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Liban: un nouveau gouvernement pour un pays dans le coma depuis un an

(Rome, 11 septembre 2021). Le gouvernement Mikati semble être un faible espoir de voir le pays renaître. Mais pour cela, il lui faudrait non seulement résoudre le problème de loyauté de ses ministres envers le Premier ministre, mais aussi démontrer qu’il peut reprendre le contrôle de la politique de défense nationale, désormais aux mains d’un parti, à savoir le Hezbollah. Possible ?

Après une crise gouvernementale d’un an, l’année qui nous sépare de l’explosion du port de Beyrouth et de l’effondrement de l’économie nationale qui a détruit la classe moyenne désormais inexistante, le Liban a un nouveau gouvernement.

Alors, est-il temps de pousser un soupir de soulagement pour les Libanais ? Partiellement oui. Selon l’analyse de Riccardo Cristiano sur le quotidien «Formiche», au moins, ils pourront désormais négocier leur salut avec le Fonds monétaire international (FMI) car cela n’était pas possible sans un gouvernement. Mais ceci étant le cas, pourquoi ont-ils perdu un an de temps, et se sont même retrouvés sans essence, avec des supermarchés vides, des écoles fermées, des maisons sans électricité ?

Le Premier ministre, le milliardaire Najib Mikati, l’a clairement fait savoir dès la formation de son exécutif en difficulté : « aucun parti n’a de « tiers bloquant »», a-t-il déclaré alors que les partis ont finalement réussi à se mettre d’accord. Ainsi, le premier message adressé à un Liban affamé, réduit à la peau et aux os, avec des patients sous dialyse qui ont sérieusement risqué de mourir parce que même la dialyse ne pouvait plus être effectuée au Liban, était le suivant : aucun parti n’a le droit de veto ni le pouvoir de saper le gouvernement tout seul, s’il le voulait. Et le premier ministre d’ajouter qu’il compte sur les deux tiers du gouvernement qui veulent reconstruire le pays avec lui. Un tiers du gouvernement n’offre donc pas cette certitude. Est-ce Possible ?

Traduite pour ceux d’entre nous, qui ne sommes pas libanais, la scène finale de cette crise gouvernementale a révélé au monde entier ce qui s’est passé l’année dernière au Liban. Lorsque le 4 août 2020, une incroyable explosion dont on ne sait rien à ce jour, a pulvérisé le port de Beyrouth et a dévasté un grand nombre de résidences privées, le gouvernement est entré en crise. Mais il ne restait plus longtemps pour l’élection du Président de la République, qui, selon la loi, doit être un chrétien maronite, tout comme le premier ministre qui doit être un musulman sunnite. Ainsi, le président Aoun a alors entamé un épuisant bras de fer avec les premiers ministres désignés : il voulait s’emparer du « tiers bloquant », autrement dit, qu’il voulait obtenir un certain nombre de ministres, un tiers plus un, qui, selon la constitution libanaise, peut bloquer et faire tomber le gouvernement.

Pourquoi ? La théorie partagée par de nombreux observateurs et journaux est que le général Aoun souhaite que son gendre, l’ancien ministre des Affaires étrangères et président du parti fondé par Aoun, lui succède à la présidence. La meilleure arme pour s’assurer que personne ne joue des tours est la suivante : l’élection du gendre, Gebran Bassil, ou le vide institutionnel.

Pour s’en assurer, les hommes du camp présidentiel ont clairement indiqué qu’ils voulaient désigner leurs propres ministres, alors que comme cela arrive dans la plupart des pays du monde et aussi au Liban, cette tâche incombe au premier ministre en charge. Et ainsi, dans ce bras de fer autour du nom d’un seul ministre, le Liban s’est retrouvé dans le coma. En effet, le camp dit aouniste a eu huit ministres sur vingt-quatre à chaque tentative de formation de l’exécutif, soit un de moins que le fameux « tiers bloquant ». Le problème était que dans ces conditions, le Président de la République ne signait pas le décret pour la formation du gouvernement : « les siens » doivent être au nombre de neuf, et non huit ministres.

A l’heure actuelle, ajoute Riccardo Cristiano, le problème est-il vraiment résolu ? Le camp présidentiel a-t-il vraiment cédé ? Non. Il y a en fait deux ministres « chrétiens indépendants ». Que les autres soient des chrétiens dépendants ne surprend évidemment personne. Mais ces deux derniers sont certainement indépendants, autrement dit, des chrétiens qui ne font pas partie du camp du président Aoun mais ne faisant pas non plus parti des chrétiens alignés contre lui. C’est donc là que se joue le jeu qui intéresse la politique libanaise : sont-ils vraiment indépendants ? Il y a ceux qui disent que la bonne réponse se trouve quelque part au juste milieu, et que par conséquent, Mikati aurait raison de dire, personne ne possède le « tiers bloquant », ce qui signifie que le nombre des fidèles du président Aoun s’arrêterait à huit, le deuxième nom des deux « indépendants Chrétiens » serait également nécessaire pour le porter à neuf. Hypothèse concrète, disent d’autres, en étudiant les programmes et les sympathies des deux.

Lorsque les Libanais parlent de l’échec de leur classe politique, d’un pays qui n’a plus de politique, c’est de cela qu’ils parlent. Il faudrait évoquer cette année terrible, le silence sur les enquêtes sur le drame du port, la destitution des juges qui ont approché la vérité, les canons à eau tirés de plein fouet contre les proches des victimes ayant demandé « vérité », pour comprendre où le Liban en est arrivé. (Ndlr: A lire aussi sur le même sujet. Liban: explosion de Beyrouth. Human Rights Watch, des hauts responsables incriminés).
Le gouvernement Mikati semble être un faible espoir pour que le pays revienne à exister. Mais pour cela, il lui faudrait non seulement résoudre le problème de loyauté de ses ministres envers le Premier ministre, mais aussi démontrer qu’il peut reprendre le contrôle de la politique de défense nationale, désormais aux mains d’un parti, à savoir le Hezbollah. Cela, sera-t-il possible ?

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