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Au pied du mur, le Liban s’attend à des jours décisifs et des semaines cruciales

(Montréal, Rome, Paris, 21 mars 2021). Si le 21 mars est le début du printemps, il est aussi la fête des mères au Liban. Mais pour ce pays meurtri,  pris en otage par le Hezbollah et sacrifié sur la table des négociations hypothétiques entre les Etats-Unis et l’Iran, le printemps n’a plus de sens depuis que l’organisation terroriste y a tué tout espoir de renaissance. La fête des mères n’a pas non plus sa place, les mères libanaises n’ont pas fini de faire leur deuil, et la mère patrie est agonisante.

Mais au milieu de ce tableau sombre, des lueurs d’espoir continuent de faire survivre et rêver les Libanais. Les plus résilients qui n’ont pas pu ou pas voulu quitter le pays, savent que les jours et les semaines qui viennent seront particulièrement difficiles. Ils sont privés de leur argent bloqué par un système bancaire chancelant, victimes de pénuries en tous genres, d’une flambée des prix des produits de consommation, et démunis face à gouvernement capable de les sortir de l’abîme. Mais au-delà de ces difficultés matérielles et financières, les Libanais s’attendent à de nouveaux rebondissements politiques dès ce lundi 22 mars, date de la 18ème rencontre entre le président Michel Aoun et le premier ministre désigné Saad Hariri.

Cette rencontre pourrait bien être la dernière. Le discours de l’enturbanné Hassan Nasrallah, autoproclamé Guide suprême de la République, jeudi soir, est diversement apprécié. Selon plusieurs sources, les menaces à peine feutrées lancées dans tous les sens attestent que le Hezbollah a changé de stratégie et a décidé de passer à l’offensive pour sauvegarder ses acquis sur le plan national et régional. Cette nouvelle posture intervient au lendemain de la visite d’une délégation politique du Parti de Dieu à Moscou, convoquée par la Russie. Selon plusieurs sources, les Russes ont réservé un accueil pour le moins méprisant aux députés du Hezbollah, les transportant dans un minibus sans escorte ni protection, et leur ont demandé d’envisager rapidement un repli militaire de Syrie où Vladimir Poutine a son propre agenda diamétralement opposé au plan iranien. Depuis plusieurs mois, le Hezbollah suspectait les Russes de tolérer voire encourager les raids israéliens contre ses positions en territoire syrien, dans le cadre de la lutte contre l’influence iranienne. Aussi, les Russes ont demandé à la délégation parlementaire du Parti de Dieu de faciliter la formation d’un gouvernement de mission, dirigé par Hariri, conformément à la feuille de route française proposée par Emmanuel Macron.

La demande russe ne peut que contrarier profondément le Hezbollah et le contraindre à avaler des couleuvres. D’où la contre-offensive lancée jeudi dernier par Hassan Nasrallah lors de son intervention télévisée. En effet, il s’est retourné contre la feuille de route française et les suggestions russes en soutenant un gouvernement politico-technique élargi. Hariri a déjà proposé un cabinet de 18 ministres, tous technocrates et non partisans. Nasrallah a également suggéré l’utilisation des maigres réserves stratégiques de la Banque centrale pour stabiliser la Livre libanaise face au dollar, contrairement aux positions défendues par le gouverneur Riad Salamé dont l’éviction demeure un objectif stratégique du Hezbollah. Ce dernier a surtout « ordonné » à l’armée de ne plus tolérer la fermeture des routes par les manifestants du Hirak, dans une tentative de mettre face-à-face l’armée et le peuple et d’embarrasser le commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun, accusé d’une part de nourrir des ambitions présidentiables pour 2022 et d’autre part de connivence avec les Etats-Unis. Et pour couronner le tout, Hassan Nasrallah a mis en garde contre une guerre civile, alors qu’il est le seul parti au Liban à disposer d’armes et de combattants, et qu’il a déjà versé dans des mini-guerres civiles en 2008 (7 mai) et en 2011 (les « chemises noires »).

La classe politique libanaise a dénoncé les propos de Nasrallah à l’exception du Courant Patriotique Libre et son président Gebran Bassil, toujours prêt à servir le projet iranien dans l’espoir de succéder à son beau-père à la présidence de la République, même en l’absence de celle-ci. Face à ces manœuvres et menaces, les souverainistes se mobilisent. Walid Joumblatt s’est rendu samedi au palais présidentiel à Baabda et a rencontre Michel Aoun. Selon des sources proches du leader druze, Joumblatt n’a pas retourné sa veste et ne s’est pas laissé intimider par les menaces de Nasrallah. Bien au contraire, il a transmis un message ferme au locataire du palais : si le Président n’approuve pas, dès lundi, le gouvernement proposé par Hariri (18 ministres technocrates, non-partisans et sans tiers de blocage), le premier ministre désigné jettera l’éponge, les députés du Courant du Futur (Hariri), ainsi que ceux du parti socialiste (Joumblatt) démissionneront du Parlement, et seront suivis par les députés des Forces Libanaises (Samir Geagea). A la suite de quoi le Parlement perdra alors toute légitimité et le pouvoir sera contraint de convoquer des législatives anticipées.

Les Libanais se félicitent de cette initiative mais estiment que « Hariri et Joumblatt ont perdu et fait perdre au Liban 18 précieux mois en rejetant la proposition des Forces Libanaises formulée depuis l’éclatement de la révolte du 17 octobre (2019) ». En effet, le chef de fil des souverainistes, Samir Geagea, avait proposé dès septembre 2019, un gouvernement de technocrates. Dès le début du Hirak, ses ministres ont démissionné du gouvernement et il a invité à la démission des députés de toutes les formations souverainistes, en vain. Le chef des Forces Libanaises, considéré comme le dernier obstacle contre la dislocation du Liban et le sauveur du pays, estime que l’unique solution qui peut sortir le Liban de sa crise passe par la refondation du système politique à travers des élections législatives anticipées. La majorité parlementaire élira ensuite un nouveau président de la République, représentatif et populaire, à la place du populiste Michel Aoun, et formera un gouvernement légitime, fort d’une majorité parlementaire. « Mais mieux vaut tard que jamais », soupirent les Libanais, qui se rassurent et espèrent sur le plan politique, qui résistent sur le plan économique, mais qui redoutent le chaos sécuritaire que pourrait provoquer le Hezbollah dans sa fuite en avant.

Les prochains jours seront ainsi décisifs pour l’avenir du Liban, et les prochaines semaines seront cruciales. Le pays vit dans l’attentisme et la peur. Il a les yeux rivés autant sur la Livre, en chute libre, que sur les élections générales en Israël, les présidentielles en Syrie puis en Iran, sur les ingérences du Hezbollah au Yémen, en Syrie et en Irak… Les Libanais redoutent par dessus tout la formation d’un gouvernement selon les critères fixés par Hassan Nasrallah et s’interrogent comment l’Exécutif pourra-t-il travailler convenablement alors que la confiance entre le Président et le Premier ministre est totalement rompue, d’une part, et sous la menace du Parti de Dieu, d’autre part ?

Sanaa T.

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