(Roma-16 juillet 2020). Le patriarche d’Antioche des maronites appelle la communauté internationale à protéger cette «neutralité positive» qui est la vraie «vocation du Liban». Il plaide pour un règlement politique de la crise que traverse actuellement le pays, l’une des pires de son histoire.
Hyperinflation, licenciements, chômage exponentiel, surendettement… : l’ancienne «Suisse du Moyen-Orient» s’effondre et vit l’une des pires crises de son histoire. La moitié des Libanais vit désormais sous le seuil de pauvreté et nombreux sont ceux qui peinent à se nourrir convenablement. Le Fonds monétaire international, sollicité par le gouvernement de Beyrouth, presse la classe politique de s’accorder sur un plan de sauvetage, mais les négociations piétinent.
C’est précisément cette classe politique qui est aujourd’hui rendue responsable du naufrage actuel ; et c’est encore contre elle que les Libanais se sont mobilisés en masse dès l’automne dernier, fustigeant son impéritie et sa corruption, l’accusant d’avoir fait prévaloir les intérêts particuliers plutôt que ceux de la nation. Les manifestants réclamaient alors la fin du «système», celui d’une répartition religieuse des pouvoirs, propice, selon eux, au clientélisme.
Vous avez toujours défendu le système confessionnel. Mais aujourd’hui, certains l’interrogent, y voyant la source de tous les problèmes du Liban, et évoquent l’hypothèse d’un État laïc. Que leur répondez-vous ?
J’ai défendu le vivre-ensemble des chrétiens et des musulmans dans un pays qui sépare la religion et l’État. Le Liban est un État civil, c’est ce qui le différencie de tous les pays de ce monde arabe.
Et ce qui le différencie aussi des pays de l’Occident, c’est que l’État respecte Dieu et la loi divine, révélée ou naturelle, tout en étant séparé de la religion. C’est là la spécificité du pays.
Ce qu’on appelle confessionnalisme, c’est la traduction du Pacte national du «vivre en commun» (Pacte non écrit de 1943, ndlr). Pour donner des garanties aux chrétiens et aux musulmans, il partage entre eux les pouvoirs politique et administratif. Car nous avons deux sociétés, deux civilisations différentes : les musulmans tendent à l’islamisation et les chrétiens à la laïcisation. Ce pacte leur donne donc des garanties, c’est cela le confessionnalisme. Mais c’est le vivre-ensemble comme lieu de dialogue qui reste le plus important. Mais cette situation est traversée par une crise politique. La figure du Liban n’a pas changé en tant que telle, mais étant donné que nous sommes délaissés par l’Orient et par l’Occident, comment voulez-vous que le pays soit ce lieu de rencontre et de partage ?
Vous appelez la communauté internationale et les pays amis à vous aider. Comment peuvent-ils concrètement le faire ?
Par communauté internationale, j’entends l’Organisation des Nations unies. La décision d’un statut de neutralité du Liban devrait être de son ressort et il faut aussi qu’il soit accueilli par notre monde arabe. La majorité de la population libanaise, ou presque, aspire à ce statut de neutralité. C’est en ce sens que j’ai lancé cet appel à la communauté internationale.
Qu’implique-t-elle, cette neutralité ?
Que le Liban devienne le défenseur de la paix, sans se mêler des politiques et conflits régionaux ou internationaux. C’est ce qu’on appelle la «neutralité utile» ou «positive». Cela ne veut pas dire qu’il ne doit s’intéresser à personne, non ! Mais plutôt qu’il soit actif à promouvoir les valeurs de paix, de justice, de vivre-ensemble, de liberté. C’est cela la vraie vocation du Liban. C’est ce que signifiait le saint Pape Jean-Paul II quand il disait que le Liban était «plus qu’un pays», qu’il était «un message» pour l’Orient et l’Occident.
Vous insistez beaucoup sur cette neutralité. Est-ce à dire qu’elle est en danger ? Qu’est-ce qui la menace ?
La neutralité est là, en pratique, mais il y a la question du Hezbollah qui fait ses guerres et entraine le Liban avec lui en Syrie ou au Yémen… Ce n’est pas normal. Cette neutralité du Liban, qui fait partie de son essence, est aujourd’hui déchirée. Et malheureusement la mainmise du Hezbollah sur la politique et le gouvernement, fait que nous sommes délaissés par les pays arabes, par l’Europe et les États-Unis.
Craignez-vous que cette crise n’entraine une nouvelle vague d’émigration, notamment parmi les chrétiens ?
Sûrement, parce nous vivons dans la famine. C’est la famine maintenant au Liban. C’est la panique du chômage, 50% des Libanais n’ont plus de travail. Nos jeunes sont presque tous à l’université, comment voulez-vous qu’ils vivent ? Chrétiens et musulmans ? Mais étant donné que le nombre des chrétiens devient de plus en plus mineur… Oui, en ce moment nous avons une grande vague d’émigration et il faut y remédier le plus tôt possible. Nous sommes en train d’aider les familles qui n’ont aucune ressource pour vivre, mais cela ne veut pas dire que nous combattons le chômage ! Endiguer l’émigration, c’est une question politique. Quand la question politique sera réglée, la question économique le sera aussi, puisqu’elle en est une conséquence.
(Manuella Affejee – Cité du Vatican). (Vatican News)