France-Liban: Interview (exclusive «les dernières nouvelles») avec le Sénateur Xavier Iacovelli, Vice-président du groupe d’amitié au Sénat

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(Rome, 12 mars 2022). Dans cette interview, Monsieur Xavier Iacovelli, Sénateur français des Hauts-de-Seine, Vice-président du groupe LREM au Sénat et vice-président du groupe d’amitié France-Liban au Sénat, revient sur son évaluation de la situation au Liban et les efforts de la France en faveur du Pays du Cèdre. Pour des raisons liées à son agenda très chargé, à ses déplacements et aux restrictions sanitaires, il était impossible de le rencontrer immédiatement après son voyage au Liban, en juillet 2021. Mais vaut mieux tard que jamais, l’interview a été accordée en exclusivité au média libanais «les dernières nouvelles, آخر الأخبار».

1- Monsieur le Sénateur Xavier Iacovelli, vous avez fait partie de la délégation qui s’est rendue au Liban en juillet 2021. Ce déplacement avait été initialement prévu en janvier 2021 avant d’être reporté. Officiellement, ce report était dû à la pandémie du Covid-19 mais certaines sources évoquaient des divergences de points de vue entre les deux pays à la suite des deux visites du président Macron au Liban au lendemain de l’explosion du port de Beyrouth d’août 2020. Qu’en est-il réellement ?

Qu’il y ait des divergences entre nos deux gouvernements sur la gestion de la sortie de crise du Liban, est tout à fait audible, même si l’amitié séculaire entre nos pays est à mon sens indestructible. Mais cela n’est pas la raison du report de notre voyage à Beyrouth.
En effet notre déplacement prévu en janvier 2021, correspondait à 2 jours prêts à la mise en place du confinement assez strict décidé par le gouvernement libanais. Plusieurs de nos interlocuteurs politiques et institutionnels, avaient donc, naturellement annulés leurs entrevues avec notre délégation, ce qui à conduit au report de notre déplacement. Pour autant, le lien a toujours été maintenu à travers les entretiens en Visio durant les semaines qui ont suivi.

2- Revenons aux visites du président Macron et à son initiative pour le Liban, qui se voulait salutaire. Dès son lancement, nous avons lu ici ou là que l’initiative française était condamnée à l’échec. Ce qui fut confirmé sur le terrain avec les conditions posées par le Hezbollah. Que pouvez-vous nous en dire à ce sujet 

Je rappelle, que le Président Macron a été le premier dirigeant étranger à se rendre à Beyrouth, à envoyer des moyens humains militaires et d’assistance et de débloquer une aide d’urgence pour les Libanais. Pourquoi cette intervention rapide, simplement par ce que l’histoire qui lie les peuples Français et Libanais est tellement forte, qu’il paraissait naturel que la France soit au rendez-vous. C’est ce que le Président Macron a confirmé avec sa présence aux côtés non pas du gouvernement Libanais mais de la population touchée par cette explosion. Que certains, comme le Hezbollah, aient souhaité l’échec du plan proposé par le Président Macron, est une évidence qu’on ne peut nier.

3- Pour de nombreux analystes, l’initiative française a échoué car Paris a cherché à séduire l’Iran à travers le Hezbollah. Or, les mêmes analystes préviennent que l’Iran drague l’Europe mais préfère traiter avec les Etats-Unis. La conclusion d’un accord à Vienne donnera à l’Iran la levée des sanctions, le renforcement de son influence régionale y compris au Liban, sans garantir des privilèges à l’Europe. Y a-t-il un plan B pour sauvegarder les intérêts français au Liban dans ce contexte ?

La question n’est pas de savoir si nous devons préserver les intérêts français au Liban, mais si nous acceptons aujourd’hui qu’une branche armée, militaire, une sorte de milice, puisse être liée avec un parti politique qui a reçu des suffrages des Libanais. La question est de savoir si les Libanais souhaitent maintenir l’unité et la souveraineté du Pays, ou bien cette partition du Liban sous influence de certains acteurs de la région. A titre personnel, je pense qu’il faut sortir de cette influence militaire, désarmer les milices et maintenir l’unité du Liban.

4- Lors de votre déplacement, vous avez rencontré plusieurs responsables libanais et des personnalités politiques de premier plan. Quelle est votre vision du Liban après avoir recueilli les visions des uns et des autres ?

De mon point de vue de responsable politique d’un pays comme la France, laïc, où l’unité et l’indivisibilité de notre pays sont inscrites dans notre texte fondateur, il est vrai que le système Libanais, de répartition confessionnelle du pouvoir, est assez complexe et un peu vu comme un ovni.
En même temps ce système a permis de maintenir l’unité du pays et surtout le respect de toutes les communautés, même minoritaires. Cependant, il bloque l’alternance démocratique et politique suite aux élections.
Ensuite concernant mon ressenti suite à ma visite, les séquelles et les rancœurs de la guerre civile sont encore omniprésentes, et rendent difficile le travail des différents partis pour l’intérêt des Libanais qui doit malgré tout être la priorité numéro un.

