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Tchad: la mort du président et les risques pour le Sahel

(Rome, 20 avril 2021). La mort du président tchadien risque non seulement de plonger le pays dans le chaos, mais aussi de créer les conditions d’une déstabilisation régionale. N’djamena est un carrefour tactique et stratégique au Sahel qui intéresse également l’Italie

Le président du Tchad, Idriss Déby, est mort: selon ce qui a été officiellement communiqué par l’armée, il a été tué alors qu’il rendait visite à une unité de soldats dans la préfecture du Kanem, à trois cents kilomètres au nord de N’djamena. Le gouvernement et le parlement ont été dissous, le pays est passé aux mains d’un conseil militaire dirigé par Mahamat Idriss Déby, le fils de 37 ans du président assassiné et chef de la garde présidentielle, qui a assuré qu’il conduirait les Tchadiens à de nouvelles élections présidentielles dans les 18 mois (après que le président, «le maréchal» Déby, a été réélu le 11 avril, avec 80% des voix).

Il aurait été tué par des rebelles du Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (FACT), selon les affirmations des militaires, bien qu’au moment de la rédaction de cet article, ce qui s’est passé n’est pas encore clair, et il est tout à fait plausible que les faits aient été modifiés pour construire un récit plus fort sur sa mort/héritage.

Le FACT est un groupe politico-militaire tchadien basé au Fezzan, la province méridionale de la Libye dont les frontières se confondent, dans les sables du Sahara, entre ceux du Tchad et du Niger. Le groupe est principalement composé de Gorane (un peuple de bergers nomades également connu sous le nom de Daza, répandu dans la région du Sahara central, important au Tchad si l’on considère que l’ancien président Houssein Habré en faisait partie). Il a été créé en avril 2016 dans l’extrême nord du Tchad par Mahamat Mahdi Ali, qui a grandi à Reims, en France, où il a été diplômé et a servi au sein du Parti socialiste. Il est né d’une scission de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) et a longtemps revendiqué l’intention de destituer le président Déby par la force.

Le 11 avril, une expédition de combattants est entrée au Tchad depuis la Libye – où les Tchadiens ont participé aux attaques menées par le chef rebelle cyrénaïque contre Tripoli d’avril 2019 à octobre 2020, et ont reçu une formation militaire par le groupe russe Wagner. Un changement de tunique, puisqu’ils étaient auparavant alignés avec la Troisième Force, la brigade Misrata. L’attaque du 11 avril avait été revendiquée par les FACT qui l’avaient liée à l’élection présidentielle. Le gouvernement avait annoncé qu’il contrôlait la situation, mais le 17 avril, de nouvelles attaques ont eu lieu plus au sud, au nord de Mao, une ville de la province du Kanem.

Alors que deux mille soldats étaient envoyés de N’djamena au front et que des chars encerclaient le palais présidentiel pour protéger le personnel, les États-Unis et le Royaume-Uni rappellent le personnel diplomatique non essentiel pour des raisons de sécurité. Les Tchadiens l’appelaient la «bataille de Zigueï» et revendiquaient la victoire. Le président Déby a rassuré qu’«il n’y a rien qui puisse justifier la panique d’une partie de la population, en raison de la propagande malveillante diffusée sur les réseaux sociaux», et s’est déplacé sur le front chaud des combats pour montrer que tout était sous contrôle: c’est là qu’il serait tué.

Les faits du Tchad ont un poids international car le pays est inséré dans un contexte régional très délicat. C’est par exemple, la mission «Barkhane» qui est active, lancée en 2014 par la France (déjà présente avec «Serval» en 2013) pour contrôler les groupes armés (djihadistes entre-autres) dans la zone sahélienne. L’armée de Déby est l’alliée des Français. Face à la situation, Paris est appelé à intervenir, écrivent les médias africains depuis quelques jours, car la déstabilisation tchadienne multiplierait les conditions qui rendent précaire la stabilité régionale, où les premiers effets directs pourraient se faire sentir sur le processus de recomposition en cours en Libye.

Ce n’est pas tout: le pays est également l’un des endroits «éloignés» où la confrontation entre la Turquie et l’Égypte reste vive, malgré le rapprochement en cours sur le front méditerranéen. Par ailleurs, il faut considérer que plusieurs combattants tchadiens ont aidé les ambitions du chef de guerre libyen, Khalifa Haftar, sous financement émirati: s’ils retournent dans le pays, ils pourraient compliquer davantage la situation en exploitant l’expérience acquise.

La Russie est également concernée par certaines dynamiques: Moscou, qui a participé à la stabilisation du pays avec l’UE, a un accord de coopération militaire avec N’djamena, mais les deux pays se trouvent dans des camps opposés en République centrafricaine – un théâtre des intérêts russes, ce qui pourrait être compliqué par la déstabilisation au Tchad. Un autre facteur: l’armée tchadienne fournit aux Casques bleus des Nations Unies au Mali (MINUSMA, à laquelle l’Italie participe également) l’un des contingents les plus importants, et est considéré comme le mieux préparé du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) .

Enfin, le Niger, qui a résisté fin mars à une tentative de coup d’État, et où l’Italie dispose d’un contingent actif dans le cadre de la participation européenne à Barkhane (la «Task Force Takuba») pourrait subir les déséquilibres du Mali et du Tchad. Ce qui se passe au Sahel porte un intérêt pour l’Italie, si l’on considère qu’un éventuel conflit plus étendu pourrait conduire à des flux migratoires: du Tchad passent (et repartent) de nombreux migrants qui cherchent fortune en traversant la Méditerranée.

Emanuele Rossi. (Formiche)

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