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Adieu à la neutralité historique: le bouclier antimissile européen est né, ce qui va changer

(Paris, Rome, 24.07.2023). La Suisse et l’Autriche feront partie du projet européen de bouclier antimissile promu par l’Allemagne. L’«European Sky Shield Initiative», le projet allemand présenté par Olaf Scholz fin 2022 pour commencer à mettre en œuvre le Zeitenwende de Berlin («Epochal Turn») vers la protection de la sécurité nationale et collective, est une stratégie que Berlin a proposée aux pays européens, membres ou non de l’Alliance atlantique (OTAN), pour créer une coordination sur un plan d’achat de dispositifs antiaériens et de missiles visant à créer une dissuasion contre d’éventuelles répercussions liées à la guerre russo-ukrainienne.

L’objectif allemand, selon le décryptage d’Andrea Muratore du quotidien «Inside Over», est de renforcer le contrôle de Berlin sur un système de défense aérienne intégré avancé et d’élargir les perspectives européennes de défense commune, notamment en accélérant la transition des pays d’Europe de l’Est des structures traditionnellement héritées de l’ère soviétique vers des armements plus modernes. De ce point de vue, l’adhésion de la Suisse et de l’Autriche constitue un précédent notable dans la mesure où elle place deux pays historiquement neutres face à l’évidence d’avoir à se préoccuper, au moins sur le fond, de la question de la dissuasion et de la protection. La neutralité était un bouclier à l’époque de la guerre froide et de ses règles strictes d’engagement. Il n’en est plus ainsi à l’ère de la guerre froide 2.0 et des conflits hybrides illimités.

La Suède avait été la première nation formellement neutre à rejoindre l’Essi (un programme intégré de défense à courte, moyenne et longue portée, «European Sky Shield», Ndlr), au début de l’année 2023. A ce jour, le projet lancé par l’Allemagne rassemble, outre Berlin et Stockholm, bon nombre des pays européens les plus farouchement antirusses : la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, la République tchèque, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, les Pays-Bas, la Norvège, la Slovaquie, la Slovénie, la Roumanie et le Royaume-Uni, auxquelles s’ajoute la Hongrie de Viktor Orban. Et bientôt seront également accueillies Vienne et Berne, dont les ministres de la défense, Klaudia Tanner et Viola Amherd, ont signé le 7 juillet le protocole d’accord sur l’Essi avec leur homologue allemand, le ministre Boris Pistorius, lors d’une réunion tenue dans la capitale suisse.

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La Suisse et l’Autriche rappellent que rien de ce qu’elles feront n’affectera leur neutralité. Mais le projet a un effet dissuasif évident sur la Russie et représente un triomphe pour le retour de la sécurité en tant que sphère d’intérêt pour les gouvernements, ainsi que le reflux atlantique en cours en Europe. L’accord Essi n’a pas encore de chiffres bien définis à mettre en place, mais il prévoit une série d’achats de dispositifs tels que l’Arrow 3 israélien et les Patriots américains. Des engins qui seront, selon les intentions, achetés en commandes communes pour accroître les économies d’échelle et sur lesquels les pays membres du pacte Essi se coordonneront pour se fournir des informations sur la continuité opérationnelle, sur la gestion des flux logistiques de munitions et sur l’intégration du dispositif anti-aérien dans une stratégie de dissuasion commune.

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Cette démarche montre que la notion de neutralité va de pair avec celle de responsabilité dans cette délicate phase historique. L’Autriche peut combiner en toute sécurité sa réticence à intensifier l’aide européenne à l’Ukraine avec un virage stratégique net et clair qui invite à considérer comme crédible la menace d’attaques de missiles russes. Sur la politique et ses déclinaisons, on peut s’ouvrir sur des nuances de conduite, sur la sécurité nationale.

Quant à la Suisse, le gouvernement bernois n’a pas livré d’armes directement à l’Ukraine mais prépare la vente de vingt-cinq chars Leopard 2 à l’Allemagne qui servira à Berlin, détenteur du savoir-faire sur le char tant désiré par Kiev, à couvrir ses réserves en cas d’expéditions vers le pays envahi par la Fédération de Russie. La Suisse a posé comme seule condition à Berlin que les chars rachetés par l’Allemagne ne devront pas être remis à l’armée ukrainienne avant que la vente ne soit formalisée. En outre, la Suisse a imposé des sanctions financières à la Russie conformément aux politiques occidentales visant à contrôler les flux de capitaux de Moscou en Europe.

La manœuvre de l’Essi semble être une tentative coordonnée de construire un système cohérent avec les structures atlantiques de gestion des risques et d’alerte antimissile dirigés par les Etats-Unis. Et le fait que la Suisse et l’Autriche rejoignent un projet dont la base d’achat sera orientée vers les USA et Israël, après avoir longtemps snobé les projets européens de défense commune, montre qu’en tout cas l’OTAN, en matière de sécurité collective, semble offrir plus de garanties que les projets communautaires derrière lesquels la main principale semble être celle de la France. A qui même Berlin ne souhaite pas laisser le sceptre du leadership de la défense du Vieux Continent.

Il sera intéressant de comprendre comment Paris et Rome réagiront à l’expansion de l’Essi vers les pays neutres.

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Il s’agit des États qui ont le plus développé les capacités de missiles et d’interdiction aérienne dans le passé avec des plans tels que les missiles Samp/T et Aster et qui conservent aujourd’hui un avantage non négligeable en matière de base industrielle.

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Potentiellement, remis en cause par l’achat massif de moyens américains et israéliens. L’hypothèse d’une défense européenne de plus en plus compétitive sur le plan interne n’est pas à écarter. La grande nouveauté est qu’aujourd’hui, même les neutres contribuent à animer la course.

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