(Rome, 16 juin 2024). Après l’élimination de Taleb Sami Abdallah, un haut commandant du Hezbollah, les représailles contre Israël se sont intensifiées. L’envoyé spécial de la Maison Blanche, Amos Hochstein, arrivera demain dans la région pour une mission cruciale. Mais quelle est la situation aujourd’hui au Liban, l’exemple le plus clair d’un État proche de l’échec ?
Amos Hochstein, envoyé spécial de la Maison Blanche pour le dossier israélo-libanais, revient dans la région pour une mission cruciale qui débute lundi en Israël. Il est difficile de dire quelle est la marge de manœuvre pour Hochstein, la guerre de friction entre le Hezbollah et Israël devient de plus en plus sérieuse ; Cela peut-il continuer ?, s’interroge Riccardo Cristiano dans les colonnes de «Formiche.net».
Il est donc difficile d’éviter l’escalade redoutée. Parmi les nombreuses choses qui ont été écrites depuis longtemps sur le côté libanais très difficile de sa mission, il existe une seule, qui est particulièrement frappante : pour négocier, il faut un gouvernement, mais l’actuel gouvernement est en place depuis 2022, a pour seul mission, l’expédition des affaires courantes, le poste du président de la République étant vacant. Et alors ? Les chroniques des derniers mois montrent l’importance que chacun accorde aux longs et profonds entretiens que Hochstein a, chaque fois qu’il arrive à Beyrouth, avec le président de la Chambre Nabih Berri. Et qu’est-ce que le président de la Chambre a à voir avec ces entretiens ? Hochstein a certes un lien avec Berri, mais pas pour son rôle de fidèle interprète et d’allié incontestable du Hezbollah. Lorsque Hochstein se rend à Beyrouth, il s’entretient avec les ministres, mais peu d’entre eux y prêtent attention. Celui qui est scruté est le président de la Chambre, Nabih Berri, l’ami de ceux qui comptent à Beyrouth : le Hezbollah. Et certainement pas le Premier ministre Najib Miqati.
Le Liban est l’exemple le plus clair d’un État quasi en faillite qui sert cependant d’outil pour contourner les sanctions internationales contre l’Iran, qui a besoin de circuits financiers pour opérer et est donc fermement contrôlé par Téhéran à travers la seule milice armée, le Hezbollah. Une issue dramatique à laquelle ont contribué certains groupes chrétiens qui, pour gérer le pouvoir présidentiel (prérogative des maronites) ont conclu ces dernières années un accord avec le Hezbollah, mettant en œuvre ses volontés.
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D’autres acteurs libanais sont également responsables du gouffre comique dans lequel ce pays a sombré. Évidemment, l’échec de cette politique est presque total. Et la faillite dans laquelle se trouve le Liban est une responsabilité partagée. Il est impossible de dire qu’il y a les bons d’un côté et les vendus de l’autre. Notamment parce que les opérations les plus coûteuses pour le Liban ont été gérées par des gouvernements d’union nationale, sous la direction de ceux qui s’opposent aujourd’hui au Hezbollah. Mais les nombreux dossiers internes démontrent aujourd’hui la «primauté» acquise sur le terrain par le Hezbollah.
Selon un observateur indépendant, l’instabilité politique chronique, alimentée par un système sectaire de partage du pouvoir, génère une impasse et une paralysie du processus décisionnel. Cette situation est exacerbée par un niveau de corruption endémique. La crise bancaire et les restrictions monétaires qui en découlent compliquent encore la situation. La restructuration nécessaire est entravée par la résistance des élites économiques et politiques (à l’exception d’un parti souverainiste et indipendentiste, «FL») qui profitent du statu quo.
Le premier exemple le plus retentissant, est celui de la mystérieuse explosion du port de Beyrouth, qui a ruiné le pays. C’était le 4 août 2020 lorsqu’un champignon «para-atomique» a emporté tout le port de commerce et des quartiers entiers de Beyrouth, rendus inutilisables par l’explosion. Que s’est-il passé depuis lors pour déterminer les responsabilités ? Qui avait caché des tonnes de nitrate d’ammonium dans le port de commerce ? Le port, sous le contrôle des milices du Hezbollah tout comme l’aéroport, n’est pas un mince atout pour un pays comme le Liban. Mais les gouvernements libanais n’ont agi que pour contrecarrer les magistrats instructeurs, jamais les principaux suspects, qui étaient alors des ministres. Et désormais, 4 ans plus tard, il n’est plus question d’enquêtes. Tout a été tronqué, l’enquête remise à zéro, les familles des victimes ouvertement menacées.
Un autre exemple retentissant est celui de la question qui menace de conduire le Liban à une nouvelle explosion ; la présence massive de réfugiés syriens. Le dossier n’est traité que dans deux directions : servir les intérêts de Damas, l’allié incontestable du Hezbollah, et en faire un bouc émissaire qui cache aux yeux de la population les méfaits d’un système politique défaillant et rapace.
