présidentielles du 18 juin ont été les premières après l’assassinat du général Solemaini, par les États-Unis à Bagdad le 3 janvier 2020. Un épisode capable de compacter une majeure partie de la société iranienne et de donner au pays une orientation plus conservatrice. Même ceux qui sont contre l’approche actuelle de la République islamique ne voient pas d’alternative pour le moment. Ainsi, les dirigeants ont été en mesure de gérer sans trop de peine la passation de pouvoir d’un président à l’autre. Ebrahim Raïssi, conservateur et magistrat proche du guide suprême Ali Khamenei, a pu attirer la majorité des voix de ceux qui se sont rendus aux urnes sans provoquer de tensions excessives parmi les réformateurs.

Le destin de la théocratie

En Iran (quoique à voix basse) comme à l’étranger, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur l’avenir de la République islamique née de la révolution de 1979. Manifestations lors des élections présidentielles de 2009, victoires de Rohani en 2013 et 2017, ainsi que comme l’impasse économique générée par les sanctions imposées principalement par les Etats-Unis, ont souvent montré la volonté surtout chez la jeune génération de tourner la page. Un effort de réforme qui s’est parfois traduit par un véritable antagonisme avec la théocratie établie il y a 52 ans. Le dernier tour des élections a montré un pays parfois résigné, avec une population jeune et le plus souvent indifférente aux événements politiques. Paradoxalement, cela pourrait être le principal élément capable de maintenir la République islamique en vie. Les demandes émanant des différentes couches de la société sont nombreuses, mais au fil des ans elles n’ont pas trouvé d’exutoire précis et encore moins ont-elles donné lieu à la formation de véritables alternatives.

En un mot, dit M. Indelicato, même pour les Iraniens nés après 1979, le moment n’est pas venu de donner vie à de nouveaux chocs violents. Les nouvelles générations sont apparues de plus en plus éloignées des dirigeants et des idéaux originels de la théocratie, une divergence qui est cependant loin d’offrir des idées pour de nouvelles révoltes. Il appartient désormais au nouveau président d’éviter plus de larmes (ou de nouvelles dissensions) et de permettre à la République islamique de survivre même aux futures passations de pouvoir.