La mise en garde (restée sans suite) de Bush à Obama: «méfiez-vous de la Russie»

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(Rome, Paris, 24.02.2023). Lorsqu’à la Maison Blanche un locataire s’apprête à partir pour laisser la place à un autre locataire élu démocratiquement, le sortant, habituellement, lui laisse des mémos. Une sorte de « guide pour les nuls » dans lequel se trouvent des conseils, bien qu’il ne s’agisse pas de documents d’extrême importance. Cependant, ces notes du président sortant sont jugées suffisamment sensibles pour être classées dans l’attente d’une déclassification en temps voulu, nous explique Francesca Salvatore, dans son décryptage dans les colonnes du quotidien «Il Giornale/Inside Over».

Il y a quatorze ans, c’était au tour de George W. Bush Jr. de laisser ses notes à son successeur Barack Obama : 11 septembre, Irak, Afghanistan, tout était déjà arrivé. Dans quarante notes confidentielles du Conseil de sécurité nationale, Bush a marqué la transition entre deux administrations très différentes mais néanmoins étroitement liées sur la guerre contre le terrorisme. Pour la première fois, ces mémos ont été déclassifiés, offrant un aperçu de ce à quoi ressemblait le monde aux yeux de Bush après huit années exténuantes.

Les notes de Bush à Obama

Une suite de phrases lapidaires aux sonorités presque prophétiques : « L’Inde est un amie. Le Pakistan ne l’est pas. Ne faites pas confiance à la Corée du Nord ou à l’Iran, mais il vaut toujours mieux parler que ne pas le faire. Méfiez-vous de la Russie; elle convoite le territoire de son voisin l’Ukraine. Veillez à ne pas vous laisser piéger par des guerres terrestres inextricables au Moyen-Orient et en Asie centrale. Et oh oui, la construction d’une nation est définitivement plus difficile qu’il n’y paraît ». En le relisant aujourd’hui, cet avertissement sonne de mauvais augure.

En janvier 2009, après son entrée en fonction, alors que les troupes américaines combattent toujours dans deux guerres, qu’Oussama ben Laden toujours en liberté, qu’une crise financière en cours et que diverses autres menaces pèsent sur la sécurité des Etats-Unis, un début de mandat difficile s’annonce pour Obama. En effet, l’Irak et l’Afghanistan remplissent des lignes et des lignes dans ces notes, mais malgré cela, Bush a dit à son successeur combien la politique étrangère américaine de l’époque espérait encore des relations constructives avec la Russie et la Chine. Le mémo sur la Chine préconise un large engagement personnel entre les dirigeants, attribuant aux interactions de Bush avec ses homologues chinois la création « d’un réservoir de bonne volonté » entre les deux puissances. En revanche, la note sur la Russie concluait que la « stratégie de diplomatie personnelle » de Bush avait été initialement couronnée de succès, mais reconnaissait que les liens s’étaient détériorés, en particulier après l’invasion russe de la Géorgie en 2008.

Il s’agissait donc d’un rappel des ambitions expansionnistes futures de Moscou. Bush, dans ses notes, a en outre déclaré : « Les tentatives de la Russie de remettre en cause l’intégrité territoriale de l’Ukraine, en particulier en Crimée, qui est à 59% ethniquement russe et abrite la flotte de la mer Noire de la marine russe, doivent être empêchées ». La note ajoute que « la Russie exploitera la dépendance de l’Europe vis-à-vis de l’énergie russe » et utilisera des moyens politiques « visant à creuser des clivages entre les États-Unis et l’Europe », a-t-il dit.

Obama et Moscou : de la «réinitialisation» au raid en Crimée

S’il est une image qui, plus que toute autre, décrit la posture américaine envers Moscou dans cette phase, c’est celle d’Obama et de Dmitri Medvedev se disputant autour de deux cheeseburgers au Ray’s Hell Burger à Arlington en 2010. Au cours des premiers mois de son premier mandat, Obama avait promu une «réinitialisation» avec Moscou destinée à apaiser l’acrimonie liée à l’affaire de la Géorgie, dans un objectif d’obtenir l’aide de Moscou sur des questions clés pour Washington. Cette démarche a donné lieu à quelques premiers succès : le programme New Start, aujourd’hui réduit en cendres, et une plus grande coopération sur l’Iran et l’Afghanistan.