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Il est clair que les Syriens sont mal vus dans un pays qui, jusqu’en 2019, était riche avant d’être entraîné dans l’abîme. Aujourd’hui, les Libanais sont pauvres, ou plutôt beaucoup d’entre eux sont appauvris, et il est difficile d’imaginer une solidarité avec les réfugiés syriens. Ils sont si nombreux à avoir plongé dans l’extrême pauvreté. Mais c’est sur les réfugiés syriens que le système corrompu rejette toute la responsabilité. Le crime organisé, très répandu notamment pour le trafic illégal avec la Syrie, est très puissant et peut facilement engloutir de nombreux Syriens affamés. Mais le problème est de savoir qui a renforcé les réseaux du crime organisé puissants et répandus dans tout le pays, et non la main d’œuvre (en partie syrienne).
Mais voilà que le régime d’Assad aurait ordonné l’exécution d’un dirigeant politique du parti chrétien (Les Forces Libanaises, «FL») anti-syrien, Pascal Sleiman, et que la responsabilité en a été imputée à de prétendus voleurs de voitures d’origine syrienne qui, pour lui voler sa voiture, lui auraient tendu une embuscade dans les montagnes, et l’auraient assassiné. Une version ridicule.
Mais il s’agit là de la version officielle fournie par le système : il est impossible de faire passer ce qui semble être la vérité pour presque tout le monde. Les réfugiés syriens sont de deux types : les agents d’Assad, qui s’amusent à faire le va-et-vient, et les expulsés de Syrie, plus d’un million et demi, qui sont considérés comme coupables de tous les maux, mais personne ne se souvient de la raison pour laquelle ils ont été chassés de chez eux. Remplacer les seconds par les premiers est un jeu d’enfant, mais la différence est architecturale. C’est Assad qui déstabilise le Liban pour ses propres fins, non pas ses victimes qui se contentent tout au plus de travaux forcés ou de vols de voitures, mais en ville et non au sommet des montagnes.
Ainsi, lorsque l’Europe a donné un milliard au Liban pour trois ans avec la contrainte de l’utiliser aussi pour patrouiller les mers et éviter les migrations clandestines, le système s’est uni pour crier contre l’Europe, qui refuse son accord pour le rapatriement forcé des réfugiés. Désormais, tout le système s’unit pour demander le rapatriement forcé des réfugiés, une hypothèse que l’Europe ne peut soutenir, se trouvant sur le banc des accusés malgré l’ampleur du «cadeau». Mais si le système reconnaissait les véritables causes de la présence syrienne, cela irait à l’encontre des intérêts du «grand protecteur», avec lequel les trafics illégaux prospèrent à un rythme vertigineux. Notamment, bien sûr, les armes et la drogue. Assad, et plus précisément son frère Maher, est le principal producteur mondial de captagon, une drogue de synthèse.
La position du Hezbollah prise sur les réfugiés syriens est intéressante. À cet égard, Nasrallah a déclaré que le Liban devrait encourager l’émigration illégale vers l’Europe. Ce serait le seul moyen d’être autorisé par Bruxelles à renvoyer les réfugiés dans leur pays d’origine, même si leur consentement n’est jamais acquis, sachant le sort qui leur serait réservé. L’objectif de Nasrallah est évidemment différent : favoriser son ami damascène à obtenir un soutien financier européen et le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Europe et Damas en échange de son précieux «oui» au retour des réfugiés, qui finiraient de toute façon très mal.
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Il est difficile de dire quelles sont les marges de manœuvres dont dispose désormais l’envoyé de Joe Biden dans sa mission. Pourtant, si le Liban devait renaître à nouveau, cela changerait considérablement pour l’ensemble du monde arabe. Un pays très fragile, il a eu et pourrait avoir à nouveau une véritable bourgeoisie, étant donné qu’il conserve une intellectualité arabe vivante et laïque, une forte capacité commerciale, un secteur tertiaire avancé il y a encore quelques années, une presse libre qui fait pâlir d’envie (ou de peur) de pays beaucoup plus influents. Le retour d’un Liban véritablement souverain et pluriel, c’est-à-dire non soumis aux conceptions étrangères, relancerait rapidement un système éducatif qui a été, pendant des décennies, l’université du savoir arabe, chrétien et musulman. C’est un rêve difficile, mais le retour à la vie du Liban serait la véritable opportunité du dialogue euro-méditerranéen, étant donné que sans Beyrouth le Liban n’existe pas, et que Beyrouth n’existe qu’en tant que ville arabe, méditerranéenne, européenne et modernisée ; ce qu’elle demeure, malgré tant de problèmes.