5- Pendant votre séjour, vous avez dû constater la misère et la détresse des Libanais, qui survivent grâce aux aides de la « diaspora » et des associations. Les pays étrangers refusent en effet d’envoyer des aides à travers les institutions libanaises gangrénées par la corruption. Y a-t-il des pressions françaises exercées sur le gouvernement libanais pour fluidifier ces aides ? Car le port et l’aéroport sont contrôlés par le Hezbollah qui filtre les aides et empêche par exemple l’entrée des médicaments. On parle de plus en plus d’une politique méthodique d’«iranisation» du Liban et de sa transformation en marché des produits iraniens. Cette «iranisation» sera sans doute dopée par la signature imminente d’un accord sur le nucléaire iranien à Vienne. Comment la France peut-elle réagir face à cette situation pour sauvegarder le peu d’influence qu’elle a encore au Pays du Cèdre ?

J’ai effectivement été très touché par la misère et la détresse des Libanais pour suite à cette crise économique, politique et sociale du Pays du Cèdre.
La France par l’intermédiaire de la conférence «CEDRE» a exigé la constitution d’un gouvernement afin de débloquer les premières aides financières au Pays. Ce gouvernement à tardé à être constitué, mais il y est parvenu. Mais il ne suffit pas d’avoir un gouvernement, mais bien réformer en profondeur le pays pour lutter contre les dérives de plusieurs années et faire en sorte que le pays puisse rebondir économiquement.
C’est pour cette raison que le France a toujours été au rendez-vous en soutien aux populations par l’intermédiaire des ONG en plus et au-delà des aides institutionnelles fournies au pays. Moi ce qui m’intéresse dans cette histoire n’est pas de savoir si la France ou l’IRAN auront une influence sur le pays, mais de savoir si les Libanais reprendront leur destin en mains. C’est pour cette raison que je crois au poids du peuple souverain par l’intermédiaire des élections de mai prochain.

6- Que pensez-vous du blocage des institutions et plus particulièrement de la Justice, pour l’empêcher de faire la lumière sur l’explosion du port de Beyrouth et que peut faire la France pour rendre justice aux victimes ?

Habitués à l’Etat de droit, en France et dans les pays démocratiques, ces pratiques nous paraissent d’un autre monde. Mais je reste persuadé que la justice doit passer. La France plaide pour que la lumière soit faite sur cette terrible catastrophe et a envoyé des enquêteurs pour seconder les autorités libanaises. J’ose espérer, comme beaucoup de libanais, que les élections législatives puissent déboucher sur un Parlement fort et un gouvernement de majorité afin de mettre un terme à ces blocages. C’est aux électeurs libanais d’en décider.

7- La guerre en Ukraine occulte la détresse du Liban et divise les Libanais entre pro-Russie et pro-Ukraine. Les premiers considèrent que Vladimir Poutine corrige une erreur de l’Histoire ; les seconds estiment que l’Ukraine, comme le Liban, est victime de la même doctrine portée par « l’axe » (Russie, Syrie, Iran, Hezbollah). Or, les Libanais craignent que leur pays ne soit relégué en dernière place des préoccupations occidentales, focalisées sur l’Ukraine et les conséquences de ce conflit, et qu’il soit ainsi livré à « l’axe » (Cliquer ici / Leggi anche). Ne pensez-vous pas qu’il serait judicieux de « tenir les deux fronts » simultanément ?

La terrible guerre et l’invasion de l’Ukraine par la Russie est un bouleversement pour le continent européen, mais bien au-delà, car les répercutions économiques touchent toute la planète. Que dans la presse internationale, l’Ukraine ait pris le dessus, nous en sommes conscients, mais le Liban ne peut pas être oublié.
C’est pour cette raison que le travail de la diaspora, le soutien que les parlementaires et les groupes d’amitié, que nous menons, est indispensable pour continuer à maintenir ce travail de soutien au peuple libanais et à la rechercher d’une solution viable démocratiquement pour le Liban. C’est l’enjeu aussi des futures élections au Liban et du lien que nous entretenons avec les institutions.

8- La crise ukrainienne a prouvé que l’Occident peut agir et imposer des sanctions en un temps record : geler les avoirs de personnalités russes, sortir les banques russes du système SWIFT, suspendre Visa et Mastercard… Or, depuis l’éclatement de la révolution libanaise le 17 octobre 2019, les Libanais réclament la restitution de leur épargne. Ils accusent leurs dirigeants d’avoir placé leurs fortunes en Europe. Messieurs Macron et Le Drian ont souvent menacé les dirigeants libanais de sanctions, sans jamais passer à l’acte, prétextant la bureaucratie européenne. Pour les Libanais, ces tergiversations françaises relèvent de la complicité ou de l’incompétence et les sanctions contre la Russie viennent balayer tous les arguments sur la difficulté d’imposer des sanctions. Jusqu’à quand la France observera-t-elle cette complaisance à l’égard des corrompus, qui souvent portent sa nationalité ?

