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Liban: la démission du ministre de l’Information attise la suspicion du Hezbollah, qui redoute l’isolement et un retournement d’Assad

(Montréal, Rome, Paris, Beyrouth, 03 décembre 2021). Après avoir refusé de démissionner pendant plusieurs semaines, le ministre de l’Information Georges Kordahi vient de quitter le gouvernement Mikati et d’arrêter la « défiance » des monarchies du Golfe et particulièrement de l’Arabie saoudite, pays qu’il avait critiqués pour leur intervention au Yémen. Déjà dénoncé par une majorité de Libanais qui voyait en lui « un double agent » au sein du gouvernement, car il a été imposé par Bachar al-Assad pour appliquer la politique du Hezbollah. Son refus de démissionner depuis la diffusion de l’émission d’Al-Jazeera dans laquelle il a vivement critiqué l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, provoquant une crise diplomatique, était en fait dicté par le Hezbollah pour isoler le Liban de son environnement arabe, mais aussi par son mentor Sleiman Frangié, allié fidèle d’Assad, pour servir leur propre agenda politique.

Officiellement, Kordahi affirme avoir démissionné « pour faciliter le rétablissement des relations entre le Liban et l’Arabie à la veille de la visite du président français Emmanuel Macron à Riyad, et pour relancer l’initiative française pour le Liban ». Or, plusieurs sources libanaises soulignent que l’initiative française est déjà « morte et enterrée », puisque Paris s’est lourdement trompé en persistant à négocier le sauvetage du pays du Cèdre avec ceux qui l’ont coulé, et rappellent que « tant que Macron ne change pas de logiciel, tant qu’il ne rompt pas avec les méthodes de ses prédécesseurs et tant qu’il garde les mêmes interlocuteurs libanais, il ne peut pas prétendre réussir là où ses aînés ont échoué ».

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Un ancien officier français converti dans le civil semble confirmer cette lecture, avec des mots plus cruels : « Le Hezbollah ne change pas de stratégie. Il a été créé dans un objectif bien précis et poursuit sa réalisation depuis 1983. Il a de ce fait côtoyé presque deux mandats de François Mitterrand, deux mandats de Jacques Chirac, celui de Nicolas Sarkozy et de François Hollande et presque la totalité de celui d’Emmanuel Macron. Il a réussi à les berner tous, non pas parce qu’il est plus puissant que la France, mais parce que les Français n’ont pas voulu ou su le traiter comme ils auraient dû », en mettant l’accent sur le fait que le « Hezbollah n’est plus aujourd’hui un mouvement national de résistance, mais une organisation internationale terroriste et classée en tant que tel par plusieurs pays ».

Ce n’est donc pas un hasard si Kordahi a choisi ce 3 décembre pour démissionner. Il veut troquer sa démission à l’Arabie saoudite, aux Emirats arabes unis et à la France pour améliorer les chances de ses parrains Assad et Frangié. Le premier veut une réhabilitation internationale et le second veut une caution arabe et française à sa candidature à la présidentielle de 2022.

Plusieurs interlocuteurs soulignent à cet égard que la démission de Kordahi suscite la grande suspicion du Hezbollah qui craint l’isolement, surtout si les pays arabes succombent aux promesses d’Assad de rompre avec l’Iran et de réduire sa présence militaire des milices pro-iraniennes dont le Hezbollah dans son pays, en contrepartie des financements arabes de la reconstruction de la Syrie et de la réhabilitation du régime lors du prochain sommet de la Ligue arabe à Alger, prévu en mars 2022.

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Selon nos sources, la plupart des pays arabes fantasment sur un hypothétique retournement d’Assad mais oublient que depuis l’arrivée de Hafez al-Assad au pouvoir à Damas, dans les années 1970, la Syrie a toujours formulé des promesses aux Arabes mais ne les a jamais tenues. Au contraire, elle a extorqué des fonds arabes tout en renforçant son alliance stratégique avec la République islamique. Aujourd’hui, l’étendue de l’«iranisation» d’une Syrie de plus en plus «chiitisée» empêche Bachar al-Assad de s’extraire du giron iranien. Le boucher de Damas le sait : une telle tentative serait suicidaire pour lui. La tentative d’attentat contre le premier ministre irakien Moustapha Al-Kadhemi par drones piégés est là pour le lui rappeler.

