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Riyad et Téhéran se parlent: un accord est-il (im) possible ?

(Rome, 28 avril 2021). Des contacts en matière de renseignement entre l’Iran et l’Arabie saoudite sont en cours depuis quelques semaines. Y a-t-il une possibilité d’un accord ? Très difficile avec une série de questions ouvertes entre les deux puissances régionales du Moyen-Orient

Le premier à en parler a été le Financial Times du 9 avril: l’Arabie saoudite et l’Iran se parlent. Les délégations des services de renseignement respectifs se sont réunies à Bagdad: un face à face (pas si inhabituel, même si la rupture définitive des relations diplomatiques remonte à 2016) avec un scénario hybride.

D’une part, l’Irak est l’un des centres de diffusion de la dynamique régionale que les Pasdaran déplacent à travers les milices chiites comme opérations d’influence et de politique étrangère agressive ; de l’autre, se trouve un Premier ministre pragmatique qui entend se désengager du poids que représentent les milices, de l’influence iranienne, et qui entend dialoguer avec tout le monde.

Moustafa al-Kadhimi sait parfaitement que Riyad est un excellent partenaire (tant sur le plan économique que politique), entretient de bonnes relations avec le «factotum» du Royaume, Mohamed ben Salmane, et évalue le scénario en vue des élections d’octobre. Le premier ministre irakien ne peut pas perdre ne serait-ce qu’un pouce dans les relations internationales (et même d’abord, régionales) car le pays qu’il gouverne a besoin de beaucoup d’aide.

Riyad a ressenti le besoin de reprendre une sorte de contact avec Téhéran car il se sent isolé. Le charme «Trumpien» a été rompu à la Maison Blanche, celui qui faisait des Saoudiens les premiers alliés à être honorés par la visite du président américain, avec lesquels il avait noué des relations plus étroites que d’habitude.

Actuellement, avec Joe Biden, quelque chose a changé. Ces questions (l’affaire Khashoggi, les violations des droits, la guerre au Yémen) sont devenues des facteurs qui influencent la politique étrangère américaine et que Washington met en évidence avec Riyad. Dans une région qui recherche désormais le dialogue comme une forme tactique pour ne pas contrarier le géant américain, qui voit de plus en plus le Moyen-Orient comme un théâtre d’où se désengager, les Saoudiens ne pouvaient manquer de se rapprocher des Iraniens.

Selon Cinzia Bianco, experte de l’ECFR (Conseil européen pour les relations internationales, ndlr), le dialogue ne peut cependant être considéré comme constructif ou comme un cadre préliminaire à une nouvelle architecture de sécurité régionale. En effet « l’une des deux parties (à savoir l’Arabie saoudite) est clairement en échec ».

Bianco fait référence à la crise militaire au Yémen, un conflit qui dure depuis six ans (et ne semble pas aboutir à une paix), dans lequel Riyad est une partie ayant envoyé ses forces armées en vue de protéger Sanaa de l’assaut des rebelles houthis, un Mouvement séparatiste chiite, qui a lancé une attaque contre le gouvernement régulier en 2015 depuis le nord du Yémen.

Les Houthis sont militairement aidés par l’Iran. Actuellement, leur principale capacité militaire réside dans les drones (projets qui dérivent des modèles iraniens que les Pasdaran fournissent aux Yéménites), qui sont souvent utilisés pour frapper le territoire saoudien. Les attaques des Houthis se sont intensifiés à tel point que le trafic aérien au-dessus de Djeddah a été récemment bloqué, par précaution.

Récemment, le chef du CentCom a longuement parlé de la menace produite par les drones (et missiles) iraniens, tandis qu’en septembre 2019 une attaque en provenance du Yémen (probablement avec la participation du Pasdaran) a causé d’énormes dégâts aux installations de la compagnie énergétique saoudienne Aramco à Abqaiq et Khurais.

À cette occasion, Riyad et Téhéran ont entamé des contacts au sujet du renseignement. L’Arabie saoudite a choisi de reprendre partiellement les contacts car elle a évalué l’ampleur de la menace qui l’attendait. Aujourd’hui encore, « nous sommes confrontés à une victoire tactique de l’Iran, qui exploite sa propre projection géopolitique régionale pour créer un avantage sur son rival », explique Bianco.

Riyad considère la recomposition du JCPOA comme inévitable, avec le retour des États-Unis dans le cadre de l’accord nucléaire avec l’Iran; il ressent la pression pro-iranienne du Yémen (à laquelle est lié, par exemple, l’accord sur les patriotes grecs qui seront déployés en territoire saoudien); il s’insère dans un cadre qui recherche le contact plutôt que la confrontation.

Il y a deux jours, un média londonien que le régime iranien considère comme lié à l’Arabie saoudite, «Iran International», a publié un audio ayant fui d’une conversation entre le ministre iranien des Affaires étrangères Jawad Zarif, et l’économiste Saeed Leylaz. Le ministre (une personnalité frustrée du « pragmatisme » réformiste de Téhéran) est entendu dire que la politique étrangère de la République islamique est dirigée par les Pasdaran. C’est ce qu’ils pensent (et craignent) même à Riyad.

Emanuele Rossi. (Formiche)

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