(Rome, Paris, 06 septembre 2025). Enraciné dans des récits glorifiés et des stratégies d’un autre âge, le Hezbollah instrumentalise l’histoire pour masquer son immobilisme. Face à l’effondrement du Liban, ce parti persiste à esquiver toute remise en question, préférant recycler un passé mythifié plutôt que d’affronter les exigences d’un avenir incertain. Une posture qui confine au cynisme, à rebours des urgences nationales. L’enjeu crucial est désormais politique : dépasser le confessionnalisme pour bâtir une véritable démocratie pluraliste et rendre enfin au pays sa pleine souveraineté
Le Liban est confronté aux ravages de la guerre, à une crise économique sans précédent et aux entraves du Hezbollah, qui freinent le retour à la souveraineté nationale. Tandis que la politique s’égare en formules, les citoyens en paient le prix fort.
Le Liban a vécu une nouvelle journée surréaliste, manquant de courage pour s’engager dans un véritable débat politique sur sa réalité et sur ce qui devrait être débattu, mais se retrouvant dans une sorte de théâtre de l’absurde qui offense les Libanais piégés dans une tragédie appelée le quotidien. Il est donc nécessaire de reconstituer brièvement les faits pour expliquer ce qui s’est passé hier et ce qui aurait dû avoir lieu, écrit Riccardo Cristiano dans son décryptage dans «Formiche.net».
Le Hezbollah, ou «Parti de Dieu», est une organisation née au Liban grâce à d’importants investissements iraniens dans les années 1980. Son objectif principal était de s’emparer de la ligne de confrontation avec Israël, qui occupait le sud du Liban, la soustrayant aux groupes libanais de gauche. Cette guerre contre l’occupant est devenue la raison d’être du Hezbollah, le parti de la «Résistance». En 2000, Israël s’est retiré du Sud-Liban, mais la résistance est restée armée. C’est à ce moment-là que le Liban a perdu sa souveraineté : le Hezbollah a pris le contrôle de la stratégie de défense nationale à la place de l’État, soutenant des régimes étrangers et déclarant des guerres. Les développements militaires furent nombreux, sans interruption, jusqu’au 8 octobre 2023, date à laquelle le Hezbollah a déclaré une «guerre de basse intensité» contre le nord d’Israël, qui n’a rien apporté aux Palestiniens, elle visait à renforcer son «leadership antagoniste» et à acculer les pays du Golfe, rivaux traditionnels de Téhéran, renforçant ainsi son rôle régional.
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Mais certaines opérations de renseignement ont permis à Israël de pénétrer le système de communication interne du Hezbollah, lui infligeant un coup fatal. La guerre qui s’en est suivie a dévasté le Sud-Liban et la banlieue sud de Beyrouth, bastions du Hezbollah, mais c’est tout le Liban qui en a payé le prix, provoquant le déplacement de plus d’un million de personnes à l’intérieur du pays. Et le Liban était déjà en proie à une crise économique sans précédent, sans équivalent dans le monde. La monnaie libanaise, fixée depuis trente ans à 1.500 livres pour un dollar, s’est effondrée jusqu’à atteindre 100.000 en 2020. Le gouvernement, aux ordres du Hezbollah, avait choisi de défier les institutions internationales et de déclarer le défaut de paiement plutôt que de se soumettre aux exigences du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Pas de négociations, mais une rupture. Certes, les recettes du FMI et de la Banque mondiale ne sont pas l’Évangile, loin de là, mais des négociations étaient possibles ; les mener à bien dans de telles conditions était une question de vie ou de mort pour les Libanais. Pas pour ceux qui misaient tout sur les armes payées par Téhéran.
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La guerre de 2024 est donc venue ajouter une facture écrasante à un désastre déjà existant, auquel même les adversaires du Hezbollah portent de lourdes responsabilités. À la fin de l’année, tout le Liban, Hezbollah compris, a accepté le cessez-le-feu, qui prévoit, d’une part, le retrait de l’armée israélienne du Liban, et de l’autre, le désarmement du Hezbollah, comme le stipulait déjà deux résolutions de l’ONU (1559 et 1701). Israël a accepté de se retirer, mais partiellement, et non des cinq positions «avancées» où il se trouve encore aujourd’hui.
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L’armée libanaise a entamé le désarmement du Hezbollah sans le mener à terme. Les destructions infligées par Israël aux arsenaux, à la direction et à la chaîne de commandement du Hezbollah sont considérables Mais au-delà de l’intérêt israélien, l’enjeu est surtout libanais : aucun pays ne peut tolérer, sur son territoire, un corps armé dépendant d’un État tiers.
