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Le coup d’État au Gabon aura-t-il des conséquences sur la sécurité maritime dans le golfe de Guinée ?

(Paris, Rome, 01.09.2023). Les navires arrêtés devant les ports du Gabon en attendant les indications des putschistes ouvrent un scénario : si la junte militaire se consolide à Libreville, continuera-t-elle à participer aux activités de sécurité maritime dans le golfe de Guinée ? Et si oui, restera-t-elle partenaire des opérations en cours ou choisira-t-elle d’autres interlocuteurs ?

Au moins 30 navires commerciaux ont jeté l’ancre dans les eaux gabonaises mercredi après que des responsables militaires ont déclaré avoir pris le pouvoir dans ce pays d’Afrique centrale, chassant ainsi l’emprise de la « Famille », comme on appelle la dynastie des Bongo, qui dirigeait le pays depuis 1967.

Les institutions étatiques ont été dissoutes et les frontières ont été fermées. C’est le menu typique d’un coup d’État, mais la fermeture des frontières présente dans ce cas une particularité supplémentaire : le Gabon, pays de l’OPEP, est l’un des points de référence pour la dynamique maritime de la région. Non seulement en raison des navires qui transportent les exportations de pétrole, mais aussi parce qu’il occupe une place de premier plan sur le marché régional de la pêche et dans le secteur de la sécurité maritime, nous explique Emanuele Rossi dans les colonnes du quotidien «Formiche».

Les navires bloqués attendent les instructions des putschistes

Dans les heures qui ont suivi le coup d’État, une accumulation de navires stationnaires a été observée. Les navires comprenaient des cargos et des pétroliers et étaient bloqués près des principaux ports du pays, notamment Owendo, près de la capitale, et Port Gentil, plus au sud, où se trouve la première base navale du Gabon. Les données de suivi ont été signalées par la société d’analyse « MarineTraffic ».

La société britannique de sécurité maritime « Ambrey » a fait savoir à ses clients que les opérations portuaires de Libreville avaient été interrompues et qu’aucun navire n’y était entré ou sorti depuis l’annonce du coup d’État. Les mouvements maritimes reprendront une fois la situation stabilisée, qu’il s’agisse d’un retour à l’ordre sous Ali Bongo ou d’un règlement avec les putschistes. La prédiction est acquise, mais les préoccupations plus réservées des compagnies maritimes témoignent d’une crainte pour l’ensemble de la situation maritime régionale.

En effet, la question n’est pas tant de savoir si les activités commerciales vont reprendre, c’est certain, étant donné la nécessité vitale du pays, mais comment ; et cela dépendra de l’évolution du renversement institutionnel lancé par la junte. La question est de savoir comment la junte – si elle reste au pouvoir comme cela semble être le cas – continuera à œuvrer pour la sécurité maritime de la région et à collaborer avec des initiatives extérieures (telles que celles européennes et américaines).

Une région turbulente, mais un contrôle croissant

En juin, les Émirats arabes unis, qui présidaient l’Assemblée de l’ONU ce mois-là, ont organisé, à la demande du Ghana, un événement pour commémorer le 10e anniversaire du « Code de conduite de Yaoundé », qui a créé l’architecture de sécurité maritime du Golfe de Guinée, l’une des zones les plus sensibles au monde en matière de sécurité maritime. Une zone dont le Gabon constitue le flanc géomorphologique oriental, avec 885 kilomètres de littoral faisant face à ces eaux. Le Code, adopté en 2013, vise à coordonner les efforts visant à prévenir les actes de piraterie, les agressions armées et autres activités illicites dans le Golfe. La résolution 2634, adoptée en mai 2022, a renouvelé l’attention portée à cette zone qui, sous le contrôle du Centre interrégional de coordination pour la mise en œuvre de la stratégie régionale de sécurité maritime en Afrique centrale et occidentale, a connu une tendance à la baisse des incidents, amorcée en 2020 et s’est poursuivi en 2022 et 2023.