A l’approche des négociations nucléaires de Viennes, ouvertes cette semaine, le Hezbollah avait accentué la pression sur le Liban, devenu une « boite aux lettres » entre l’Occident et l’Iran, le théâtre de leur lutte d’influence, et l’objet de toutes leurs tractations. Aussi, craignant un retournement d’Assad, le Parti de Dieu redoutait que l’explosion du port de Beyrouth ne lui soit définitivement attribuée. D’où son acharnement contre le juge d’instruction et ses tentatives d’intimider les souverainistes. Après l’échec de sa razzia contre Aïn Remaneh-Tayouneh (14 octobre dernier), le Hezbollah empêche le gouvernement Mikati de se réunir, empêchant Kordahi de démissionner, et réclamant le limogeage du juge Tarek Bitar. Certains redoutent aujourd’hui que la démission de Kordahi ne prélude l’éviction de Bitar et l’enterrement définitive de l’enquête sur l’explosion du port.

Aussi, le Hezbollah menace de torpiller les élections législatives du printemps prochain, de peur de perdre la majorité parlementaire actuelle. Il cherche par tous moyens à annuler ou reporter le scrutin afin que le Parlement actuel acquis au Hezbollah puisse élire le candidat du Hezbollah pour succéder à Michel Aoun. Pour ce faire, le parti de Dieu a déployé le 14 novembre dernier des unités armées sur les sommets du Mont-Liban (Sannine, Ouyoune As-Simane, Akoura).

Un officier à la retraite de l’armée libanaise nous a fait part de son inquiétude quant à ce déploiement : « Le Hezbollah redoute l’isolement et cherche à protéger ses bases-arrières et ses lignes logistiques. En occupant les sommets du Mont-Liban, à plus de 2.450 m. d’altitude, il dispose de positions stratégiques importantes qui lui permettent de contrôler toute la Méditerranée orientale et de menacer les marines israélienne et occidentale qui y naviguent. En installant des stations radars et des missiles sol-air sur les sommets, il entend lutter contre les incursions aériennes israéliennes au Liban et leurs raids en Syrie… ». Notre interlocuteur ajoute que « le Hezbollah a toujours œuvré de façon sournoise. S’il avance aujourd’hui à visage découvert et d’une façon décomplexée c’est qu’il craint les retombées de deux événements majeurs : il redoute de faire les frais d’un éventuel accord entre l’Iran et l’Occident, d’une part, et d’être isolé par un hypothétique retournement d’Assad, de l’autre. La démission de Kordahi, aujourd’hui, ne doit pas le rassurer », poursuit l’officier.

Notre interlocuteur met aussi en garde contre une réédition de l’expérience d’Al- Kadhimi au Liban contre des responsables souverainistes. Seraient menacés le Patriarche des maronites Monseigneur Raï et le Leader des FL Samir Geagea qui a déjà échappé à une tentative d’assassinat le 4 avril 2013 et dont le siège à Meraab, a déjà été survolé par des drones, potentiellement envoyés par le Hezbollah.

Et pour conclure, l’ancien officier rappelle que « l’armée syrienne occupait beaucoup plus de positions stratégiques au Liban que le Hezbollah et a fini par abandonner. Les souverainistes, et à leur tête les Forces Libanaises, n’ont pas encore dit leur dernier mot. La population peut réagir sur les sommets comme elle l’avait fait à Aïn-Remaneh et Tayouneh en octobre, et comme elle l’avait fait entre 1975 et 1990, pour empêcher le Hezbollah de parachever son contrôle du Liban. Aussi, le commandant en chef de l’armée libanaise, le général Joseph Aoun, soupçonné d’avoir des ambitions présidentielles, pourrait réagir pour empêcher le Hezbollah de contrôler le terrain pour imposer son diktat ».

Même de circonstances, une alliance entre l’armée libanaise et les souverainistes serait naturelle et très souhaitée. Car la mission de la première est de défendre la souveraineté du Liban, et l’objectif des seconds est de la recouvrer. Il n’y aurait donc aucune incompatibilité du moment où les anti-Liban sont autorisés à démissionner, chose très souhaitée et très naturelle aussi.

Sanaa T.

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