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Le Traité du Quirinal et les pattes du Dragon sur l’Europe

(Rome, 25 novembre 2021). Rome et Paris devraient créer une table ad hoc pour définir les domaines de coopération et les zones de concurrence avec la Chine

Aujourd’hui et demain, le président français Emmanuel Macron sera en visite officielle à Rome pour signer l’accord bilatéral de coopération renforcée entre l’Italie et la France, dit traité du Quirinal, avec le Premier ministre Mario Draghi.

Pour Macron, l’objectif est assez clair. Au cours de la dernière décennie, l’axe traditionnel Paris-Berlin a vu la France s’affaiblir et l’Allemagne se renforcer, notamment sur le plan économique et financier. L’établissement d’une relation privilégiée avec l’Italie peut permettre à la France d’agir à plusieurs niveaux : ainsi elle contrebalance le poids de Berlin et renforce le poids de négociation de Paris dans l’arène politique de l’Union européenne et de la zone euro, comme l’exprime Marco Mayer dans son décryptage dans le quotidien «Formiche».

Pendant des décennies, l’Italie a beaucoup souffert de la diarchie franco-allemande. Pour notre pays aussi, l’avantage (du moins en théorie) est évident. Nous pouvons disposer d’un canal supplémentaire pour promouvoir nos intérêts et nos idées. Et Marco Mayer de dire « en théorie », car la politique italienne parvient rarement à élaborer une vision unifiée de ses propres intérêts nationaux et de ses propositions politiques au niveau européen et international.

Avoir les idées claires et agir de manière compacte est la condition sine qua non pour s’affirmer et ne pas subir passivement les positions des autres partenaires européens, la France en premier lieu. C’est le point essentiel. Quoi qu’il en soit (afin de ne pas laisser Paris dans une position privilégiée) la diplomatie italienne devrait également s’efforcer pour parvenir à un accord similaire avec Berlin dans l’intérêt mutuel.

Mais comment ça se passe en France ? Malheureusement, des nouvelles alarmantes arrivent ces jours-ci concernant la pandémie ; la situation économique est bien meilleure. Dans un récent rapport, l’OCDE a souligné la bonne reprise de la France en termes d’évolution du produit intérieur brut en 2021 et un résultat similaire est attendu pour 2022 (si le Covid-19 le permet). Toutefois, l’OCDE met toujours en évidence deux risques qui pourraient créer des problèmes majeurs pour l’économie française : l’excès (essentiellement insoutenable) des dépenses publiques, les plus élevés d’Europe ; retards et incertitudes stratégiques sur le front numérique.

A quelques mois des élections présidentielles, il n’est pas raisonnable de s’attendre à des évolutions significatives des dépenses publiques en France, mais sur le second volet (la politique numérique), l’Italie devrait braquer les projecteurs sur des questions de nature stratégique qui intéressent aussi, comme nous le verrons, l’opinion publique française.

Dans les sociétés numériques dans lesquelles nous vivons, les infrastructures technologiques sont fondamentales. Depuis plus d’un mois, Marseille (en plus d’être le deuxième port de Méditerranée) est devenue la gare d’arrivée en Europe des nouvelles «boucles» câblées qui relieront à partir de 2022 la Chine, l’Asie, l’Afrique, la Méditerranée et l’Europe.

Le programme s’appelle Peace et a été lancé par deux géants chinois du secteur numérique, Hengtong et Pccw. Le 19 octobre, à l’occasion de l’achèvement de la gare, Jean-Luc Vuillemin, directeur général adjoint d’Orange, a souligné l’importance stratégique de l’ouvrage, en insistant notamment sur son importance dans les relations avec l’Afrique et l’Asie. Entre la Chine et la France, la liaison aura des nœuds avec le Pakistan, l’Iran, la Tanzanie, la Somalie, le Kenya, l’Éthiopie, Djibuti et l’Égypte.

La doctrine militaire et la discipline des relations internationales définissent les infrastructures dont nous parlons comme des dimensions multi-domaines. Un rappelle aux lecteurs que la définition du cyberespace comme cinquième domaine en vogue jusqu’à récemment est dépassée.

Mais quelles en sont les implications stratégiques ? Marseille est devenue une plaque tournante majeure de deux segments de la Route de la Soie : le numérique et le maritime. Il ne faut pas surestimer l’importance du choix effectué, mais il a certainement une signification géopolitique.

De nombreuses questions se posent. Est-ce le type d’autonomie stratégique pour l’Europe que cherche la France ? Quel est l’impact sur les infrastructures numériques sous-marines (d’intérêt national pour l’Italie) gérées par Sparkle, une société du groupe Tim, dont les Français de Vivendi détiennent également la plus grande part ? Cette collaboration sino-française concilie-t-elle avec la stratégie maritime et de cybernétique récemment adoptée par l’OTAN ?

En France, les derniers sondages indiquent que la perception qu’ont les citoyens de la Chine s’est considérablement dégradée (les réponses négatives sont passées de 55 % en 2001 à 70 % en 2020). Les inquiétudes concernant le rôle international de la Chine ont également augmenté, passant de 48% en 2018 à 67%.

Il est largement admis que les opinions des Français envers la Chine se sont détériorées au cours des trois dernières années également en lien avec la pandémie, poursuit Marco Mayer. Il n’y a pas eu de réaction officielle du gouvernement français sur les crises de Hong Kong et du Xinjiang, mais certains députés à l’Assemblée nationale et certains députés européens français se sont mobilisés pour lutter contre la violation des libertés civiles et des droits fondamentaux, attirant une attention considérable dans les médias et dans l’opinion publique française. Il est possible que la position à adopter vis-à-vis de la Chine soit à l’ordre du jour des élections présidentielles françaises prévues au printemps prochain.

C’est en tout cas une question que la mise en œuvre du traité bilatéral, entre la France et l’Italie, ne peut éviter. Parmi les nombreux groupes de travail qui se réuniront dans les années à venir à Rome et à Paris, il serait souhaitable d’en créer un ad hoc afin de définir les domaines de coopération et les domaines de concurrence avec la Chine. Pour préserver la liberté et l’Etat de droit, la coopération entre toutes les démocraties du monde est nécessaire. L’Italie et la France peuvent montrer l’exemple.

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