(Paris, Rome, 21.09.2023). Dumoulin et Shamiev (ECFR), expliquent le contexte (y compris historique) dans lequel se développe la nouvelle crise entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, avec une interprétation du rôle compliqué joué par la Russie
Depuis mardi dernier, l’Azerbaïdjan a lancé une nouvelle opération militaire au Haut-Karabakh, territoire séparatiste situé en territoire azerbaïdjanais, mais contrôlé par l’Arménie. Un scénario marqué par une longue histoire de tensions ethniques et territoriales entre les deux pays, qui a déjà déclenché deux guerres faisant des milliers de victimes. On craint que ces nouveaux affrontements n’exacerbent les tensions et ne conduisent à une nouvelle guerre dans une zone déjà privée de biens et de services essentiels, nous explique Emanuele Rossi dans son analyse dans les colonnes du quotidien «Formiche».
Le contexte
Le Haut-Karabakh est une région montagneuse d’environ 11.000 kilomètres carrés située en Azerbaïdjan, mais qui est plus proche de l’Arménie sur les plans ethnique, religieux et culturel. En 1988, il a déclaré son indépendance de l’Azerbaïdjan avec le soutien de l’Arménie, déclenchant une série de conflits qui ont conduit à la première guerre entre 1992 et 1994, remportée par l’Arménie, et à la deuxième guerre en 2020, remportée cette fois-ci par l’Azerbaïdjan. Bien que la communauté internationale reconnaisse le Haut-Karabakh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan, il est en grande partie sous le contrôle de l’Arménie.
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Un autre élément de complexité est la géographie de la zone. Le Haut-Karabakh n’a pas de frontière directe avec l’Arménie mais il est relié via un petit passage terrestre connu sous le nom de « corridor de Lachin », vital pour l’approvisionnement en produits de première nécessité. Cependant, ce passage a été fermé à plusieurs reprises par l’Azerbaïdjan, provoquant de graves pénuries de nourriture et de médicaments.
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L’Azerbaïdjan nie vouloir isoler la région et préconise des restrictions pour empêcher le trafic illégal d’armes. La Russie est censée se porter garante pour maintenir ouvert le passage entre l’Arménie et le Haut-Karabakh, mais jusqu’à présent elle n’est pas intervenue de manière significative.
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Certains habitants du Haut-Karabakh estiment que l’Azerbaïdjan tente d’affamer la population pour la forcer à abandonner la région. Malgré diverses tentatives de médiation diplomatique, la situation reste tendue. Des rapports récents font état de bombardements dans la capitale Stepanakert effectués par l’armée azerbaïdjanaise.
Marie Dumoulin, directrice du programme Europe élargie à l’ECFR, (European Council on Foreign Relations/Conseil européen pour les relations internationales) explique que depuis la première guerre autour du Haut-Karabakh et le cessez-le-feu conclu en 1994, l’Azerbaïdjan insiste sur la violation de son intégrité territoriale, tandis que l’Arménie met l’accent sur le droit à l’autodétermination de la population arménienne locale. Sur fond de guerre en Ukraine, l’Azerbaïdjan se voit légitimé.
De nouvelles tensions
« Ces derniers mois, le Premier ministre arménien a reconnu le Haut-Karabakh comme faisant partie du territoire de l’Azerbaïdjan, mais a poussé à une discussion sur les droits de la population arménienne locale et les garanties de sécurité dont elle bénéficierait au sein de l’Azerbaïdjan », poursuit Dumoulin. Le fait est que Bakou n’a pas l’intention de négocier sur une question qu’il considère comme interne et s’apprête à reprendre un territoire que même l’Arménie reconnaît comme faisant partie de l’Azerbaïdjan.
« Les Arméniens, poursuit le groupe de réflexion, sont déçus par le manque de soutien de la Russie, qu’ils considéraient comme leur principal garant de la sécurité et un allié au sein de l’alliance militaire OTSC (Organisation du Traité de Sécurité Collective, ndlr). Le contingent russe déployé au Haut-Karabakh après le cessez-le-feu de 2020 n’a pu empêcher aucune des actions militaires azerbaïdjanaises, ni empêcher l’Azerbaïdjan d’établir le blocus du couloir de Lachin, une route reliant l’Arménie au Haut-Karabakh. Elle n’est pas nous plus en mesure d’arrêter l’offensive actuelle ».
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Après avoir négocié le cessez-le-feu de 2020, la Russie n’a pas voulu prendre parti dans le conflit, permettant ainsi à l’Azerbaïdjan de gérer la situation. Il reste à voir si la Russie est désormais capable de négocier un nouveau cessez-le-feu et à évaluer le coût politique, probablement élevé, que cela entraînerait pour le gouvernement arménien.
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La roulette russe
Comme l’explique Kirill Shamiev, (spécialiste des relations entre civils et militaires et chercheur invité au Conseil européen des relations internationales) à l’ECFR, depuis la chute de l’URSS, la Russie a dû jouer le rôle de funambule entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Les deux pays sont des partenaires importants de Moscou dans la région, notamment dans les secteurs de la défense et de la sécurité. Les données de l’Institut international SIPRI révèlent que de 2011 à 2020, la Russie était le principal exportateur d’armes vers l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Pendant cette période, elle a fourni la quasi-totalité des principaux armements de l’Arménie et a représenté près des deux tiers des principales acquisitions d’armes de l’Azerbaïdjan.
« Les objectifs de la Russie dans ce conflit sont d’empêcher les incursions directes sur le territoire de l’Arménie internationalement reconnu, d’éviter une confrontation militaire directe avec l’Azerbaïdjan et d’assurer la sécurité des soldats de maintien de la paix et la sécurité relative de la population locale du Karabakh », explique Shamiev dans ses commentaires.
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« La Russie n’a ni la volonté ni la capacité de soutenir le gouvernement arménien actuel au Karabakh. L’Arménie a eu le temps de se préparer aux hostilités à venir, mais je doute, ajoute-t-il, qu’elle y soit parvenue avec succès, comme le démontrent les mesures frénétiques de politique étrangère du gouvernement arménien ces derniers mois ».
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