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Le mode opératoire de Wagner en Afrique: des attaques et des mines d’or

(Rome, Paris, 31.03.2023). La première (et dernière) fois que le monde s’est intéressé à l’Afrique centrale, c’était le 4 décembre 1977. Ce jour-là, le président Jean-Bédel Bokassa s’est proclamé empereur de son petit fief perdu : l’ancien sergent des troupes coloniales françaises, fou amoureux avec l’épopée bonapartiste, réalise ainsi son rêve d’enfant de devenir le Napoléon africain. L’extravagante cérémonie du sacre, avec un trône doré de 3 mètres en forme d’aigle, une couronne en or, cinq mille invités, a coûté 25 millions de francs, soit le quart de l’aide annuelle fournie par Paris à l’ancienne colonie, et a fait ricaner la planète toute entière. Ensuite, le désintérêt absolu, nous explique Marco Valle dans le journal italien «Il Giornale/Inside Over».

Brève histoire de la République centrafricaine

Les seuls à parler de l’Afrique centrale pendant un certain temps, étaient les Français. Au printemps 1979, Valéry Giscard d’Estaing est embarrassé par le scandale des « cadeaux » (un million de francs en diamants) reçus par Son Altesse Impériale pour occulter les accusations répétées de massacres aveugles, de cadavres dans le frigo, de cannibalisme et autres blagues. En septembre Giscard, de plus en plus gêné, ordonne l’opération Barracuda, et les parachutistes déposent l’encombrant ami. Une fois l’empereur limogé et les ressources minérales sécurisées (uranium, or, diamants, terres rares, pétrole), même les Gaulois ont vite oublié le malheureux pays qui, depuis, s’éternisent coups d’État, sécheresses, famines et guerres civiles.

En 2013 la France est intervenue sans trop de conviction en déployant ses soldats dans la mission « Sangaris » mais le président Hollande a alors rapidement donné l’ordre de retirer le contingent, laissant ainsi la patate chaude à l’ONU qui, l’année suivante a envoyé 14.000 casques bleus (la mission « Minusca ») visant à stabiliser le pays déchiré. Il est dommage que l’intervention des Nations unies, confiée à des troupes africaines, se soit révélée désastreuse.

Ainsi, malgré l’élection du mathématicien Faustin-Archange Touadéra en 2016 et l’enclenchement d’un lourd processus de réconciliation nationale, la violence continue de s’étendre (le gouvernement de Bangui ne contrôle que vingt pour cent du territoire, 3 préfectures sur 17) et plus 500.000 personnes ont trouvé refuge de l’autre côté de la frontière. L’économie de la petite république s’est effondrée et aujourd’hui la grande majorité de la population vit avec 89 centimes d’euro par jour. Un véritable désastre.

L’arrivée de la Russie

Mais en politique comme dans la nature, les vides sont toujours comblés. En 2017, le président Touadéra a rencontré le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov à Sotchi. A l’issue de la rencontre, un communiqué de presse a souligné « le potentiel du partenariat pour l’exploitation des ressources minérales et la fourniture de matériel militaire, de machines agricoles et d’énergie russes ». Immédiatement après, Moscou a demandé au Conseil de sécurité de l’ONU une dérogation à l’embargo sur les armes, en vigueur en République centrafricaine depuis 2013, afin de pouvoir donner des armes et démarrer un programme de formation des Forces armées centrafricaines.

A lire : Les mercenaires russes au Mali et au-delà. L’embarras de la France et de l’UE

Un premier pas. La garde présidentielle a été aussitôt renforcée par une section des forces spéciales de Moscou, qui sécurise la « première ceinture » autour de Touadéra, et un accord militaire a été signé en 2018. En contrepartie, Bangui a accordé à deux sociétés russes (Lobaye Invest et Sewa Security Service) l’exploitation des champs de Ndassima, Birao, Bouar et Bria.

A lire : Armes et pétrole: comment la Russie a construit son influence en Afrique

Un cadeau de bienvenu au Kremlin puisque les entreprises susmentionnées appartiennent à Evgueny Prigozhin, le sulfureux «mécène» du groupe Wagner. Le «cuisinier de Poutine» a confié à ses hommes la défense des mines et, le cas échéant, la sécurité du gouvernement.

L’incident avec la Chine

Ces derniers mois, Touadéra, toujours à la recherche d’investisseurs étrangers, a également ouvert les portes du pays à la Chine, persuadé, au vu du fort rapprochement entre Pékin et Moscou, que les deux puissances pouvaient coexister pacifiquement (et le soutenir pour son troisième mandat). Probablement, il s’agit d’une erreur de jugement. Dès que les techniciens du « Gold Coast Group », la compagnie minière pékinoise, ont débarqué à Bangui, les problèmes ont commencé. De plus en plus graves.

Ces dernières semaines, les installations chinoises ont été attaquées à plusieurs reprises par de mystérieux bandits. Début mars trois ingénieurs ont été enlevés à Gbembo, dans l’ouest du pays, et le dimanche 19, neuf techniciens chinois qui travaillaient dans la mine d’or de Chingbolo ont été massacrés. Une exécution en bonne et due forme complétée d’un coup de grâce et, comme toujours, sans témoins. Et le même jour, à quelques kilomètres de là, quelqu’un a tiré sur deux travailleurs humanitaires chinois, les blessant grièvement. Une escalade qui a immédiatement alarmé Xi Jingping qui a immédiatement appelé Touadéra, bouleversé, en lui demandant de « tout mettre en œuvre pour sauver les blessés et punir sévèrement les tueurs ». Dans le même temps, l’ambassade de Chine a donné l’ordre d’évacuer au plus vite les techniciens des zones à risque. Pratiquement toute l’Afrique centrale.

Le gouvernement de Bangui a immédiatement mis en cause la «Coalition des patriotes pour le changement», (CPC, un mouvement armé centrafricain créé le 17 décembre 2020 par la fusion de 6 groupes armés, 4 issus de la Séléka et 2 des anti-balaka), le groupe d’opposition dirigé par François Bozizè, un ancien président en exil, considéré par Touadéra comme une émanation des services français. Le vice-Premier ministre, Evariste Ngmana, s’est dit certain que derrière cette chasse soudaine aux Chinois se cachaient « des mercenaires étrangers à la solde des puissances qui, au fil des siècles, ont utilisé la violence comme arme pour maintenir le pays dans un chaos permanent ». Une référence évidente à Paris.

A son tour, le CPC a rejeté les accusations, dénonçant plutôt une machination « orchestrée par Wagner en collaboration avec les hommes de Touadéra ».

A lire : Wagner prévient Poutine: «nous quittons l’Ukraine… ». Désormais, s’ouvre le front de l’OTAN en Afrique

Des paroles lourdes mais sans preuves. Il n’en reste pas moins qu’à la lumière de la coûteuse campagne dans le Donbass, Prigozhin a intensifié l’activité de ses sociétés minières en Afrique centrale avec de nouveaux investissements qui ne semblent envisager aucune synergie avec ses alliés (mais aussi les concurrents) asiatiques. Il est certain que ces jours-ci, Bangui fait aussi l’objet de discussions entre Moscou et Pékin.

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