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Comment la Turquie profite des affrontements à Jérusalem

(Rome, 11 mai 2021). « La Turquie fera tout ce qui est en son pouvoir pour mobiliser le monde entier, et en particulier le monde islamique, pour arrêter le terrorisme et l’occupation d’Israël ». Telles étaient les paroles prononcées par le président turc Recep Tayyip Erdogan lors de deux conversations téléphoniques avec son homologue palestinien, Abou Mazen, et le chef du Hamas, Ismail Haniyeh. « La Turquie continuera de soutenir la cause palestinienne, de se tenir aux côtés de ses frères palestiniens et de protéger la dignité de Jérusalem ».

Des déclarations très déterminées qui soulignent une fois de plus le désir d’Erdogan de s’ériger à la tête des musulmans fidèles dans le monde, comblant le vide laissé par les pays qui ont récemment normalisé leurs relations avec Israël, mettant de côté la question palestinienne non résolue.

L’équilibre de la Jordanie

En condamnant la violence des forces de l’ordre israéliennes contre les fidèles rassemblés à al-Aqsa, les Émirats arabes unis et Bahreïn ont utilisé des tons moins durs que par le passé. Les deux pays ont pointé du doigt des groupes d’extrême droite plutôt que l’Etat hébreu, dans une tentative de préserver les relations avec Israël et de tenir à distance le mécontentement de leur propre population. Des condamnations similaires sont également venues de l’Arabie saoudite, qui, bien qu’elle n’ait pas encore normalisé ses relations avec Israël, est de plus en plus proche de Tel-Aviv.

Calmes, par rapport au passé, sont également les tons utilisés par Abou Dhabi et Riyad pour critiquer l’expulsion des familles arabes du quartier de Sheik Jarrah. « L’Arabie saoudite rejette le plan et les mesures israéliens visant à expulser des dizaines de Palestiniens de leurs maisons à Jérusalem et à leur imposer la souveraineté israélienne », a déclaré le ministre saoudien des Affaires étrangères ces derniers jours. L’homologue émirati a exprimé des condamnations similaires et a rappelé Israël à ses responsabilités en vertu du droit international, adoptant une ligne nettement plus douce que celle de la Turquie.

Le seul autre pays de la région qui a attaqué l’Etat hébreu allant même jusqu’à qualifier les attaques contre les fidèles de Jérusalem de « barbares » était la Jordanie. Pour la monarchie hachémite, ce qui se passe sur le mont du Temple est particulièrement pertinent: Amman détient la garde des lieux sacrés pour les musulmans et les chrétiens dans la ville sainte, de sorte que la violence comme celle de ces derniers jours, a un plus grand poids pour la monarchie et pour l’opinion publique jordanienne. Amman doit également faire face à une forte présence palestinienne dans le pays, dont la révolte serait particulièrement déstabilisante pour une monarchie qui s’est récemment remise d’un coup d’État manqué.

Le plan d’Erdogan

La Jordanie est donc prise entre la nécessité de tenir en échec une opinion publique de plus en plus mécontente et l’impossibilité de rompre avec Israël. Dans la recherche de cet équilibre délicat, la monarchie doit également faire face à l’affirmation de la Turquie, qui peut compter sur une marge de manœuvre bien plus importante qu’Amman.

Erdogan est engagé depuis des mois dans un rapprochement tactique avec Israël dans le but principal de rejoindre le groupe EastMed pour la gestion des ressources en Méditerranée, mais ses dernières déclarations laissent entrevoir ses véritables priorités. Le président turc a préféré sacrifier les derniers efforts diplomatiques (avec Israël, ndlr) pour dénoncer le mécontentement palestinien et musulman en général, gagnant davantage de soutien auprès d’une population qui le considère déjà comme le dirigeant le plus aimé du Moyen-Orient.

Le président turc n’est pas novice en matière de déclarations verbales de ce type, et sait déjà que ses propos n’auront pas nécessairement d’effets dans tous les domaines des relations avec Israël. Les deux pays entretiennent des liens économiques forts depuis des années et très souvent, plus la distance entre Ankara et Tel Aviv est grande, plus le volume des échanges est important.

Les démarches d’Erdogan et les réactions de la Jordanie et des pays du Golfe montrent que la question palestinienne reste un facteur de déstabilisation et qu’elle ne peut pas être simplement mise de côté, comme cela a été tenté avec les accords abrahamiques. La cause palestinienne est encore profondément ressentie par l’opinion publique musulmane, mais seul Erdogan semble avoir vraiment compris son importance.

Futura D’Aprile. (Inside Over)

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