Ce qui se passe en Russie, en Chine et en Iran

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(Rome, Paris, 13 décembre 2022). L’Eurasie vit un moment de grande faiblesse : la Russie ne gagne pas la guerre contre l’Ukraine, l’Iran est secoué par des protestations et la Chine doit réagir à l’offensive technologique américaine. L’analyse de Francesco Galietti, expert en scénarios stratégiques et fondateur de Policy Sonar

Le soutien occidental aux nombreux soulèvements qui secouent l’Eurasie est jusqu’à présent plutôt tiède. Sur le plan stratégique, c’est un moment «pop-corn», une parenthèse d’attente anxieuse quant à la façon dont les pions seront disposés sur l’échiquier. Il est encore trop tôt pour dire si Joe Biden est en proie au syndrome d’Adriano, autrement dit, s’il veut barricader l’Occident et ses partenaires dans un mur métaphorique, ou s’il évalue de manière pragmatique à ce qu’il faut faire. Nous procédons étape par étape, nous explique Francesco Galietti dans les colonnes du quotidien italien «Start Magazine».

Premier point. Le bloc autoritaire eurasien traverse une phase de grande faiblesse. La Russie n’est pas en train de gagner la guerre contre l’Ukraine, bien au contraire. L’humiliation de la perte de statut est associée à l’émancipation des vassaux russes traditionnels dans la rive caucasienne, qui rejettent désormais ouvertement la primauté de Moscou. Si les choses vont mal dans la périphérie, à Moscou elles ne vont pas mieux : dans la capitale russe, c’est désormais la guerre des gangs.

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Il y a plus : les ambitions des grandes factions armées (les Tchétchènes de Kadyrov, les mercenaires de Prigozine) peuvent, si elles ne sont pas contrôlées, conduire à une balkanisation de la Russie.

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La Chine, pour sa part, est aux prises avec une offensive économique de plus en plus âpre des États-Unis, qui n’ont pas l’intention de concéder à Pékin la suprématie technologique et exerçant une forte pression à travers des sanctions sur les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle et l’informatique quantique. Au conflit croissant avec Washington dans des secteurs clés, s’ajoutent les difficultés évidentes sur le front intérieur, avec une population qui, désormais, fait preuve d’intolérance face à l’interminable politique de confinement domestique. Enfin, l’Iran voit une combinaison meurtrière entre la colère des segments les plus jeunes de la population et les revendications de divers groupes ethniques minoritaires mais pertinents.

Deuxième point. L’Occident ne profite pas de la faiblesse eurasienne. Les Chinois se plaignent d’influences extérieures derrière les manifestations contre l’oppression du régime, mais à l’heure actuelle, les déclarations de soutien de la part des dirigeants occidentaux se font rares. Même les champions des droits civiles, comme la ministre allemande des affaires étrangères Annalena Baerbock, semblent plus taciturnes que d’habitude. Dans les capitales occidentales, il n’existe pas de manifestations de solidarité. Même les Iraniens dénoncent une orientation occidentale derrière les minorités – Kurdes, Baloutches, Azéris – qui se révoltent contre la théocratie chiite. L’impression, cependant, est que du côté américain, il n’y a pas de volonté de trop appuyer sur l’accélérateur. Une (non négligeable) exception est représentée par la Turquie, qui évolue de manière assez dynamique dans le Caucase.

Troisième point. Typiquement, les faucons craignent que le fait de ne pas profiter de la faiblesse de l’ennemi soit une prophétie de repli et donc de ruine. Ils craignent du syndrome d’Hadrien, l’empereur romain entré dans l’histoire pour la fortification de limes (Limès en latin, un ensemble de lignes de fortifications destinées à garder les frontières de l’Empire romain pour empêcher les incursions des peuples considérés comme barbares, Ndlr) et la décision de ne pas pousser l’empire plus loin. Il n’est cependant pas dit que Joe Biden sympathise avec l’empereur Hadrien et ses idées, ni qu’il ait décidé de jeter l’éponge. La stratégie actuelle d’écrasement de la Chine sur le front économique contredit ce raisonnement. Au contraire, il se peut que la crise en Eurasie lui suffise pour le moment, car elle accélère le retrait des entreprises occidentales de Chine et compacte le front occidental. Autrement dit, Biden semble avoir en tête, avant tout, un nouveau « Yalta », un découpage clair par zones d’influence. Cette tendance est déjà en partie perceptible lors du dernier sommet du G20 à Bali, où les dirigeants présents se sont principalement adressés à des publics nationaux.

Quatrième et dernier point. L’accélération de la crise de l’Eurasie est effrayante. L’implosion brutale de l’Eurasie serait un événement sans précédent, et c’est pour cette raison qu’il s’agit d’un scénario examiné avec une attention particulière dans les chancelleries occidentales. En effet, l’effondrement de l’Union soviétique au début des années 1990 ne peut servir de terme de comparaison : l’URSS n’avait aucune interconnexion avec l’Occident, tandis que l’actuel bloc eurasiatique – la Chine in primis – est encore très connecté au reste du monde en termes de commerce et d’investissement direct. Toutefois, le nationalisme chinois s’affirme de plus en plus, et la tendance à l’autarcie est déjà visible dans la doctrine stratégique chinoise de la « stratégie de double circulation ». Le moment du jugement sera là, mais sera reporté à temps.