D’abord, il faut comparer ce qui est comparable. La guerre en Ukraine est une agression menée par un pays étranger contre un pays souverain, alors qu’au Liban, il s’agit de conflits internes qui n’entrainent pas les mêmes conséquences. J’admets que la majorité des Libanais souhaite mettre un terme à la corruption et à l’évasion des capitaux et espère récupérer les fonds transférés à l’étranger. Mais je vous renvoie à une réponse précédente relative au blocage des institutions. Avec le changement espéré aux législatives, et la libération de la Justice, celle-ci pourrait mieux lutter contre la corruption et assainir les finances publiques, voire œuvrer à récupérer les fonds transférés. Enfin, je rappelle que les décisions européennes se prennent par consensus. La gravité de la situation en Ukraine a amené tous les pays européens à trouver rapidement ce consensus, ce qui n’est pas aussi évident pour le Liban.

9- Le Liban s’apprête à organiser des élections législatives, en mai prochain. Un scrutin déterminant pour l’avenir du pays et qui, de ce fait, risque d’être reporté. Quelle serait la position de Paris si, pour une raison ou une autre, le scrutin venait à être ajourné ?

Le président Macron et la diplomatie française, ont toujours affirmé et défendu que les élections législatives devaient se tenir dans les temps, c’est-à-dire en mai prochain. C’est aussi la condition du rebond économique du Liban et des aides que la communauté internationale continuera à apporter.
Donc pour répondre à votre question, et sans être le porte-parole de la diplomatie Française, je pense que la France ne pourra pas accepter un ajournement de cette élection majeure.

10- Si les élections se tiennent à la date prévue, elles devraient déboucher sur un Parlement émietté. Les Souverainistes espèrent se renforcer alors que le Hezbollah et ses alliés jurent que cela ne changerait rien. Quelles seraient les réactions de la France si tel était le cas ? Soutiendra-t-elle les souverainistes ? Dans ce cas, peut-on envisager l’application des résolutions onusiennes exigeant le désarmement des milices ?

Il y a plusieurs questions auxquelles je vais tenter de vous donner ma vision. D’une part sur l’émiettement du futur parlement, en tant que démocrate, je fais confiance aux choix souverains des peuples (A lire sur ce sujet). Et que lorsque nous sommes dans une démocratie, une élection n’est jamais écrite d’avance.
Il ne peut y avoir d’ingérence de la France dans le choix du peuple souverain. Notamment car la France soutien le Liban et croit en la démocratie. Ce qui est sûr c’est que la France ne peut pas non plus soutenir des groupes armés et des milices.
L’important est que le prochain parlement et le gouvernement qui en découlera puissent engager les réformes nécessaires pour le Liban et les Libanais. La France sera toujours aux cotés des réformistes pour l’intérêt du peuple.

11- Comment évaluez-vous les tractations liées à la délimitation des frontières maritimes entre le Liban et Israël, menées par les Etats-Unis ? De plus en plus de Libanais accusent le président Michel Aoun d’avoir cédé à Israël plus de 1400 km² des eaux territoriales en contrepartie de la levée des sanctions américaines sur son gendre Gebran Bassil. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, beaucoup d’encre a coulé autour de cette question sans que la vérité n’y trouve sa place. A en croire les médias, le scénario est plausible mais très regrettable. Mais je trouve aussi regrettable le silence qui a accompagné la cession de centaines de kilomètres carrés des eaux territoriales à la Syrie, dans le nord. La question n’avait pas soulevé la même polémique.

12- Un dernier mot, Monsieur le Sénateur, sur les élections présidentielles en France : sont nombreux les franco-libanais déçus de l’action officielle (et non celle du peuple français) depuis l’ère post-Jacques Chirac. Qu’en dites-vous sur ce sujet qui intéresse les binationaux ?

On ne peut revenir sur les actions passées, mais nous pouvons intervenir sur l’avenir. La France aime le Liban, les Français sont frères avec les Libanais et le Président Macron aime et aidera toujours le Liban.
Le Président de la République a démontré son volontarisme et sa capacité à ne jamais refuser un obstacle.
Emmanuel Macron a fait la preuve de sa volonté d’être aux côtés du peuple Libanais et d’engager la communauté internationale dans le soutien économique, financier et humanitaire au Liban.
La France ne peut pas faire à la place du Liban, mais la France peut inciter les Libanais, au Liban et à travers le monde à se saisir de ce droit de vote pour les prochaines élections, de se saisir de leur destin et d’engager les réformes nécessaires.
La France par l’intermédiaire du Président Macron sera toujours en soutien de l’émancipation des peuples et de tous ceux qui veulent le progrès démocratique pour le Liban.

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