Les progrès ont ralenti en 2011 sur le dossier libyen, et en 2012, le retour de Vladimir Poutine à la présidence russe laissait présager une relation moins coopérative, mais en sous-estimant les ambitions de la Russie en matière de défense. Les années électorales n’ont généralement jamais généré de moments favorables à des progrès dans les relations américano-russes. Au printemps 2012, la campagne électorale présidentielle américaine battait son plein. C’était au tour de Mitt Romney, le gouverneur, qui avait obtenu les voix nécessaires à l’investiture républicaine, et qui a cité la Russie comme la menace géopolitique numéro un pour les États-Unis. Barack Obama a sévèrement critiqué le commentaire mais a ignoré la Russie dans sa campagne électorale et la question du contrôle des armements a été traitée comme un tabou. En août, la Russie a rejoint l’OMC et les responsables russes ont publiquement reconnu que le soutien de Washington était la clé pour parvenir à l’adhésion après tant d’années d’attente. Le dossier syrien, associé à la fermeture par Moscou des activités de l’USAID en Russie, ont ouvert la voie à une nouvelle brouille entre les deux superpuissances.

L’administration Obama a semblé renoncer face au «point culminant» dans lequel cette relation a navigué au cours de l’année 2013, jusqu’à atteindre, au contraire, un plus bas historique en 2014, avec l’annexion de la Crimée par Moscou et le début du chaos dans le Donbass. Un précédent inquiétant pour le droit international et pour la stabilité démocratique de l’Europe, peut-être sous-estimé, estimant que la revendication sur la Crimée et le Donbass se limitait à cette zone, et ne cachait pas l’intention d’atteindre Kiev. Au-delà des représailles diplomatiques et des sanctions, Washington a opté pour une stratégie trinitaire, cherchant à soutenir l’Ukraine, à rassurer les alliés de l’OTAN et à revoir sa politique étrangère à l’égard de la Russie.

 Les erreurs d’Obama

« Diriger depuis l’arrière » avait été l’un des refrains d’Obama. Une politique étroitement axée sur l’agenda intérieur et les grands chantiers tels que la réforme de la santé ou les droits civiques, au point de suggérer un probable renoncement au rôle de gendarme du monde. Cela soulève une autre question : le fait de passer sous silence quant aux évènements de 2014, était-ce une erreur d’appréciation ou plutôt, sciemment, une stratégie de désengagement ? Il était déjà clair alors que l’Europe paierait le prix fort si Poutine ne s’était pas arrêté en Crimée. Après tout, l’administration Obama a terminé ses huit années avec des devoirs, en somme, bien faits : un agenda intérieur dense, deux guerres achevées, l’élimination de Ben Laden, la tempête de la crise traitée. Michael Cohen, de la « Century Foundation », l’a bien expliqué en pleine crise de Crimée : « Ce qui ne va pas dans ces analyses, c’est le point de mire des critiques. Le cœur du problème n’est pas tant de savoir comment Obama devrait répondre aux Russes mais pourquoi ».

En théorie tout se tient, en pratique un peu moins. Près de dix ans plus tard, un président américain, également ancien vice-président d’Obama lui-même, se trouve dans les décombres de Kiev. Au-delà de l’iconographie et des usages privés du geste, c’est le signe le plus tangible d’une Amérique continuellement tentée par l’isolationnisme, mais qui finalement ne peut pas et ne parvient pas l’être. A la lumière de ce constat, si le choix d’Obama était isolationniste, il était néanmoins à courte vue : en 2014, les crises de colère de Poutine étaient déjà claires. Et dans un monde dominé par l’effet papillon, il était prévisible qu’une crise dans le grenier de l’Europe aurait des conséquences économiques, énergétiques, géopolitiques ainsi qu’humanitaires effrayantes. Et bien que Washington puisse vouloir se replier sur lui-même, il était déjà clair que ces conséquences affecteraient également les États-Unis. C’était une stratégie, non pas une erreur de jugement, mais une stratégie à très, très courte vue.