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Le chantage d’Erdogan: «la Suède dans l’OTAN ? Seulement avec la Turquie dans l’UE»

(Rome, Paris, 11.07.2023). Recep Tayyip Erdogan place la barre haut des exigences pour que la Suède soit acceptée dans l’OTAN. Le président turc, à la veille du sommet de Vilnius considéré comme l’un des plus stratégiques de ces dernières années, lors d’une conférence de presse précédant son départ pour la Lituanie, a exigé un échange précis aux partenaires euro-atlantiques : « Ouvrez les portes de l’UE à La Turquie et nous ouvrirons les portes de l’OTAN à la Suède », a déclaré le Raïs, répondant aux questions sur le sujet, posées par l’agence turque Anadolu.

Il s’agit d’un tournant important ayant un poids spécifique élevé car il met en place un élément de négociation jusqu’alors inattendu. Ne serait-ce qu’une simple provocation, l’idée d’Erdogan lancerait un scénario inédit : troquer le feu vert à un partenaire «in pectore» d’une alliance militaire contre l’entrée d’un acteur décisif dans une autre organisation internationale de matrice politico-économique et juridique représente un seuil de négociation extrêmement complexe à mettre en œuvre. Et ce, pour de multiples raisons, selon l’analyse d’Andrea Muratore dans le quotidien «Inside Over».

Tout d’abord, une évidence : l’Union européenne et l’OTAN ne se chevauchent pas. De même qu’il existe des pays européens de l’OTAN qui ne sont pas membres de l’Union européenne (la Norvège et le Royaume-Uni in primis), il y a des États de la Communauté des Vingt-sept en dehors du périmètre atlantique : l’Autriche et l’Irlande sont les plus pertinents, mais il y a aussi Malte et surtout Chypre ; Un État sur le territoire duquel Ankara a installé sa République turque sécessionniste de Chypre du Nord, depuis un demi-siècle, et avec lequel il entretient un différend territorial évident.

Deuxièmement, aucun élément concernant une reprise des discussions sur l’adhésion de la Turquie à l’UE n’avait jamais été apporté par Ankara à la table des négociations quand, en 2022, elle avait mis la barre plus haut pour exiger des contreparties précises à l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN. Il n’aurait pas pu être considéré, raisonnablement, comme un élément de négociation valable. Au sommet de Madrid en 2022, Erdogan avait demandé à Stockholm et à Helsinki de mettre fin à l’hospitalité et à la protection des guérilleros kurdes du PKK et de rompre avec la branche syrienne du Parti des travailleurs kurdes, l’YPG. En outre, il avait misé sur la fin de l’embargo sur les armes à destination de la République eurasienne par les deux pays scandinaves. Mais des processus tels que la destruction par le feu du Coran en Suède et la montée à Stockholm du centre-droit dirigé par Ulf Kristersson avec le soutien extérieur des Démocrates suédois conservateurs et nationalistes, autant atlantistes qu’anti-turcs, ont retardé la mise en œuvre des revendications turques. Aujourd’hui, elles se sont encore durcies.

Le troisième point réside dans le fait que la proposition contourne les perspectives de négociation du secrétaire de l’OTAN, Jens Stoltenberg. Au fil des ans, tisseur silencieux des manœuvres de l’OTAN et auteur de divers raccommodages appréciés à plusieurs reprises par Erdogan, à commencer par le soutien reçu après le coup d’État manqué de 2016 et les interventions controversées de la Turquie en Syrie en 2018 et 2019, Stoltenberg n’aurait plus aucune marge pour manœuvrer après une telle prise de position. Mais rien que ce soir, Erdogan le rencontrera pour comprendre si l’impasse peut être débloquée. Une rencontre avec Kristersson est également prévue, tandis que dans la journée Antony Blinken, secrétaire d’Etat américain, a appelé le ministre turc des Affaires étrangères Hakan Fidan pour tenter une sortie de l’impasse.

Quel est l’objectif d’Erdogan ? En bref, devenir de plus en plus central. Le Raïs est à la manœuvre. Il reçoit le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Ankara se déclarant prêt à accueillir l’Ukraine dans l’OTAN.

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Mais en même temps, il a annoncé qu’il avait invité Vladimir Poutine à Ankara en août pour parler des relations russo-turques et des accords sur les céréales. Il sécurise son pivot diplomatique en se concentrant sur le nouveau ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan, en confrontation constante avec Washington, Moscou et Kiev grâce à son expérience à la tête des services de renseignement.

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Toutes les tables de négociation doivent passer par la Turquie. Et cela rend Erdogan fier, et plus ferme que jamais après sa récente réélection. Désormais, l’objectif est clair : rendre Ankara indispensable à toutes les tables et en tirer profit sur tous les fronts. Qu’il s’agisse d’éviter l’effondrement de l’économie turque en rendant politiquement onéreuse la fuite des capitaux occidentaux, qu’il s’agisse de garanties de sécurité pour les intérêts énergétiques et géopolitiques d’Ankara, qu’il s’agisse d’intégration infrastructurelle et d’équilibre régional entre la Méditerranée orientale et le Moyen-Orient, Erdogan est prêt, quand à l’avenir, l’action turque deviendra proactive, à rechercher les différents interlocuteurs politiques les uns après les autres. Et de jouer, coup après coup, son jeu de relances continues. Parfois même improbables. Mais l’avantage dans cette partie d’échecs revient au sultan : il sait très bien ce que veulent les Occidentaux, autrement dit, en l’occurrence, Stockholm dans l’OTAN. Mais il ne cesse d’étendre l’écran de fumée en restant équivoque sur ce qu’il veut vraiment. Et cela le rend de plus en plus impossible à ignorer.

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