Le Liban veut redevenir un pays souverain. Ainsi, en août, le gouvernement a décidé de charger l’armée de présenter un plan opérationnel pour achever le désarmement du Hezbollah. Mais les ministres du Hezbollah et de ses alliés chiites (la confession qu’ils prétendent représenter en interdisant à d’autres formations d’occuper un espace politique «réservé») ont contesté la décision du gouvernement. Hier, lorsque le commandant en chef de l’armée, le général Rodolf Haïkal est venu présenter son plan, les ministres du Hezbollah ont quitté la réunion à l’arrivée du général, après avoir discuté des autres points qui concernaient leurs ministères. «Ces discussions suivent des décisions illégitimes», ont-ils déclaré, tout en évitant, pour l’heure, la démission du gouvernement ou la «mobilisation de rue». Ils ont cependant réussi à obtenir que le communiqué officiel du gouvernement parle d’un plan «bien accueilli», et non «approuvé». Le général a exposé les cinq phases de l’opération, sans en préciser les dates, faute de moyens suffisants. Mais quelle est donc aujourd’hui la position officielle du Hezbollah ? Revient-il sur son approbation du désarmement, en acceptant le cessez-le-feu ? Exige-t-il que l’occupation israélienne, persistante et contraire au cessez-le-feu, soit discutée avant le désarmement. Le gouvernement l’exige également, mais par la voie diplomatique, avec l’appui des principaux acteurs régionaux et mondiaux. En attendant, il entend procéder au désarmement du Hezbollah, d’autant que les armes dont il dispose encore ne servent même pas à riposter aux attaques quotidiennes d’Israël. Alors, à quoi servent-elles ?
Le Hezbollah sait pertinemment que les changements politiques en Syrie l’empêchent d’obtenir de nouvelles armes de l’Iran. Cela s’est produit sous le régime d’Assad, mais ce n’est plus le cas. Par conséquent, il ne peut pas se réarmer. Que doit-il faire des armes dont il dispose encore ? D’un côté, il semble devoir cacher la vérité, les conséquences de ses propres choix, et peut-être y discernerait-on deux intentions : influencer l’Iran et lui donner un atout supplémentaire, ou exercer une pression dans les diverses négociations diplomatiques qu’il mène, notamment avec les États-Unis. Mais s’agit-il d’un problème libanais ?
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Le Hezbollah aurait une autre (et unique) voie : devenir enfin un parti libanais. Reconstruire le Liban ne peut se faire sans la contribution de la communauté chiite, qui doit solder son passé social et définir son avenir politique. Refonder la démocratie libanaise, contribuer à l’édification d’un système politique transcendant le confessionnalisme et créant un nouveau modèle démocratique, garantissant à la fois la protection des communautés et la valorisation des individus, serait un effort bien plus important que la lutte armée. C’est de cela que le Liban aurait dû discuter hier : un nouvel avenir, et non les pratiques byzantines du Hezbollah et de ses alliés.
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Aujourd’hui, le véritable défi est de garantir les droits de citoyenneté pour tous dans des pays complexes, multiethniques et multiconfessionnels. C’est le défi politique et culturel qui pourrait remodeler le monde arabe et engager le débat sur la démocratie au Moyen-Orient sur des bases totalement nouvelles. Le Liban a déjà le grand privilège d’avoir une identité étatique multiconfessionnelle ; le Parlement est composé de 50 % de chrétiens et à 50 % de musulmans. Cependant, il s’agit de la seule Chambre des députés, élue uniquement sur une base confessionnelle, avec des quotas prédéfinis entre les différentes communautés. La création d’une seconde Chambre élue au suffrage universel direct, comme le prévoit la Constitution, placerait le Liban à l’avant-garde sur un front crucial : le pluralisme, c’est-à-dire les garanties pour les communautés et les droits des individus. Ce système pourrait ouvrir la voie à un nouveau débat, à la décentralisation administrative, puisque le pluralisme s’applique également aux territoires habités par des fidèles de religions différentes, mais vivant ensemble. Ainsi, les communautés ne seraient plus des cages, mais des poumons d’une classe dirigeante commune, et non dans l’apanage des grandes familles féodales qui ont pris le pouvoir, formant une caste. C’est la voie envisagée dans la Constitution, mais dont personne ne parle. Ce serait un modèle régional ! Le Liban a la position et les ressources nécessaires pour repartir et renouveler la politique de cette vaste zone qui s’étend aujourd’hui de Beyrouth à Bagdad.
Ce serait un véritable défi, extrêmement difficile, mais fascinant. C’est ce qui rendrait enfin les chiites, les chrétiens, les sunnites et les druzes libanais protagonistes d’un vrai débat politique sur la reconstruction après une guerre dévastatrice. Car la défaite est militaire, pas nécessairement politique, si la politique retrouve sa place.