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Diverses missions opérationnelles sont menées dans la zone, notamment l’opération anti-piraterie « Gabinia » pour laquelle l’Italie a déployé le patrouilleur offshore Commander Foscari. Un quadrant que la Marine définit comme une « zone de grand intérêt commercial pour notre pays ». Dans le cadre de ces activités, en novembre 2021, le Fremm Antonio Marceglia est arrivé pour la première fois au Gabon pour s’entraîner avec les unités navales locales à travers une opération d’exercice de passage. A cette occasion, l’ambassadeur italien Gabriele di Muzio a exprimé « sa gratitude pour l’engagement de la Marine dans l’activité de présence, de surveillance et de sécurité dans le Golfe de Guinée », soulignant « l’importance stratégique du Gabon pour l’Italie » et pour la surveillance des eaux du golfe. Par la suite, des activités similaires ont eu lieu en avril 2022 (avec le Luigi Rizzo) et en novembre 2022 (avec le porte-hélicoptères patrouilleur Commander Borsini).

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L’Italie – qui a une bonne présence au Gabon en raison des activités d’ENI, fait partie de l’agenda de sécurité maritime inclus dans le spectre plus large de la coopération internationale, promue au sein de l’UE avec le concept de CMP (Coordinated Maritimes Présences) et de « G7++ Friends of the Gulf of de Guinea ». Concrètement, la Marine participe au renforcement des capacités de la Marine Nationale Du Gabon en matière de lutte contre la piraterie maritime, la pêche illégale, les délits environnementaux et tous types de trafics illicites. La Marine nationale, fondée en 1960 sous l’égide de la France, fut longtemps le département le moins bien équipé des forces armées gabonaises, jusqu’à ce que la prise de conscience de la sécurité des voies navigables grandisse et que Libreville commence également à moderniser ses unités.

À quoi faut-il s’attendre ?

Même à la lumière des récents mouvements (observés) de la junte putschiste nigérienne contre certaines représentations diplomatiques occidentales, des choix similaires faits ailleurs (par exemple au Mali et au Burkina Faso) et des mesures de réciprocité prises à l’encontre d’autres groupes putschistes, la considération qui affecte le Gabon concerne le maintien de telles opérations. La sécurité maritime est une discipline complexe, composée d’activités en mer coordonnées à terre et surveillées depuis les airs. En supposant que le coup d’État se consolide, les dialogues militaires  (déjà engagés entre des éléments des forces armées gabonaises qui ont soutenu le coup d’État et des collègues d’autres pays qui ont collaboré avec eux dans le passé selon un schéma déjà vu à Niamey), parviendront-ils à construire un climat de coopération pragmatique ?

Pour des pays comme la France, qui exerce depuis des années une empreinte historique dans le pays et dans la région de l’Afrique centrale (ce qui est en partie à l’origine de certaines déstabilisations institutionnelles en cours), il s’agit d’un test très délicat. Paris maintient les Éléments français au Gabon dans le pays et sait que la composante du récit contre cette présence (et celle, plus cachée derrière la Famille), fait partie des problèmes de la région. La stabilité d’une zone par laquelle transite le trafic atlantique en provenance d’Afrique et où aboutissent les projets d’infrastructures énergétiques, dépend du rétablissement de la communication et de la crédibilité.

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Notamment parce que les nations rivales cherchent déjà à tirer profit du contexte. Par exemple, la sécurité maritime du golfe de Guinée a fait l’objet de discussions publiques et confidentielles lors du récent sommet Russie-Afrique.

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La Chine envisage depuis longtemps d’accroître sa présence dans le golfe de Guinée, et une récente mission de diplomatie navale a souligné ces ambitions. En juin 2021, la Chine a fait don d’un patrouilleur de classe P200 au Gabon avec une cérémonie officielle au port d’Owedo.

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