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Nouveaux pourparlers américano-russes en Turquie: pourquoi Istanbul devient la «capitale» de la diplomatie ?

(Rome, Paris, 09 décembre 2022). Selon l’agence «Tass», le 9 décembre, de nouveaux pourparlers sécuritaires et diplomatiques étaient en cours entre la Russie et les États-Unis à Istanbul, désormais la «capitale» de la diplomatie, le nouvel Helsinki de la guerre froide 2.

Selon des sources de l’agence de presse russe, rapporte Andrea Muratore dans les colonnes du quotidien italien «Il Giornale/Inside Over», l’ordre du jour comprend certaines « questions difficiles », notamment les visas, les effectifs des ambassades et le travail des agences et institutions respectives à l’étranger. Cette réunion intervient au lendemain de l’échange russo-américain de détenus entre la basketteuse Britney Griner et le marchand d’armes Viktor Bout. Les États-Unis et la Russie se parlent, et le font dans un cadre qui, plus que jamais, devrait être qualifié d’équidistant.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan avait condamné l’invasion russe de l’Ukraine, a armé Kiev depuis (et avant) l’attaque du 24 février, et n’a pas renié son appartenance à l’OTAN. Dans le même temps, cependant, il remonte la barre et met à mal la cohésion de l’Alliance atlantique en faisant valoir, à voix haute, à quel point « il est difficile pour la Turquie d’envisager un avenir avec des pays qui soutiennent secrètement le terrorisme », faisant directement référence au soutien américain aux Kurdes syriens de l’organisation YPG et à la querelle sur l’adhésion de la Suède et de la Finlande. Plus Erdogan se montre ambigu, plus, paradoxalement, son impartialité émerge. Son rôle est reconnu de tous : même Volodymyr Zelensky rappelle qu’il est nécessaire de reconnaître « le rôle de leadership de la Turquie » en tant que nation capable de relancer les accords sur l’approvisionnement en céréales, car « la sécurité alimentaire est l’un des éléments de notre formule de paix » et seule l’approbation d’Ankara, gardienne du détroit des Dardanelles, peut permettre au blé ukrainien de mettre le cap sur les marchés mondiaux.

Pour Poutine, « un accord sur l’Ukraine est inévitable ». Et la Russie et les États-Unis espèrent trouver un jour leur Saint Graal diplomatique. Cette énième rencontre diplomatique sur le théâtre d’Istanbul intervient quelques jours seulement après le face-à-face entre le chef de la CIA William Burns et le directeur du SVR, le service de Renseignement extérieur russe, Sergey Naryskhin, qui s’est tenu sur le sol turc. À ce moment-là, des garanties de sécurité et des nouvelles lignes rouges entre les deux puissances ont été définies. Ainsi que la volonté de Washington de maintenir un fil conducteur avec Moscou malgré le récent black-out diplomatique. Et Istanbul, qui accueille ces jours-ci le « TRT World Forum », constitue le pont idéal. Car la Turquie, et Erdogan l’a rappelé lors du forum dans l’ancienne capitale ottomane, est au centre de « 60% des crises mondiales », et veut jouer un rôle d’acteur dynamique.

La Turquie se taille une fonction inédite de «catalyseur» diplomatique en offrant ses structures et son soutien en matière de renseignement aux conversations entre alliés américains et partenaires russes. A l’approche du centenaire de la République, Erdogan joue sur toutes les tables. Il fait monter les enchères avec Washington, allant jusqu’à accuser les États-Unis d’un prétendu rôle moral dans les récents attentats de Beyoglu, mais exige en même temps que la Russie restitue tous les territoires occupés à l’Ukraine. Il se raccommode avec Israël et commence à s’ouvrir à l’expédition de gaz en Méditerranée, mais ne manque pas de négocier avec Vladimir Poutine pour augmenter les approvisionnements via TurkStream. « La création d’un hub gazier en Turquie pourrait faire d’Ankara un acteur puissant sur les marchés gaziers internationaux et ouvrir ainsi la possibilité de vendre du gaz russe à l’Europe par le biais d’un intermédiaire », a souligné le New York Times à propos de cette décision. Pendant ce temps, Erdogan tire à vue en Syrie en frappant les Kurdes, conscient qu’il peut le faire car il est un leader central sur la scène mondiale.

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Du point de vue de Washington et de Moscou, il existe une volonté commune de valoriser Erdogan, et de lui faire des clins d’œil pour ne pas perdre son soutien et son rôle : à l’avenir, la Turquie, une nation directement impliquée dans le quadrant de la mer Noire, pourrait être l’acteur cardinal afin de guider une médiation et surtout un pays capable d’agir comme une plateforme de compensation entre la Russie, l’Ukraine et l’Occident. Dans le même temps, nous sommes certains qu’en raison de sa proximité avec divers scénarios de crise, la ville turque la plus importante de Turquie constitue un carrefour pour les activités de renseignement qui rendent substantielle la quantité d’informations circulant dans ses salons, des consulats aux institutions commerciales. Un peu comme Helsinki pendant la guerre froide, un peu comme Lisbonne lors de la Seconde Guerre mondiale : Istanbul est le nouveau port franc des négociations. Et tant Moscou que Washington se sentent assurés et en sécurité de le choisir comme territoire neutre à leur égard. Une victoire importante pour Erdogan, aussi cynique qu’indispensable aux négociations dans les dossiers mondiaux les plus importants. Sur lesquels la Turquie montre sa présence.

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